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Qui blâmer pour les colères du ciel? La réponse varie au cours des siècles

Feuille imprimée du 16e siècle.
On voyait autrefois de nombreux signes divins dans le ciel; de nos jours, c'est un peu plus compliqué. (tract, Bâle, 1566) Zentralbibliothek Zürich

La gestion des catastrophes naturelles a renforcé le rôle de l’État au 19e siècle en Suisse. Tempêtes et éboulements n’étaient plus vus alors comme les signes d’un Dieu punitif, mais comme des problèmes à régler ensemble. Les questions de culpabilité et de responsabilité se sont estompées au profit du bien commun, une attitude qui nourrit encore les débats aujourd’hui.    

Thème de discussion passe-partout, la météo est devenue un sujet plus politique. À l’heure du changement climatique, la distinction entre activité humaine et phénomènes violents et autres catastrophes naturelles se dissipe, notamment parce que nos modes de vie impactent la météo.

Pour le météorologue Jörg Kachelmann, les tempêtes récentes ne seraient que «le début de la misère». D’autres parlent d’«hystérie climatique» et en appellent à plus de sérénité. Parmi eux, l’ex-président du Parti radical suisse Franz Steinegger. Surnommé «Katastrophen-Franz» pour avoir dû gérer à deux reprises (en 1977 et 1987) des crises dans son canton d’Uri, il répond ainsi à la question de savoir si la perception diffère que l’on habite en ville ou en zone rurale: «À la campagne, les populations réagissent plus calmement parce que des événements de cette amplitude ont déjà été vécus. Celles-ci sont aussi plus disposées à les accepter comme des faits relevant de la volonté de Dieu».

Catastrophes et gifle divine

Cette sagesse séculaire née entre les murs d’une chapelle alpestre relève d’une vision plutôt récente. Il y a quelques siècles, ces catastrophes n’étaient pas acceptées avec autant de calme. À l’image de parents élevant leurs progénitures au moyen de verges, Dieu montrait la voie via «des signaux terrifiants», le déluge devenant message comme les sept fléaux de la Bible.   

Au cœur des campagnes, les gens déposaient encore avec précaution du beurre et du lait sur le rebord des fenêtres pour contrer les foudres de Dieu, alors que des théologiens tentaient d’interpréter les sermons du Tout-Puissant. Malgré tout, les victimes du tremblement de terre survenu en 1755 à Lisbonne ne pouvaient pas toutes être accusées d’avoir péché. Parmi elles figuraient au contraire notamment des enfants et des personnes qui craignaient Dieu.

Une des réponses était de dire que Dieu punissait aussi ceux qui n’avaient pu s’opposer aux péchés. Historien et spécialiste en environnement, le Suisse Christian Pfister résume cette phase ainsi: «La communauté était responsable collectivement des péchés commis par tous ses membres. De quoi détourner le sentiment de culpabilité et le répartir plus facilement entre toutes et tous». Une manière de le rendre aussi plus diffus et moins oppressant.

Flutwelle Tessin
L’historien suisse Johannes Stumpf pensait que le raz-de-marée dévastateur de 1515 au Tessin était un signal d’alarme de Dieu pour «mettre fin à nos vies de pécheurs». lanostoria.ch

Grandir face aux catastrophes

L’avancée principale a été de ne plus considérer ces catastrophes inexpliquées comme étant la seule résultante de péchés individuels. Jadis, on désignait des boucs émissaires. Des femmes considérées comme des sorcières avaient été brûlées vives pour exorciser des épisodes de sécheresse par exemple. L’idée de répartir le fardeau au sein de la communauté prenait gentiment forme.

Idem pour les catastrophes. C’est ainsi que le collectif a commencé de grandir. Pour faire face aux guerres ou à tout autre événement extérieur, le sentiment d’appartenance à un groupe prenait davantage de poids. Il suffit d’observer aujourd’hui encore comment des membres de la classe politique peuvent voir leur carrière se fissurer pour avoir adopté des rictus inadéquats en zones sinistrées.

C’est ainsi qu’en Suisse a émergé l’idée d’une nation dotée d’un pouvoir unificateur pour mieux défier des catastrophes naturelles telles que des glissements de terrain, tempêtes ou inondations. L’aide en cas de catastrophe a été activée pour la première fois en 1806 à Arth-Goldau, dans le canton de Schwytz, lorsque la terre s’est dérobée, tuant plus de 400 personnes et dévastant le village. Une forme d’unité a prévalu pour faire face au malheur.

Nommé Landamann de Schwytz par Napoléon, Andreas Merian voyait dans cette entraide une forme d’union sacrée: «Par son don de soi, chaque Suisse promeut le bien commun, la gratitude des personnes réconfortées nourrissant le sentiment national, la concorde, l’harmonie confédérale et la confraternité».

Merian avait tenté de transformer tout sentiment de culpabilité d’essence religieuse en une solidarité républicaine. Avec succès. La commune d’Arth-Goldau a reçu alors des dons et témoignages de sympathie de l’ensemble des cantons. Une première dans l’histoire suisse, laquelle avait pourtant déjà connu des mouvements d’entraide isolés, mais jamais autant concertés.

Eboulement en montagne
Le gouvernement du canton de Schwytz a levé des fonds en faveur des victimes de Goldau en vendant des peintures représentant la catastrophe. (Xaver Triner, 1806) Schweizer Landesbibliothek

Ouvrages nationaux de protection contre les crues

Ces catastrophes ont aidé l’État à forger son identité et à définir son rôle. Au 19e siècle, l’aide en cas de catastrophe a été de plus en plus prise en charge par des organismes privés, chapeautés par la Confédération. En 1834, plusieurs inondations ont dévasté une partie de la Suisse, tandis que le pays était divisé.

C’est la Diète, l’organe central de la Confédération, qui a alors coordonné la collecte des dons. Des négociations ont été alors entamées avec les cantons, afin de savoir comment utiliser ces sommes judicieusement. La raison d’État s’imposait au-delà du simple élan de solidarité. Des aides ont certes été accordées à des individus, mais l’argent est surtout utilisé après 1834 pour protéger des zones exposées aux crues, notamment dans les Grisons, ou pour prévenir de futures catastrophes. Des sommes ont été allouées dans certaines régions à des entreprises actives dans le secteur de la construction au détriment d’aides attribuées directement à des personnes, parmi lesquelles beaucoup sont tombées cependant dans la pauvreté en dépit des dons. L’aide au développement a été privilégiée au détriment d’une aide directe.

Après 1834, les corrections fluviales et l’édification de barrages ont été considérées comme des ouvrages incarnant l’unité nationale. En 1869, le Conseil fédéral avait sermonné le canton du Valais, qui avait au contraire, lui, privilégié une aide directe à des particuliers, plutôt que de se lancer dans un programme d’infrastructures dans lequel il ne croyait guère. «La confraternité nationale n’est incarnée ici dans aucun gros ouvrage qui aurait pu protéger et sauver le pays face à de futures catastrophes», entendait-on à Berne.

Un an plus tôt, de fortes précipitations avaient provoqué la mort d’une cinquantaine de personnes et d’importants dégâts en Suisse. Jusqu’en 1834, la protection contre les crues était encore du ressort des cantons, mais c’est à partir de ce moment-là que le Conseil fédéral prend les choses en main. Une collecte de fonds nationale est engagée, permettant de récolter 3,6 millions de francs et plus de trois tonnes de nourriture. La devise «un pour tous et tous pour un» s’impose non officiellement. Des dispositions légales sont prises pour se protéger contre les catastrophes, mesures encore valables aujourd’hui.

Rechercher les causes est tabou  

C’est en partageant les inquiétudes sous-tendant ces catastrophes que les signaux du ciel, inexplicables pour le commun des mortels, ont pu être supportés de manière collective. Subrepticement, un pacte a été conclu pour qu’à l’avenir, pour mieux gérer ces crises, on évoque moins les causes et davantage les aides. En érigeant par exemple des infrastructures adéquates.

L’éboulement dont a été victime en 1881 la commune d’Elm, sur le versant alpestre des Grisons, en est un bon exemple. Depuis 1868, l’ardoise qui se trouvait à cet endroit a commencé d’être exploitée commercialement. Mais la gestion de la carrière où se trouvait la roche a été négligée par des autorités locales inexpérimentées. Plusieurs paradigmes avaient été sous-estimés: les changements inhérents à la montagne, une exploitation à outrance du lieu. Il est vrai que l’ardoise était devenue une poule aux œufs d’or dont dépendaient toujours plus d’emplois. Lorsque des pans entiers de la prairie surplombant cette carrière se sont effondrés à la suite d’infiltrations d’eau, le village s’est retrouvé privé de moyens de secours. La facture a été salée: 141 morts.

Mais aucun édile n’a été tenu pour responsable de cette catastrophe. Au contraire. Tout a été entrepris, notamment par voie de presse, pour ne surtout pas contrecarrer la collecte de fonds lancée pour venir alors au secours des victimes. Il a été demandé à la population d’Elm de mettre ses rancœurs en sourdine. De s’abstenir d’afficher de l’animosité envers les autorités face à cette immense tragédie. Vaincus par la nature et ses forces aveugles, les montagnards ont dû faire profil bas, passer pour des innocents tout en acceptant le cours des choses… car les voies de Dieu restaient impénétrables. Nul besoin de punir les pécheurs. Chargé d’expertiser cet éboulement, le professeur en géologie Albert Heim en avait été jadis le premier surpris.

«Les gens se sont débarrassés de leurs peurs par la parole, quitte à ridiculiser les plus craintifs, niant tout danger, faisant abstraction de tout présage. Inspirée de la tactique de l’autruche, cette attitude s’est insinuée dans l’esprit de beaucoup, les plus fanatiques se permettant de dissimuler la vérité, partant du principe qu’il est plus facile d’adhérer au côté plaisant des choses qu’au pire des événements».

Contenu externe

(Traduction de l’allemand: Alain Meyer)

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