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Rolf Kesselring, ‘arpenteur d’existence’

Chez lui, Rolf Kesselring et son ami Corto. swissinfo.ch

De l'ancien couvent ardéchois où il vit, l’écrivain répond à nos questions….

L’occasion de parler de maisons, de femmes, de trajectoire. De la difficulté de communiquer, mais aussi de la vie qui bouillonne…

swissinfo: Le roman s’intitule ‘Piège’… Or son titre original était ‘Can Cargol’. N’a-t-il pas été trop dur pour vous de céder aux desiderata de l’éditeur?

Rolf Kesselring: Si, ça a été très dur. Pour moi, il s’intitule encore Can Cargol! Les pressions de l’éditeur et du diffuseur conjuguées, et parce que j’avais commencé à l’écrire en 89, que je voulais le sortir de moi, ont fait que j’ai cédé.

Mais je n’aime pas ce titre, même s’il reflète assez bien le traquenard de pierre que représentent ces maisons, dans ma tête. Ces constructions énormes ont une forte influence sur les gens qui les habitent. Je le sais! J’ai vécu et terminé ce livre dans une de ces massias: celle où j’ai vécu, mais en France, pendant plus de huit ans! Ce sont de vrais pièges!

swissinfo: Chaleur, tension, angoisses… et sexe, aussi. Pourquoi la description des ébats des habitants de Can Cargol a-t-elle pris une telle place dans le récit?

R.K.: Je ne sais pas! Peut-être parce que ma vie est faite de tout ça bien emmêlé… Aussi parce que je crois que la vie est faite de coups de chaleur, de crises malignes de fièvres, de passions retenues qui explosent et ravagent les humains.

Les angoisses sont aussi motrices de nos faits et gestes. On croit conduire son existence, mais on s’aperçoit un jour que nous ne sommes que les marionnettes de nos crises intimes, de nos peurs essentielles. Mes personnages sont à l’image de notre condition (in)humaine.

Le côté clinique et très descriptif des scènes de sexe ne vient pas de moi, ce sont mes personnages qui me les ont proposées, exigées peut-être. Je savais aussi que cela pouvait déplaire.

swissinfo: Femme névrosée (Rosita), ingérable (Nuria), véritable salope (Gillian)… Les femmes ne sortent pas particulièrement grandies de ce roman, non?

R.K.: La question n’est pas de savoir si les femmes sortent grandies de ce type de roman. Sur le plan du courage, de la noblesse, de la force, de l’énergie, de la beauté, les femmes n’ont rien à prouver, à nous prouver! Et puis, il ne s’agit que de trois d’entre elles. Un échantillon, si je peux dire, un échantillon qui jaillit de ce roman – de ma propre existence?.

Non, la véritable question aurait été: pourquoi sont-elle devenues, qui névrosées, qui ingérables, qui vraies salopes? Quelle est la part coupable des hommes, de la société, de notre lâcheté à nous les mâles, face à des êtres différents, plus sensibles, plus rêveurs, face à cette moitié de l’humanité, dont parlait Arthur Koestler dans son «Testament espagnol».

Et la difficulté, en tout cas pour moi, a été de les aimer comme un fou, comme à la première heure, malgré tout ce qui pourrait apparaître comme des défauts, et que je dis être, simplement, des traits de caractère inhérents à la vie qu’on leur propose en tant que femme.

A la fameuse question: «L’homme est-il bon?», je rétorquerai : «Et, elle, la femme est-elle bonne, à force de rêves brisés, d’espoir corrodés, d’illusions perdues?»

L’amour rend aveugle, dit-on? Ce n’est pas vrai! Je suis de plus en plus clairvoyant à force d’âge et d’expérience; mais aussi de plus en plus amoureux et de toutes les Rosita, de toutes les Nuria, de toutes les Gillian, de toutes les jeunes ou de toutes les vieilles… et cela ne date pas d’hier ! Il n’y a qu’à relire le couplet sur ma mère dans «La 4ème Classe».

swissinfo: Volonté d’isolement, impossibilité pour Félix de partager ses passions… La grande question de ‘Piège’ n’est-elle pas l’impossibilité pour l’homme de communiquer ce qu’il y a de profond, de fondamental, en lui?

R.K.: C’est exactement de ça qu’il s’agit! Quand, dans les années 70, Hélène Cixous publiait un bouquin intitulé «Du côté des petites filles» (Editions des Femmes, Paris), j’ai toujours dit qu’il faudrait écrire le même constat révélateur «du côté des petits garçons».

Ce bouquin m’avait décillé l’esprit, ouvert au bonheur de l’esprit des femmes. Ma plus grande amie et compagne en littérature est Françoise d’Eaubonne, l’indécrottable féministe amie de Simone de Beauvoir, à l’époque. Elle a lu «Piège» et, comme elle n’a plus aucune inhibition (à 85 ans et plus!), elle a aimé. Elle parle d’à-pic, de vertiges, de déchirure.

D’ailleurs, mon héros n’est pas tellement un autre, finalement… Un aveu? Je n’ai jamais dit «je t’aime» aux femmes qui m’ont fait vivre. C’est pourquoi, désormais je vis seul et vole, de temps à autre, quelques secondes d’éternité, de complicité avec des amies. Plus solitaire et autiste que jamais.

J’ajoute que dans ce bouquin, je ne suis ni moraliste ni philosophe. Tout juste un simple arpenteur d’existence… la mienne et quelques autres.

Interview swissinfo, propos recueillis par Bernard Léchot

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