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Quand le cinéma joue l’interactivité

Avec une section supplémentaire, les nouveaux écrans de la fiction, le festival Cinéma Tous Ecrans présente des films à la fois interactifs et critiques à l'égard des nouvelles technologies de l'information. Rencontre avec deux de ces réalisateurs, le Suisse Pierre-Yves Borgeaud et le Français Djeff Regottaz.

Le Français aborde l’univers multimédia de manière expérimentale et ludique; le Suisse avec un ton plus grave et dans une forme qui se veut aboutie. Mais tous deux questionnent notre addiction plus ou moins sévère aux prothèses numériques que sont l’ordinateur et le téléphone mobile, tout en jouant des possibilités qu’elles offrent.

Avec E 1000 (prononcez Emile), Djeff Regottaz et son compère Loïc Horellou proposent rien moins qu’un nouveau genre de cinéma: le call movie ou le film réactif.

A la différence d’autres productions interactives, le procédé mis au point par les deux jeunes artistes numériques ne nécessite aucun support technique. Les spectateurs interagissent avec le film en utilisant simplement leur téléphone portable. Les options, elles aussi, sont limitées. Le spectateur peut soit appeler gratuitement un des 4 numéros qui s’affiche sur l’écran de cinéma, soit envoyer des SMS qui seront visibles au cours du film. Des interventions qui ne provoquent pas d’interruption dans le flux des images.

«Nous avons mis au point un procédé aussi simple que possible et à la portée de toutes personnes possédant un téléphone portable qui fait office de télécommande», explique Djeff Regottaz.

Spectateurs harceleurs

Les spectateurs ont comme cobaye le héro du film. Emile, amoureux de Lila, doit absolument soigner une dentition aussi désordonnée que la chaîne des Alpes s’il ne veut pas perdre sa belle. Il se retrouve donc muni d’un appareil dentaire qui a comme effet collatéral de capter les appels téléphoniques. C’est à partir de ce moment-là du film que les spectateurs peuvent intervenir et perturber Emile.

«C’est un clin d’œil à notre propre situation. Acceptons-nous d’être harcelés comme Emile, via nos cellulaires et autres machines communicantes?», se demande Djeff Regottaz.

Par ce procédé, les deux artistes ont également voulu retrouver le climat des salles de cinéma du début du siècle dernier. «Nous voulions renouer avec un cinéma très populaire où les spectateurs venaient au cinéma pour participer et échanger. Nous cherchons à retrouver des salles vivantes», précise Djeff Regottaz. Une atmosphère qui d’ailleurs existe toujours dans les cinémas de certains pays du Sud.

Un procédé en développement

E 1000 n’a pas la prétention d’être une œuvre achevée. «Ce prototype nous permet de valider ou non notre façon d’écrire. Nous animons un workshop itinérant avec notre film et son procédé interactif. Nous voulons ainsi ouvrir le dispositif et être surpris par d’autres créations de réalisateurs», souligne Djeff Regottaz, en précisant que l’ensemble de ces réalisations seront projetées l’année prochaine.

Mais d’ores et déjà, les deux créateurs d’E 1000 sont enchantés par la réactivité du public tant à Paris qu’à Genève. Il est beaucoup plus participatif qu’ils ne pensaient.

L’aboutissement d’un projet

Avec iXième, version remix, le Lausannois Pierre-Yves Borgeaud achève, lui, un projet initialement présenté comme film de cinéma et couronné en 2003 au festival de Locarno.

«La version que nous avons montrée à Locarno n’était pas aboutie, confie le réalisateur. Notre but, avec le musicien Stéphane Blok, était de créer un poème multimédia et interactif sur la liberté. C’est cette version que nous avons présentée à Genève.»

De film pour salles obscures, iXième est devenu un double DVD à voir de manière linéaire, aléatoire (différente à chaque nouvelle lecture) et interactive. Les multiples combinaisons des 46 séquences du film offrent donc des millions de versions possibles. Un éventail de parcours explorable pleinement devant sa télévision ou son écran d’ordinateur.

Le spectateur est donc invité à feuilleter le journal vidéo d’un prisonnier à domicile, un condamné muni d’un bracelet électronique implanté sous sa peau. Les séquences du film sont filmées par le prisonnier joué par Pierre-Yves Borgeaud. Le créateur lausannois réussit la prouesse de produire des images à la fois belles et dans un style amateur tout à fait crédible.

Une œuvre documentée

Le propos du film, lui, est plus que jamais d’actualité. «Depuis que nous avons lancé le projet il y a 8 ans, nos intuitions se sont confirmées. Notamment en France, la détention à domicile se développe, car elle permet de décongestionner les prisons avec une solution moins cher pour l’Etat», relève Pierre-Yves Borgeaud.

Fruit d’un important travail documentaire, iXième et son labyrinthe de parcours nous ramène aussi à nos propres existences. «Les machines communicantes dont nous sommes tous affublés sont considérées comme des gages de liberté, remarque Pierre-Yves Borgeaud. Mais elles créent des dépendances et nous coupent de notre environnement immédiat, voire de notre propre corps.»

Avec un sens certain de la formule, Pierre-Yves Borgeaud précise son propos: «Nous voulons des films éclairants, pas seulement éblouissants»

L’interactivité proposée par le Lausannois se veut en effet riche de sens, à l’opposé des produits de l’industrie du divertissement. «Ils nous vendent une interactivité de consommation, des gadgets qui vantent le choix, alors qu’ils ne font que démultiplier le vide.» C’est aussi ça, le propos de iXième, version remix.

Tant Pierre-Yves Borgeaud que le duo Djeff Regottaz et Loïc Horellou militent, eux, pour une technologie riche de nos humanités, une mise en forme de l’univers numérique au service de l’intelligence collective.

swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

«Pour sa 14e édition, le Festival Cinéma Tous Ecrans inaugure une nouvelle section multimédia. Il confirme ainsi sa position d’unique festival en Suisse intégrant dans sa programmation l’ensemble des médias audiovisuels.

Cette nouvelle Section est composée des meilleures œuvres audiovisuelles conçues pour les nouveaux écrans (y compris ceux des téléphones portables avec Cinéma Tout Mobile).

Elle permet de découvrir de nombreux talents encore peu connus du grand public, notamment parmi les créateurs de fictions multimédia interactives, de séries produites pour le web et de fictions autoproduites.

Des personnes de renom comme Stephen King et Yule Caise de Heroes se sont aussi appropriés ce nouveau format.»

Daphné Rozat, responsable de la programmation des Nouveaux écrans de la fiction

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