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Rôle de composition pour le cinéma suisse

Jean-Luc Bideau sur scène et sur grand écran. swissinfo.ch

Tapis rouge, smoking, paillettes et champagne, le cinéma suisse a osé endosser un rôle qui lui était inconnu. Avec un peu de maladresse, mais une vraie bonne humeur.

La 10ème cérémonie des Prix du Cinéma suisse s’est tenue mercredi soir à Soleure, en présence du gratin du7e Art et des institutions culturelles et médiatiques de ce pays.

Froid de canard. Devant la «Konzertsaal», le tapis rouge se couvre progressivement d’une mince couche blanche. Photographes, cameramen dégainent à l’arrivée des invités en tenue de soirée, accueillis par une horde d’hôtes et d’hôtesses de noir vêtu.

Est-on vraiment à Soleure qui, pendant si longtemps, s’est voulu le haut-lieu d’un cinéma d’auteur faisant passer la confidentialité d’une œuvre comme une preuve de son authenticité?

Cette fois-ci, le décorum est donc là. Seul détail qui manque: les fans. Pas le moindre chasseur d’autographe à l’horizon… Le cinéma suisse s’essaie à la comédie du glamour, mais sans public. Une sorte de répétition, en quelque sorte.

Mais où est Tom Cruise?

Dans une vaste salle, les smokings et les longues robes picorent sur fond de musique ‘lounge’ en attendant la cérémonie. Frédéric Maire, le directeur du Festival de Locarno, est de la partie. Comment regarde-t-il ce cinéma suisse new look?

«Je ne sais pas si le fait que tous les hommes sont en costume noir va donner de la couleur à l’atmosphère, mais en tout cas, c’est vrai que cela vise à apporter un peu de glamour… Le problème, c’est que n’ai pas encore vu Nicole Kidmann ni Tom Cruise passer dans la salle et ça, ça manque, peut-être», répond-il.

A ses côtés, le réalisateur et producteur zurichois Samir, personnalité incontournable du cinéma helvétique. Cette cérémonie accueille deux films de sa maison de production qui totalisent 5 nominations.

Le ‘glamour’ qui peut être utile à la promotion du cinéma suisse? «Oui, mais, c’est un paradoxe: les médias ont besoin de glamour et de people. Et de notre côté, sans médias, cela ne marche pas. Mais selon ma manière de voir les choses, c’est plutôt à nous d’être fiers et de travailler davantage pour arriver au niveau nécessaire, plutôt que de recevoir des ordres du genre: sois glamour!» répond Samir.

N’empêche. A voir tournoyer et bavarder tout ce petit monde – cinéastes, comédiens, gens des médias, politiciens (le ministre Pascal Couchepin fait une entrée très remarquée) – on a le sentiment que cette petite touche haut de gamme voulue par le nouveau patron de la Section cinéma de l’Office fédéral de la Culture, Nicolas Bideau, flatte plutôt l’ego de chacun, même si personne, bien sûr, ne l’admettra à haute voix.

Lumière!

Dans la salle de concert, c’est une avalanche de paillettes qui accueille la cérémonie. On se croirait presque dans une émission de variété de la RAI. Paillettes des décors. Reflets des boules chromées suspendues au plafond. Paillettes de la veste de l’animateur de la soirée, le comédien Gilles Tschudi.

La soirée fonctionne par contre à son rythme habituel, alternance d’extraits des films nommés et de parlote plus ou moins inspirée. Parmi les moins inspirés, les sponsors, qui se sentent soudain pousser des ailes et nous font le coup de l’intermède publicitaire – leur électricité, leur assurance, leur poste. Un sponsor est fait pour être remercié, pas écouté, non?

Parmi les plus inspirés, les comédiens. On retiendra l’humour de la Genevoise Natacha Koutchoumov, meilleur second rôle, accueillie triomphalement par le public: «Je vais vous dire la vraie différence entre les rôles. Il y a des rôles qui ont un prénom et un nom de famille. Et ceux qui n’ont qu’un prénom. Et moi, j’ai longtemps joué des personnages qui n’avaient ni prénom, ni nom… Par exemple: ‘Une cliente. Ou ‘Femme flic 3’. Mais le pire, c’était: ‘Femme de ménage colérique’, avec précisé entre parenthèse: ‘de loin’». Dur métier.

Ou la formidable présence de Jean-Luc Bideau, sacré meilleur rôle principal, qui commencera sur le registre de l’humour: «Tout à l’heure, j’ai été pisser… et à côté de moi il y avait aussi un 1er rôle qui se présentait. On ne se connaissait pas. C’est toujours émouvant de rencontrer un collègue suisse allemand dans un pissoir. J’espère vraiment, putain, qu’on va réussir à harmoniser la Suisse romande, la Suisse allemande et la Suisse italienne!» Avant de conclure par un «Merci la vie» touchant, puis de bifurquer dans la langue de Goethe et dans celle de Dante.

On retiendra l’émotion de l’équipe de «Nachbeben», et la simplicité de Fredi M. Murer, Prix du meilleur long métrage de fiction pour «Vitus», une récompense parfaitement légitime: «Vitus» est un film magnifique.

A noter aussi les duettistes Nicolas Bideau et Pascal Couchepin, avec un sketch dûment appris qui aura permis à Soleure de se rassurer… Le ministre de la culture et son lieutenant n’envisagent pas de déplacer le Prix du cinéma suisse dans un autre lieu.

Osons!

Les lumières de la fête peuvent s’éteindre, la foule quitter la salle. Quelques mots échangés avec Jean-Luc Bideau: «Je n’avais pas nécessairement envie de recevoir ce prix, parce que je suis protestant et j’aime mieux donner que recevoir. Mais là, à la dernière minute, le cœur a battu plus fort parce que c’est toujours une sorte de récompense à la con, et tu ne peux pas ne pas y être un peu sensible. Je dois beaucoup à pas mal de gens…»

Quelques mots encore avec un membre du jury, le Français Serge Sobczynski, l’un des organisateurs du Festival de Cannes. «Nous avons vu une quinzaine de films. Et ce sont des films très variés, qui balaient l’ensemble des paysages du cinéma. La tragédie, l’humour, la critique sociale, l’ironie, le cynisme. Cela exprime un très fort dynamisme».

S’il faut le smoking pour que le public se rende compte que le cinéma suisse est de retour, pas de problème… osons le smoking!

swissinfo, Bernard Léchot à Soleure

Film de fiction: «Vitus» de Fredi M. Murer

Prix spécial du jury: l’équipe de «Nachbeben» de Stina Werenfels

Scénario: «Das Fraülein» de Andrea Staka

Rôle principal: Jean-Luc Bideau dans «Mon frère se marie» de Jean-Stéphane Bron

Rôle secondaire: Natacha Koutchomov dans «Pas de panique» de Denis Rabaglia

Documentaire: «The Short Life of José Antonio Gutierrez» de Heidi Specogna

Court-métrage: «Feierabend» de Alex E. Kleinberger

Film d’animation: «Wolkenbruch» de Simon Eltz

Le Prix du cinéma suisse, attribué pour la première fois en 1998, est la plus importante distinction décernée à des productions helvétiques de différentes catégories.

La cérémonie de remise des prix a lieu chaque année en janvier, en marge des Journées cinématographiques de Soleure.

Elle est organisé par l’Office fédéral de la culture, en partenariat avec Swiss Films, SRG SSR idée suisse, le Festival international du Film de Locarno, le Festival ‘Visions du réel’ de Nyon et les Journées cinématographiques de Soleure.

Les récompenses pour le meilleur film de fiction et le meilleur documentaire sont dotées chacune d’un montant de 60’000 francs.

Le jury, composé de sept membres, était présidé cette année par Charles Lewinski, auteur de séries télévisées et écrivain.

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