Regard inédit sur le travail d’Herzog & de Meuron
Evénement: les deux architectes bâlois présentent, au Schaulager de Bâle, 25 ans de travaux selon un concept inédit.
L’exposition s’attache aux étapes intermédiaires, aux recherches et expérimentations rejetées par la suite. De fascinants déchets.
«Il faut bien que quelqu’un travaille!» Mercredi à Bâle, lors de la présentation à la presse de l’exposition «Herzog & de Meuron. No 250», Jacques Herzog a ainsi expliqué, en plaisantant, l’absence de son collègue Pierre de Meuron.
C’est donc Jacques Herzog, comme souvent, qui a présenté le dernier travail labellisé «H&dM», abréviation qui cache en fait un bureau de six architectes partenaires occupant près de 200 personnes.
L’exposition, qui s’ouvre ce samedi, est inédite à plus d’un titre: «Des architectes exposant dans un de leurs bâtiments, c’est déjà exceptionnel», a déclaré la directrice du Schaulager, Theodora Vischer.
Exposition canadienne abandonnée
Inauguré en mai 2003, ce «dépôt-expositon» qui abrite les œuvres de la Fondation Emanuel Hoffmann, accessibles seulement aux professionnels, a en effet été construit par Herzog & de Meuron.
De plus, le Schaulager et les architectes ont décidé de ne pas présenter, comme il est habituel de le faire, les bâtiments construits dans un ordre chronologique, comme «les perles d’un collier», dit Theodora Vischer.
Le Schaulager prévoyait initialement de reprendre l’exposition consacrée à Montréal aux deux architectes suisses, sous le titre «Archéologie de l’imaginaire» d’octobre 2002 à avril 2003.
Comment les bâtiments naissent
«Mais cette exposition s’est révélée trop petite, explique la directrice. Nous aurions dû la ‘gonfler’. Et nous nous sommes rendus compte que, davantage que sur un thème, nous voulions nous concentrer sur l’architecture en tant que telle, sur le processus de création.»
Pour Jacques Herzog, ce numéro 250 (l’exposition se voit attribuée une place numérotée dans le catalogue des œuvres des architectes) «n’est pas seulement une exposition.»
«Nous avons consacré énormément de temps, de matériel, de personnel pour réaliser ce travail. Très peu d’endroits, dans le monde, permettent de faire une chose pareille», a énuméré l’architecte.
Jacques Herzog en est même convaincu: «C’est probablement une des plus grandes expositions d’architecture qui ait jamais eu lieu», a-t-il dit.
Les recherches de matériaux, dessins, expérimentations sur les formes sont exposées sur 35 tables représentant des plans et des vues aériennes de ville.
«Métaphore de la ville»
«Nous avons repris cette idée de notre exposition avec Rémy Zaugg au Centre Pompidou en 1995, où les tables représentaient des métaphores de villes, mais ici, la ville est encore plus librement, plus diversement organisée.»
Mais la très grande diversité des formes, des couleurs et des matériaux rend aussi l’exposition fascinante. Les architectes ne se contentent pas d’un style qu’ils adapteraient selon les commandes.
Comme un enfant hésitant entre plusieurs pièces de «Lego», le visiteur tourne autour de plaquettes de bois posées les unes sur les autres, scrute des petits tubes en métal tordus ou troués, des bouts de mousse, ou encore des matériaux hyper-artificiels, comme du silicone, alliés à des matériaux hyper-naturels comme du cuir.
L’«aura» des déchets
Ces expérimentations, dessinées ou modélisées, sont appelées «déchets» par leurs auteurs. «Ils ont une certaine aura, un peu comme des œuvres d’art, dit Jacques Herzog, parce qu’ils nous ont aidés à aller vers une nouvelle étape.»
Mais il n’y a pas que des déchets: l’extrait de maquette du futur stade de Pékin correspond au projet adopté. Dans une salle annexe, les projets de développement de deux quartiers chinois sont également en cours de réalisation. D’autres projets en revanche n’ont pas vu le jour.
«Notre manière de travailler a énormément changé en 25 ans, ce qui est normal puisque le monde a lui aussi énormément changé. Mais le changement n’est pas en soi une chose positive.»
Dans la petite brochure éditée à l’occasion de l’exposition, l’architecte précise par exemple sa méfiance vis-à-vis des modélisations virtuelles effectuées par ordinateur.
«Lorsqu’on voit depuis le début des images virtuelles, on ne peut pas savoir quel sera le rapport avec la réalité physique. Dans ce sens, les maquettes sont encore des témoignages d’une compréhension archaïque du corps et de la réalité.»
Un archaïsme que le Bâlois revendique: «Une architecture qui se limite à l’expérience visuelle est une architecture morte.»
Ce qui ne veut pas dire qu’Herzog et de Meuron rejettent le travail informatique. Le potentiel du collage digital – ou de la superposition quasi infinie de données, photos, plans, etc. – a été exploité pour…le Schaulager précisément. Une salle documente ce que les architectes appellent leur «sourcebook».
L’exposition est complétée par des vidéos d’artistes montrant les bâtiments dans leur vie quotidienne, par une présentation de la collaboration avec l’artiste jurassien Rémy Zaugg et par une présentation de leurs travaux de recherche et d’enseignement.
«Des rêves sucrés»
Enfin, cherchant un moyen ludique de proposer un souvenir aux visiteurs, «un morceau d’architecture à emporter, quelque chose qui soit moins stupide qu’une casquette ou un t-shirt», les architectes ont failli se transformer en pâtissiers-confiseurs.
«Nous avons songé à fabriquer la Tate en sucre ou des mini-Schaulager en massepain, mais cela aurait été absurde et ne conduisait qu’à ironiser sur notre œuvre», explique Jacques Herzog.
Résultat: Herzog & de Meuron ont inventé des «sweet dreams», une sorte de maquette de paysage fantastique, avec des pics de plastique rouge flamboyant, vendus aussi à l’unité et fabriqués à partir d’un alliage de sucre fondu. La recherche sur les matériaux n’a pas de limite!
swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Bâle
«Herzog & de Meuron. No 250», Schaulager de Bâle, du 8 mai au 12 septembre.
– Amis d’enfance, les deux architectes ont développé une complicité professionnelle qui les a conduits à ouvrir un bureau ensemble en 1978, à Bâle.
– Leur bureau compte aujourd’hui au total six partenaires et près de 200 collaborateurs.
– Herzog & de Meuron ont conçu des bâtiments qui comptent parmi les réalisations les plus marquantes de ces dernières années.
– Ils ont ainsi construit la Tate Modern Gallery à Londres, le stade St-Jacques à Bâle (en cours d’agrandissement), le bâtiment Prada à Tokyo.
– Parmi les œuvres en chantier, on trouve le stade principal des futurs Jeux olympiques de Pékin en 2008, le futur stade de Munich et des quartiers entiers à Shanghai et Jinhua (Chine).
– Herzog & de Meuron ont reçu en 2001 le Prix Pritzker, le Prix Nobel d’architecture.
– Avec Marcel Meili et Roger Diener, ils animent en outre le «ETH Studio Basel», au départ un «garage» de réflexion et d’enseignement qui a été intégré dans l’Institut «Réseau Ville et paysage» (NSL) de l’EPF.
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