Rolf Kesselring: Tell, Winkelried et les autres
«Cartes postales» de créateurs suisses expatriés... Rolf Kesselring, écrivain, ancien éditeur, nous adresse son courrier de la région de Nîmes.
Lorsque j’ai quitté la Suisse pour Paris, puis, plus tard, vaincu par la pollution et le nombre d’heures de vol à mon compteur, pour la patrie de la lavande, j’étais fâché. Je ne voulais plus vivre dans un pays que je trouvais frileux et peu solidaire du reste du monde. Je crois même avoir dit «que je m’évadais en Europe».
Vu de ma grotte
Malgré cette rancœur encore présente, je ne peux m’empêcher de me tenir au courant de ce qui se passe entre Jura et Alpes, entre Rhône et Rhin. C’est comme ça. Je ne suis certainement pas «nationaliste» au sens où l’entendent les sbires de certains mouvements politiques archaïsants et débiles, mais le goût de cette pâte à tartiner brune et malodorante, m’est resté de mes goûters de jeunesse.
J’ai aussi gardé, dans la mémoire de mon œil, cette lumière si particulière des petits matins dans la vallée du Rhône ; brumes légères épousant les rayons du soleil levant. Et je ne parle pas de la saucisse aux choux ou des petits vins blancs caillouteux et chantants qu’on produit du côté d’Aigle ou d’Yvorne.
Suisse, vous avez dit Suisse?
Malgré tous ces souvenirs et toutes ces nostalgies, je gardais ma fâcherie et c’était toujours d’un œil critique, pour ne pas dire accusateur, que je regardais l’évolution de mon pays d’origine. Je me disais: «à force de neutralité, ils finiront par s’enfermer entre ces montagnes (pourtant si belles) et jamais en sortir».
J’imaginais une grande banque à secret dans laquelle tout un peuple sur la défensive vivrait, désormais, en observant le monde par des lucarnes et des meurtrières. Bref, à force, j’étais devenu supporter de l’équipe de France de football, faute de délires ordinaires à me mettre sous l’enthousiasme. Remarquez que cela, au moins, m’a procuré quelques menus plaisirs et par les temps qui courent…
Le réveil de Guillaume Tell
Et puis, récemment, j’ai eu la surprise de ce vote qui, enfin, allait permettre à la Suisse d’entrer dans le grand machin mondial, cette ONU qui faisait, naguère, si peur à mes concitoyens. C’était un premier pas, un premier signe. Cela m’a fait du bien.
Puis, surprise, il y a quelques jours, les autorités fédérales, par le truchement du Département fédéral des affaires étrangères, a «exigé» officiellement, du gouvernement israélien, la «libération» d’Yasser Arafat.
J’ai eu l’impression que les trois comploteurs du Grütli, que Guillaume Tell, Winkelried et quelques autres gaillards qui façonnèrent notre pays, se réveillaient enfin. Ne reste qu’un petit effort pour que nous retrouvions enfin l’esprit de nos pères! J’ai quitté le pays fâché mais depuis quelques jours, je ne sais pas pourquoi, je le suis un peu moins…
Rolf Kesselring
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