Quand l’art et le design se pacsent au musée
A Lausanne, le Musée de design et d’arts appliqués contemporains (Mudac) réunit art et design comme dans une maison ordinaire avec des meubles ordinaires. Mais à y regarder de plus près, les objets sont en ruine et les mythes se fracassent. D’où le titre de l’expo: «Destrøy Design».
«Cette exposition met l’accent sur le quotidien pour casser les connotations élitistes du design comme de l’art contemporain, pour les rendre plus accessibles. Elle montre du mobilier: quoi de plus accessible ? Nous avons tous des meubles dans nos espaces de vie et de travail.» C’est ainsi que Chantal Prod’Hom, directrice du Mudac, présente l’exposition.
Logé dans une maison ancienne de la Cité médiévale de Lausanne, ce petit musée rejette toute nostalgie et se paie le luxe d’exposer de beaux objets tout en posant, avec malice et humour, de graves questions sur la société, la production industrielle et la consommation. Avec «Destrøy Design» – Art contemporain et/ou design, le Mudac frappe un grand coup.
L’exposition provient du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Nord-Pas de Calais (France), une des rares institutions à collectionner à la fois l’art contemporain et le design depuis quarante ans.
Un nouveau bâtiment étant en construction à Dunkerque, la directrice Hilde Teerlinck a eu l’idée de faire voyager certaines pièces à travers l’Europe. Le Mudac est la première étape de «Destrøy Design».
Les sept salles sont certes meublées de tapis, céramiques, photos, lits, luminaires ainsi que d’une profusion de chaises sous toutes les formes possibles. «Le fil rouge est la chaise et ensuite les artistes et designers l’interprètent chacun de son côté», confirme Chantal Prod’hom.
Chaque salle offre une vidéo avec un petit commentaire expliquant le pourquoi et le comment des travaux réunis.
De la destruction…
Effectivement, au deuxième coup d’œil, le visiteur comprend le titre de l’exposition: les objets sont souvent brisés, déformés, éventrés. Par exemple, la Néerlandaise Barbara Visser casse des mythes avec «Detitled» (dé-titré), un ensemble de 13 photos de grands classiques du design malmenés par le temps ou par l’artiste, parfois avec une grande violence. A l’arrivée, ces sièges très célèbres prennent une dimension bien différente.
«Le terme destroy – détruire – véhicule bien entendu un message négatif : cela signifie la déconstruction de (vieux) modèles, la contestation de valeurs dites sûres et le renversement de systèmes existants», explique Hilde Teerlinck.
Certains artistes ont transformé l’objet en manifeste. Comme la série «Skip Furniture», installation de 10 chaises de terrasse de bistrot ornées du slogan «Stop discriminating cheap furniture» (halte à la discrimination des chaises bon marché) de l’Espagnol Martí Guixé.
Explication de la directrice du Mudac: «Vue et revues au point d’être devenues des parasites urbains tellement elles sont moches, ces chaises ont su résister au temps et aux intempéries. Et voilà que cet artiste en fait une sculpture! C’est un pied de nez qui a du style!»
Plusieurs des 31 artistes représentés au Mudac utilisent la récupération pour renvoyer un message critique à la société de consommation où ils sont nés. «Ils revisitent les grands classiques, quitte à les maltraiter, parfois sur le mode de l’humour mais aussi de l’hommage, pas toujours dans la confrontation», ajoute Chantal Prod’Hom.
…à l’hommage
Dans le registre de l’hommage, «Bedroom Ensemble» de la Genevoise Sylvie Fleury occupe toute une salle. A première vue, on a vraiment l’impression de se trouver dans une chambre à coucher kitsch aux couleurs de sorbets.
Et puis on s’aperçoit que les perspectives sont forcées de manière à créer une troisième dimension, que les meubles sont légèrement trop grands et qu’ils n’ont plus aucune fonction car entièrement recouverts de fausse fourrure, sauf le miroir…
Cette installation est un hommage à Claes Oldenburg, grande figure du Pop Art qui avait présenté en 1963 un «Bedroom Ensemble», reproduisant une chambre de motel californien bon marché, avec son faux marbre et son faux bois.
«Ce travail est d’une féminité exacerbée, avec son côté moelleux, elle maîtrise si bien les clichés, le kitsch et l’humour qu’elle n’a pas besoin de jouer les féministes», commente encore Chantal Prod’Hom.
Une démarche insolite
Chantal Prod’Hom et son équipe ont été séduites par la démarche insolite (et pionnière) de Hilde Teerlinck qui «répond à notre envie de questionnement sur la relation entre l’art et le design, de confronter ces deux démarches qui ne cessent à la fois de se contaminer et de s’alimenter mutuellement, comme des frères ennemis qui ont pourtant sans cesse besoin l’un de l’autre».
Et de poursuivre: «Ce qui nous intéresse, ce sont ces interrogations sur notre mode de vie. C’est ça, l’art contemporain, et cela peut intéresser un public large. Ces objets racontent des histoires, parfois avec humour, parfois avec violence aussi.»
En concevant cette exposition, Hilde Teerlinck a cherché enfin à montrer «le rapport complexe entre le statut de vedettes des designers et artistes contemporains (qui s’appuie sur la consommation) et met en question la position et l’importance de l’objet dans notre société industrialisée. La révolution industrielle et les développements technologiques récents sont en partie responsables de la perte de respect pour le savoir-faire, la tradition et les processus de production artisanaux.»
Isabelle Eichenberger, swissinfo.ch
L’art du ready-made consiste à choisir un objet manufacturé et à le désigner comme œuvre d’art. Initiée au 20e siècle par l’artiste franco-américain Marcel Duchamp (1887-1968).
Ce sont des œuvres d’art qui n’ont pas été réalisées par l’artiste mais qui sont revisitées par l’artiste qui n’intervient que pour les sélectionner, changer leur contexte, leur statut et leur définition.
Le premier exemple est une roue de bicyclette juchée sur un tabouret («Roue de bicyclette»), réalisé en 1913 par Marcel Duchamp.
Cette démarche a donné naissance à une grande partie des pratiques de l’art contemporain, qu’elles s’en réclament ou s’en défendent.
Le Musée de design et d’arts appliqués contemporains (Mudac) présente une sélection de la collection du Fonds régional d’art contemporain (FRAC) Nord-Pas de Calais de Dunkerque (France).
La directrice du FRAC, Hilde Teerlinck, est une des premières à avoir commencé à collectionner à la fois l’art contemporain et le design.
«Destrøy Design» Art contemporain et/ou design -présente les oeuvres de 31 artistes – dont les Suisses John Armleder, Sylvie Fleury et les frères Gilles et Vincent Turin – réparties sur deux étages. Du 24 février au 24 mai 2010.
Il s’agit de la première étape d’une tournée dans plusieurs pays européen de cette exposition, qui se rendra ensuite au Danemark.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.