Quand Indiana Jones s’appelait Adolph Bandelier
Non loin de Santa Fe, au Nouveau-Mexique, se trouve le «Bandelier National Monument». Un site voué à la culture Pueblo et nommé ainsi en hommage à un historien et anthropologue suisse. Reportage.
Vous quittez Santa Fe par la US Highway 84, en direction du nord. Puis, après une quarantaine de minutes de route, vous bifurquez à gauche en direction de Los Alamos. Un nom qui file le frisson: c’est là que fut développé le projet «Manhattan», autrement dit, les bombes qui rayèrent Hiroshima et Nagasaki de la carte.
Mais vous ne roulez pas jusque à Los Alamos. Vous tournez au sud en direction de White Rock, et vous enfoncez dans la montagne jusqu’à ce que vous atteignez le «Frijoles Canyon», autrement dit la «Gorge des haricots», creusée par un affluent du Rio Grande. C’est notamment dans ce décor sauvage qu’Adolph Bandelier, né à Berne en 1840, mena des recherches sur la culture Pueblo dès 1880.
Guerres indiennes
Une passion étonnante si on se rappelle le contexte de l’époque. Quatre ans auparavant a eu lieu la bataille de Little Bighorn, plus au nord, où Cheyennes et Lakotas détruisirent les troupes du général Custer.
En 1879, c’est la révolte des Apaches, lesquels, pendant plusieurs années, mènent de nombreux raids au Mexique, mais aussi en Arizona et au Nouveau-Mexique. La reddition finale de Geronimo n’aura lieu qu’en 1886.
Autant dire que lorsque Adolph Bandelier demande à l’Archeological Institute of America (AIA) son soutien pour se rendre chez les Indiens Pueblos, non seulement il s’apprête à partir dans une région politiquement chaude, mais en plus, il se heurte aux réticences de ceux qui ne voient guère d’intérêt à étudier les «sauvages». Néanmoins, il obtiendra son contrat.
En un peu moins d’une décennie, il va s’intéresser à différents villages pueblos – Pecos, Santo Domingo, Cochiti, Tesuque, Acoma, Laguna, Zuni – et au mode de vie de leurs ancêtres à travers les ruines anasazi («les anciens» en langue navajo) qui foisonnent dans la région.
Si celles de Mesa Verde sont aujourd’hui célébrissimes, on en trouve également non loin de Monument Valley, dans le Canyon de Chelly (au cœur de la réserve Navajo) ou à Chaco Canyon. Le plateau Pajarito, dans lequel se trouve le «Frijoles Canyon», compterait près de 7000 sites.
Swiss cheese
«Bandelier National Monument». Une vallée, qui suit un modeste cours d’eau. Il y poussait autrefois des haricots, du maïs, des courges. Comme il en poussait aussi sur les «mesas», ces élévations de roche au sommet plat. Les Pueblos et leurs ancêtres sont des cultivateurs.
Au milieu de la vallée, les ruines circulaires de Tyuonyi, les bâtiments qui constituaient le cœur de l’ancien «pueblo», village construit il y a environ 600 ans. La petite place centrale était entourée par un bâtiment de deux à trois étages qui comptait environ 400 pièces…
Dominant la vallée, des parois rocheuses de tuf, soit de la cendre volcanique condensée. De hautes falaises roses, grêlées de trous. «Swiss cheese rock», dit-on ici. Des trous dus à l’érosion de poches autrefois remplies de gaz, et que, au bas de la falaise, les Amérindiens ont élargis pour en faire des habitations troglodytes.
On ne sait donc plus très bien où finit la nature et où commencent les habitations. Mais en pénétrant les lieux, on comprend mieux le réseau de cavités, depuis les «Talus houses», avec leur plafond noirci, à la «Long House», une incroyable enfilade de pièces (245 mètres au total) taillées dans le roc.
Sur la paroi, des rangées de trous ronds dans lesquels étaient plantées des poutrelles, pour soutenir le toit qui recouvrait des constructions aujourd’hui détruites. Et parfois, des pétroglyphes – dessins symboliques gravés – seuls témoignages «écrits» laissés par les Anasazi.
Qui étaient ces gens? Pourquoi ont-ils désertés les lieux? C’est vers le 12e siècle que les Pueblos se seraient installés dans la région. Ils auraient quitté le Frijoles Canyon quelque 400 ans plus tard, de la même façon que Mesa Verde ou les anciennes habitations du Canyon de Chelley ont été désertées. Un grand point d’interrogation pour les historiens, qui envisagent plusieurs explications, guerres tribales ou pénurie alimentaire. Quoi qu’il en soit, quand les Espagnols arrivèrent là à la fin du 16e siècle, les lieux étaient déjà vides.
D’Adolph à Indiana
Le «Bandelier Monument National» a été créé en 1916, dans la foulée de fouilles entamées en 1908. Si Adolf Bandelier n’est donc pas celui qui a fouillé le site, c’est l’anthropologue amérindianiste (le mot existe) qu’on a salué en donnant son nom à ce lieu.
Arrivé dans l’Illinois à l’âge de huit ans, le jeune Bernois est reparti en Suisse pour y suivre des études de géologie. Mais dès son retour aux Etats-Unis, c’est aux cultures indiennes qu’il va s’attacher, sous l’influence de l’anthropologue américain Lewis Henry Morgan.
Il s’intéresse d’abord à la culture précolombienne au Mexique, puis effectue un voyage dans le sud-ouest américain en 1878, qui le poussera à y retourner dès 1880. Parallèlement à ses recherches au Nouveau-Mexique, il ira à plusieurs reprises visiter les sites précolombiens du Mexique, puis ceux du Pérou et de Bolivie.
Tel le personnage d’Indiana Jones, il sera reconnu pour son travail au niveau académique. Chercheur pour le ‘Academican Museum of Natural History’, puis à la ‘Hispanic Society of America’, assistant à l’Université de Columbia… Il mourra à Séville, en Espagne, en 1914, où il poursuivait alors ses recherches aux «Archives des Indes».
«On peut dire que toute son œuvre a contribué à discréditer l’interprétation romantique de l’histoire des Amérindiens telle qu’elle était en vogue à l’époque et à préparer la voie à des travaux basés sur la recherche scientifique et critique», écrit le diplomate genevois René Naville en 1964.
On ne peut pas nécessairement en dire autant d’Indiana Jones, dont la rigueur scientifique n’est pas la plus grande qualité. Pourtant… en avril 2009, l’acteur Harrison Ford recevra à New York le premier «Adolph Bandelier Award For Public Service», décerné par l’Archeological Institute Of America. Cela pour avoir contribué à susciter la curiosité du public à l’égard de l’archéologie à travers les films d’«Indiana Jones»!
swissinfo, Bernard Léchot
Situé à 18 km de Los Alamos, le parc, établi en 1916, s’étend sur 13.248 hectares.
Quelque 112 km de sentiers traversent le parc. Mais le parcours amenant aux principaux points de visite s’étend sur 1,6 km.
Les Indiens Pueblos (de l’espagnol «pueblo»: village) vivent dans des maisons juxtaposées en pierre ou en adobe, construites sur plusieurs étages, chacun étant en retrait par rapport à celui d’en dessous. Le plus haut encore habité aujourd’hui est le Pueblo de Taos.
Originellement, on accédait à l’intérieur par des échelles. La porte extérieure est un apport espagnol.
Le Nouveau-Mexique compte actuellement 19 villages Pueblos encore habités.
Les ancêtres des Pueblos, les «Anasazis», étaient répartis sur les territoires du Nouveau-Mexique, du sud-ouest et de l’ouest du Colorado, la partie nord de l’Arizona, ainsi qu’une partie de l’Utah.
Si la période du 12ème au 14ème siècles voit la plus grande étendue géographique de la culture des Pueblos, les premières constructions Pueblos remontent au 2ème ou 3ème siècle après JC.
Parmi les publications d’Adolph Bandelier:
– Report on the Ruins of the Pueblo of Pecos (1881)
– Report of an Archæological Tour in Mexico in 1881 (1884)
– Final Report of Investigations among the Indians of the Southwestern United States (1890)
– The Delight Makers (roman, 1890)
– An Archaeological Reconnoissance into Mexico (1894)
– The Islands of Titicaca and Koati (1910)
– Indians of the Rio Grande Valley (posthume, avec la collaboration d’Edgar Hewett, 1937)
Carroll Riley et Charles H. Lange lui ont consacré une biographie en 1996: «The Life and Adventures of Adolph Bandelier», University of Utah Press, Salt Lake City.
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