Remix artistique au Palais de Tokyo
Invité par Marc-Olivier Wahler, patron neuchâtelois du musée parisien, le Schwytzois Ugo Rondinone a reçu carte blanche pour mettre en scène «The Third Mind».
Cet assemblage d’une «constellation» d’une trentaine d’artistes, dont plusieurs Suisses, métamorphose le concept d’exposition en une sorte d’installation géante et collective. Et pleine de poésie.
«Ce n’est ni un livre, ni un opéra, mais un espace qu’on traverse physiquement, avec son corps, en rencontrant certaines expériences. C’est un médium d’exposition en soi, qui ne ressemble à rien d’autre», s’enthousiasme Marc-Olivier Wahler, curateur du Palais de Tokyo depuis un an.
La carte blanche à un artiste est à nouveau une pratique très en vogue actuellement. Marc-Olivier Wahler a donné toute liberté à Ugo Rondinone de définir son programme d’exposition. La promenade dans les grandes salles du Palais de Tokyo invite à la réflexion sur les processus de création… et cela vaut le coup.
«The third mind» (le troisième esprit) est donc le produit des choix personnels du Schwytzois. Ce touche-à-tout, nourri du cinéma de Godard ou de Fassbinder, a du génie pour scénariser l’espace. A Paris, il a mis ce talent au service des œuvres des autres, entre lesquels il établit des correspondances.
Décloisonner les catégories
Ugo Rondinone préfère le terme de «constellation». «J’aurais même voulu modifier l’accrochage toutes les six semaines, mais ce n’était pas possible pour des raisons pratiques».
Marc-Olivier Wahler parle, lui, de «cartographie du cerveau de l’artiste». «Il faut en finir avec la ‘vision fenêtre’ de l’art, qui considère les œuvres comme des points fixes dans le temps et l’espace, explique-t-il. Au lieu d’exposer ses propres travaux, Rondinone choisit des œuvres qui font sens pour lui. Donc il a rajouté une couche, d’une certaine manière.»
Cette (re)mise en contexte emprunte son titre au livre conçu en 1965 par l’écrivain culte de la «Beat Generation» américaine, William S. Burroughs (1914-1997), associé à l’artiste britannique de père suisse Brion Gysin (1916-1986).
Revenant sur les expériences des surréalistes, ils ont découpé et recomposé («cut-up») des fragments de phrases pour leur donner un sens nouveau. En voyant le résultat, ils ont pensé qu’il émanait d’un «troisième cerveau» réunissant leurs deux personnalités dans cette équation: 1+1=3.
Ugo Rondinone a rendu une sorte d’hommage à ce livre en adoptant la même démarche de remixage de différents artistes. L’exposition propose de grands noms, avec Andy Warhol, Nancy Grossman, Bruno Gironcoli, Sarah Lucas, Ronald Bladen…
Les Suisses bien représentés
Mais les Suisses ne sont pas oubliés, avec Hans Josephsohn, «qui n’avait jamais exposé à l’étranger», précise Ugo Rondinone. Le sculpteur zurichois de 87 ans présente ses personnages allongés, aux formes généreuses et brouillées, comme chiffonnées dans le bronze.
Il y a aussi l’étrange Emma Kunz (1892-1963), artiste et guérisseuse sortie tout droit des médecines traditionnelles de Suisse orientale. Ses grands dessins géométriques (sans titres ni dates), à la mine de plomb, aux crayons ou à la craie sur papier millimétré, sont le résultat de ses recherches sur les forces énergétiques et spirituelles.
Et encore Urs Fischer, avec qui Rondinone a présenté un travail commun à la Biennale de Venise 2007. «Madame Fisscher» (1999/2000) est l’atelier de l’artiste pendant sa résidence à Londres, rapatrié à son retour en Suisse avec tout son contenu et transformé en installation.
Ou Jean-Frédéric Schnyder, qui conjugue le kitsch et l’art populaire avec une forte pointe d’humour. A Paris, le Zougois présente la série de peinture des 75 «Wartesäle» (salles d’attente) désertes «comme une absence qui viendrait habiter le médium même de la peinture».
Et enfin le Valaisan Valentin Carron, avec une série d’imposantes sculptures de croix noires combinant l’expression de la religion, le monument funéraire, le kitsch et l’abstraction minimale.
L’ombre de Marcel Duchamp
Le coup de cœur de swissinfo va à Robert Gober. Sculptés à la main, les éviers blanchâtres de l’Américain rappellent immanquablement la célèbre «Fontaine» du franco-américain Marcel Duchamp qui, en exposant un urinoir en 1917, a posé la question sans fond de l’essence de l’art.
«Tout ramène à Duchamp, quoi qu’on fasse et qu’on le veuille ou non, parce qu’il est à la base de l’œuvre d’art dans sa structure même», affirme Marc-Olivier Wahler.
swissinfo, Isabelle Eichenberger à Paris
Construit en 1937 pour accueillir les musées d’art moderne de Paris pour l’Exposition internationale des arts et techniques sur le Quai de Tokyo, d’où son nom actuel.
En 1999, il devient «site de création contemporaine» et offre 50 à 100 événements par an. Il reçoit près de 19’000 visiteurs par mois.
A voir aussi au Palais de Tokyo, le module-chambre flottant créé par les Suisses Sabina Lang/Daniel Baumann pour le site neuchâtelois d’Expo.02.
Né en 1964 à Brunnen (Schwyz), il vit à New York. Il a représenté la Suisse à la 52e Biennale de Venise de 2007.
Il joue avec son personnage de clown triste ou de gravure de mode pour s’interroger sur le statut de l’artiste dans la société et dans l’histoire de l’art.
Touche à tout, il produit des installations, photos, peintures, sculptures, néons, dessins ou écrits poétiques.
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