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Richard Dindo, un autre monde, coûte que coûte

La planète Mars ou l'Utah? SP

Le cinéaste présente deux films à Soleure: «The Marsdreamers», sur d’étranges Américains qui rêvent passionnément de Mars, et un documentaire consacré à l’exil de Gauguin. Comme toujours chez Dindo, des hymnes au droit à la rébellion. Entretien.

Du désert de Mojave au pueblo de Taos en passant par Las Vegas, Roswell ou Houston, Richard Dindo a promené sa caméra dans les paysages rouges du sud-ouest américain. Des paysages rouges comme ceux de la planète Mars, qui suscite – qui le savait? – une passion dévorante chez un certain nombre d’Américains.

Lesquels échafaudent des plans, des maquettes, envisagent ce Nouveau Monde qu’ils rêvent de créer, un jour, là-bas, si loin, en dignes descendants des débarqués du Mayflower. Ce n’est pas qu’ils méprisent la Terre, loin de là. Mais ils rêvent d’un nouveau départ, d’une Terra Incognita où tout pourrait renaître de zéro. Gauguin aussi rêvait d’un ailleurs. Ce fut Tahiti, puis les Marquises. Là également, Richard Dindo est allé filmer la vibration des lieux…

swissinfo.ch: On pourrait se dire que ces deux films n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Je pense pourtant qu’ils entretiennent un vrai lien…

Richard Dindo: Il y a toujours des liens. Gauguin est aussi un film qui défend la nature. Aujourd’hui, nous, les gens de gauche, sommes obligés d’aider les capitalistes à sauver la Terre! Gauguin est parti à Tahiti parce qu’il était l’un des premiers à comprendre que l’industrialisation mènera à la destruction de la Terre. Mais à Tahiti, il s’est révolté contre ce paradis qui n’en était plus un: il rêvait d’un paradis, il est tombé sur des gendarmes et des missionnaires! Ce film est donc aussi un film qui parle de choses profondes, liées à l’évolution de l’humanité, mais à travers une défense de l’artiste qu’était Gauguin.

swissinfo.ch: Vous aviez déjà suivi les traces de personnages célèbres – Genet, Rimbaud, Che Guevara – avec ce regard sur l’enracinement d’un destin dans un lieu.

R.D.: Je pars souvent sur l’idée du paysage. J’avais envie de filmer des paysages tahitiens. Et j’ai fait cet autre film aux Etats-Unis, parce que j’avais envie de filmer des paysages américains, et de les comparer au paysage martien. Ce sont aussi des réflexions sur l’évolution de la nature, du monde.

Pour ce qui est de Gauguin, j’ai sorti des musées les tableaux de Gauguin pour les rendre à la nature! Gauguin, comme la plupart de mes personnages, est un rebelle, un homme violemment libre. Quelqu’un de sous-estimé qui se révolte. Il y a des similitudes entre les personnages que je suis: Genet, Rimbaud, Guevara, Gauguin, ce sont de grands révoltés. J’aime l’homme en révolte, dans le sens camusien du terme. J’aime les gens qui ont une capacité de rêve et qui nagent contre le courant.

swissinfo.ch: Par moments, «The Marsdreamers» suscite des rires dans la salle. Et pourtant, là aussi, avec ces passionnés de Mars, on a affaire à des gens qui vont à contre-courant. Des gens qui, avec parfois beaucoup de naïveté il est vrai, ont un extraordinaire sens de l’utopie…

R.D.: Quand j’ai recherché de l’argent auprès de la Confédération pour le financement de mon film, on m’a reproché ma naïveté. Comme si un homme de 65 ans qui a fait 27 films dans sa vie pouvait être un homme naïf, dans le sens péjoratif du terme. On m’a demandé pourquoi je n’étais pas plus critique à l’égard de ces ‘Marsdreamers’. Mais qui suis-je pour critiquer des gens qui ont un rêve? Le principe du cinéma documentaire, c’est le respect de l’autre. Mais c’est vrai que j’utilise un peu d’humour, une distance légèrement ironique, et c’est cela qui fait rire les gens.

swissinfo.ch: Il y a un parallèle très fort entre ce peuple de migrants, ces descendants – symboliques – du Mayflower, qui, à leur tour, rêvent d’un nouveau Nouveau Monde…

R.D.: Ce que j’ai appris en réalisant ce film, c’est le destin nomade de l’humanité, le fait qu’elle recherche toujours autre chose. C’est d’ailleurs ainsi qu’elle est devenue ce qu’elle est aujourd’hui. Et les Américains, plus que d’autres, après avoir atteint la Californie, ce bout du monde, sont un peuple de nomades. Il est certain que, tôt ou tard, l’humanité ira ailleurs, sur d’autres planètes. Et du même coup, on cherchera peut-être à sauver la Terre elle-même. Aller ailleurs, c’est le destin de l’humanité, puisque c’est notre curiosité et notre rêve qui nous distinguent des animaux, nous rendent humains.

swissinfo.ch: A Las Vegas, un astrophysicien a cette phrase: «On ne peut pas réaliser des choses qu’on n’a pas rêvées auparavant. Et on ne peut pas faire quelque chose sans prendre des risques».

R.D. : Oui, c’est très américain. J’aime beaucoup l’Amérique, tout en étant très suspicieux par rapport à sa politique, à son idéologie, qui me sont totalement étrangères. Mais j’aime l’optimisme américain. C’est un optimisme un peu naïf, un peu béat, parce qu’il leur manque la dialectique, qu’ils perçoivent comme une maladie rouge! Mais je crois qu’il vaut mieux être optimiste que pessimiste. Le pessimisme suisse – alémanique en particulier – est paralysant. Moi-même, je me sens paralysé par mon propre pessimisme, souvent assez noir.

J’aime donc l’optimisme à l’américaine ou à la française. Je lisais récemment un livre sur la Révolution française, écrit par un historien qui dit ceci: «La foi en la révolution est la foi en l’impossible». Je crois que c’est quelque chose que les Suisses ne peuvent pas comprendre. Que les paysans ne peuvent pas comprendre. Comme Sade qui dit: «Tout ce qui est excessif est bon». Alors que le paysan suisse dira toujours: «Tout ce qui est excessif est mauvais».

Les gens qui font bouger les choses sont ceux qui ont la force du rêve, ce qui manque ici. Ici, régulièrement, des Alémaniques me disent en parlant des ‘Marsdreamers’: «Mais ce sont tous des fous, ces gens! En Suisse alémanique, la fiction est du mensonge. Et le rêve de la folie. C’est cela, le pessimisme.

swissinfo.ch: L’idée du départ, de l’exil, c’est quelque chose qui vous travaille à titre personnel?

R.D.: J’ai toujours vécu en exil. Je suis d’origine italienne. La Suisse est un chez-moi où je vis en tant qu’étranger. Je me suis toujours senti étranger sur cette terre… Et donc l’exil est le lieu où j’ai toujours vécu.

Je pense que pour les Suisses en particulier, lorsqu’on vit dans un pays aussi étroit, dans sa nature comme dans les esprits, il est important de partir, peut-être avec l’idée de revenir. Mais c’est indispensable pour élargir notre horizon, aller au bout de nous-mêmes… A 20 ans, je suis parti à Paris. Jamais je ne serais devenu cinéaste si je n’étais pas parti à Paris.

Bernard Léchot, Soleure, swissinfo.ch

Zurich. D’origine italienne, Richard Dindo est né en 1944 à Zurich.

«Romand». Travaillant entre Zurich et Paris, il se considère néanmoins comme «Suisse romand de coeur».

Politique. Son cinéma documentaire est caractérisé par une vision résolument politique du monde.

Actualité. Une vision qui se traduit notamment à travers un regard aigu sur certains faits historiques ou d’actualité:

– Schweizer im spanischen Bürgerkrieg (1974)

– Dani, Michi, Renato & Max (1987)

– L’Affaire Grüninger (1998)

– The Marsdreamer (2009)

Portraits. Ou une relecture souvent engagée de destins célèbres :

– Arthur Rimbaud, une biographie (1991)

– Ernesto «Che» Guevara: le Journal de Bolivie (1994)

– Genet à Chatila (1999)

– Qui était Kafka? (2006)

– Gauguin à Tahiti et aux Marquises (2009)

«The Marsdreamers» («Vivre sur Mars») sortira le 6 février en Suisse allemande, le 10 février à Genève et à Lausanne.

«Gauguin à Tahiti et aux Marquises» est un film de télévision. Programmé à télévision alémanique, la télévision romande n’est pas encore portée acquéreuse.

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