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Quand deux Australiens défendent la culture romande

Sophie Roselli

Seul spécialiste australien de la littérature romande, Max Walkley l'a enseignée pendant 26 ans à l'Université de Sydney. Le retraité prépare aujourd'hui une anthologie. Et sa passion a contaminé sa fille, qui reprend le flambeau à sa manière.

Il a fêté le 1er août parmi les expatriés suisses. Il évoque Neuchâtel comme s’il y était né. Il raconte l’histoire romande en marquant les «r» sur un ton enflammé. Max Walkley est sans aucun doute le plus «suissophile» des Australiens.

Il suffit de le voir bondir de son fauteuil, les yeux bleus pétillants, à la seule évocation de Ramuz, du Corbusier, du Jura ou encore d’un hiver glacial à la Chaux-de-Fonds. C’est dire! Et il insiste sans ironie: «C’est la plus belle ville de l’univers!»

Ce goût culturel pour l’îlot suisse, qu’il savoure depuis son île-continent, est même devenu contagieux. Sa fille Amelia a choisi la Suisse romande comme laboratoire d’étude.

Anthologie

Dans son bureau de l’Université de Sydney, où le drapeau suisse orne son tapis de souris, Max Walkley, professeur à la retraite et membre honoraire, prépare une anthologie de la littérature romande, du début du XXe siècle à nos jours.

L’ouvrage, rédigé en français, sera principalement destiné aux étudiants. «Je présenterai des extraits de textes de Nicolas Bouvier, Maurice Chappaz, Corinna Bille, Hugues Richard, Jean-Marie Nussbaum, qui montrent les différences entre les cantons, les coutumes sociales, les mentalités.» L’Australien travaille aussi sur une traduction anglaise du roman «Polenta», du Valaisan Jean-Marc Lovay.

Comme ce dernier, Etienne Barilier, Claude Delarue ou Nicolas Bouvier ont donné des conférences au bout du monde, dans le cadre d’un cours consacré à la littérature romande, lancé par Max Walkley. Le médiéviste a même reçu le soutien de Pro Helvetia pour enrichir le contenu de cette option, unique en Australie.

Pendant 26 ans, le thème a piqué la curiosité d’une poignée d’étudiants: «Ils craignaient de devoir étudier en allemand ou même d’apprendre une nouvelle langue: le Suisse!» s’amuse ce passionné. «Ils étaient surtout étonnés de découvrir la richesse de cette culture, la diversité des coutumes, le protestantisme en terre romande, l’antipathie entre Romands et Suisses alémaniques».

A son départ en retraite en 2006, personne n’a repris le flambeau. «C’est absurde, c’est moche, mais c’est ainsi!», sourit-il en citant Blaise Cendrars. Joueur, il jongle avec les expressions françaises.

Espiègle, il piège ses interlocuteurs en notant leurs paroles dans un carnet, caché dans la poche de sa chemise, du côté du cœur. «J’en ai déjà deux cents. Je leur donne des noms pour les distinguer les uns des autres et j’ai choisi d’employer des prénoms féminins!» La littérature semble être une femme dont il est tombé amoureux. Mais comment l’Australien a-t-il eu le coup de foudre pour la Suisse romande?

Médiéviste

«On m’a souvent demandé pourquoi j’ai préféré étudier en Suisse plutôt qu’en France. En fait, j’ai choisi l’Université de Neuchâtel car dans les années 60, le maître de l’histoire médiévale, Jean Rychner, y enseignait. Son travail correspondait parfaitement à mes recherches.»

L’Australien s’installe donc en 1967 dans la ville lacustre, au bénéfice d’une bourse d’étude suisse. C’est là qu’il découvre l’œuvre de Charles-Ferdinand Ramuz. L’auteur se révèlera «d’une importance vitale» pour la suite de sa carrière.

Et s’il repart vivre «down under» en 1969, c’est uniquement parce qu’il obtient un poste à l’Université de Sydney, notamment comme professeur de littérature française médiévale occitane et contemporaine, puis de littérature romande. Considéré d’ailleurs comme le spécialiste de ce sujet en Australie, Max Walkley a même donné des conférences à la demande du Consulat. La Suisse est devenu petit à petit son «deuxième pays».

La personnalité atypique et les manies de son père font sourire Amelia. L’étudiante de 21 ans n’a pas échappé à l’héritage paternel, ni d’ailleurs à l’influence d’une mère professeur de français.

«Chez nous c’était la propagande!, sourit-elle. Dans notre maison de vacances, mon père affichait partout des posters de villes suisses. Dans ma chambre, il y avait celui de Lausanne. Et quand j’ai étudié dans cette ville, j’ai habité par hasard dans un appartement qui avait exactement la même vue que mon affiche!»

Facebook

Au terme d’un semestre d’échange à l’Université de Lausanne (Unil), choisie pour la réputation de ses cours de linguistique, Amelia s’est lancée dans un travail de licence sur les discussions à travers le «wall-to-wall» de Facebook.

Son étude consiste à comparer les messages écrits par des étudiants de l’Unil, à ceux de Sydney. «Je m’intéresse particulièrement aux expressions vocatives, c’est-à-dire aux noms, surnoms, insultes que les internautes se donnent entre eux. Un tiers de leurs messages en contient. On retrouve souvent des termes d’affection comme «miss», «ma chérie», «my dear».»

Première surprise pour l’Australienne: les Suisses utilisent très souvent l’anglais. «J’ai aussi été étonnée de découvrir qu’on emploie l’insulte comme terme d’affection entre copains, tant du côté romand qu’australien.» Ce travail ouvre d’autres perspectives de recherches. «D’une certaine façon, les insultes adressées à des amis de façon semi-publique sont une forme de politesse.»

Autres points communs? Chacun subit le même rapport d’infériorité: l’Australie avec l’Angleterre ou les Etats-Unis et la Suisse romande avec la France. «Il y a encore quelques années, un Australien ne pouvait pas être considéré comme un écrivain sans passer par Londres. Idem pour un Romand avec Paris. Mais cela a changé», analyse Max Walkley.

Le chercheur écoute avec fierté sa fille, qui reprend, d’une certaine manière, le flambeau. Mais il avoue ne «pas tout comprendre à son travail…».

Il faut dire qu’il ne figure pas sur Facebook. Tous deux passionnés par la langue française, ils ne la conjuguent pas au même temps: le Moyen-Age pour lui, l’ère numérique pour elle.

Sophie Roselli, Sydney, swissinfo.ch

22’511 Suisses résident actuellement en Australie dont la majorité dans l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud (environ 6000).

2540 Australiens vivaient en Suisse s’élevait à fin 2008.

Les échanges commerciaux entre la Suisse et l’Australie ont atteint un volume de 2,5 milliards de francs en 2008.

La Suisse arrivait au 9e rang des pays investisseurs en Australie, en 2007.

L’Australie compte parmi les trois premières destinations d’investissements directs de la Suisse en Asie, après Singapour et le Japon, mais avant la Chine, la Thaïlande, La Corée du Sud et l’Inde.

Plus de 70 sociétés suisses ont installé leur propre centre de production en Australie. Elles emploient 34’000 personnes.

40’000 Suisses choisissent chaque année de passer leurs vacances en Australie.

Les touristes venant d’Australie, de Nouvelle-Zélande et d’Océanie représentaient en 2007 1,2% du nombre de visiteurs en Suisse. Cette tendance est à la hausse.

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