Sardou, enfin libre
La star française chantait samedi soir à l’occasion d’un concert open air au Stade de Tourbillon, à Sion. Un Sardou détendu, oscillant entre chansons introspectives et tubes de toujours rafraîchis par des arrangements de bon goût...
Alors qu’une pétition circule sur le web afin de pousser Michel Sardou à chanter un jour au Stade de France, c’est à Sion, dans le canton du Valais, que le public aura eu la primeur d’entendre la star française chanter dans un stade.
Et si Sion n’est pas Saint-Denis, les silhouettes illuminées du château de Tourbillon et de l’église de Valère, qui dominent la cité, valaient bien ce soir-là, en guise de décor, le sanctuaire des Rois de France….
C’est en 25 chansons que Sardou, samedi, a tenté de faire le tour de Sardou. 25 chansons, c’est beaucoup pour un spectacle, c’est peu pour résumer un parcours tel que celui du fils des comédiens Fernand et Jacky Sardou, né en janvier 1947 à Paris, et qui depuis 1970, collectionne les tubes avec un aplomb inébranlable.
Sardou, qui déchaîna la bêtise de gauche (la droite n’en a pas le monopole) dans les années 70, car jugé ‘réac’ et ‘facho’. On avait le sens du raccourci dans ces années-là.
Sardou, que l’intelligentsia et les branchés de tous poils ont toujours méprisé. Pour de bonnes raisons parfois, de mauvaises souvent.
Mais voilà… Les uns ont usé leurs griffes. Et les autres ont épuisé leur venin. Quant à Sardou, et bien, n’ayant plus grand chose à prouver, il semble pouvoir être enfin totalement lui-même, désormais sans forcer le trait.
Du plaisir!
Alors Sardou s’amuse. Arrive sur scène en chantant «Du plaisir», tiré de son dernier album, et pique un sprint quasiment jaggerien pour traverser la scène sur fond de guitares saturées. Inattendu.
Derrière lui, un décor sobre – panneaux et rideaux gris métallisés qu’irisent des lumières somptueuses. Et un groupe resserré: l’heure n’est plus aux débauches de cuivres et de synthés. Deux guitaristes, deux claviers, basse, batterie.
Auxquels s’ajoutent tout de même trois choristes et, en cours de route, un groupe de cordes, violons et violoncelles tenus par des musiciennes qui ont été choisies, manifestement, autant pour leurs qualités plastiques que musicales.
Quoi qu’il en soit, sous la houlette de l’arrangeur Pierre-Jean Scavino, les musiciens apportent un rafraîchissement bienvenu au répertoire de Sardou.
Nouveaux éclairages
Si c’est surtout en terme d’électricité musclée que l’évolution a lieu sur des titres comme «Marie-Jeanne» ou «Chanteur de jazz», c’est en véritable émotion que «Je ne suis pas mort, je dors» ou «Je vais t’aimer» ont gagné. Des nuances pour remplacer le pompiérisme dont Sardou usait et abusait auparavant.
Sur plusieurs titres, Sardou s’affranchit de l’esprit ‘variétés’ qui gâchait parfois, souvent, son répertoire. «Une fille aux yeux clairs», cette hymne à la mère, est un instant de pure délicatesse. Comme «Le privilège», ce regard sensible sur l’homosexualité. Et «J’accuse» devient enfin le brûlot rock qu’il aurait dû toujours être. Mais à l’époque de sa sortie, le disco était roi…
Et des chansons oubliées comme «Un accident» renaissent avec une force inouïe. Le cri de cet homme au bord de la mort (‘Je vous en prie, trouvez ma femme, mais n’appelez pas mes parents’), noyé dans des guitares torturées, suscite, en passant, deux questions…
Qui d’autre que Sardou aurait eu le culot de tirer un single d’une thématique pareille? Et, deuxièmement, les radios d’aujourd’hui oseraient-elle diffuser dans leur play-lists une chanson aussi désespérée et si peu ‘formatée? La première réponse est: personne. La seconde: non.
La force du répertoire est tellement évidente que Sardou peut même se permettre de reprendre en rigolant «Les bals populaires». «Vous me faites faire n’importe quoi!» lance-t-il au public ravi.
Apaisé
Au Stade de Tourbillon, samedi soir, Sardou ne s’est pas contenté de plonger dans son passé. Outre un clin d’œil à Barbara, là-haut dans le ciel étoilé, avec une reprise réussie de «L’Aigle noir», il a glissé dans son répertoire de nombreux extraits de son dernier disque.
Album d’homme mûr, entre nostalgie et acceptation de la page tournée: « Recommencer ma vie… non merci». Reconnaissance de ses faiblesses, aussi: «Je ne serai jamais un homme comme l’écrivait Kipling.»
Et enfin, dans une chanson des années 90, « Salut », la pirouette qui remet tout en question: «Je ne suis pas l’homme de mes chansons, voilà»…
Dans la nuit sédunoise, le Stade de Tourbillon va pour finir connaître un crescendo magique: «Loin», «Musulmanes», «Les Lacs du Connemara», chanté intégralement en compagnie d’environ quatorze mille choristes. Puis une accalmie progressive, avec «Salut» justement, et «Dis-moi»…
Car Sardou est désormais libre. Libre de conclure un spectacle par une chanson qui n’est pas un tube. Libre de jouer du rock. Libre de faire la gueule et d’en rigoler. Libre de sourire, aussi. Libre de chanter des chansons populaires et néanmoins intelligentes.
swissinfo, Bernard Léchot à Sion
– Michel Sardou est né à Paris le 26 janvier 1947. Fils des comédiens Fernand et Jacky Sardou.
– Après des études difficiles, Sardou s’approche du théâtre et rencontre Michel Fugain; premières chansons. Il se fait remarquer en 1967 avec «Les Ricains», première – et de loin pas dernière – chanson à contre-courant!
– Chanteur populaire, mais chanteur controversé («Je suis pour», «Le temps des colonies»), il va se heurter à une vraie croisade anti-Sardou au milieu des années 70. Mais le talent, l’impact populaire et la longévité de Sardou auront raison des critiques.
– Après avoir renoué avec le théâtre en tant que comédien et propriétaire (Théâtre de la Porte St-Martin de 2001 à 2005), il effectue un retour couronné de succès en 2004 avec l’album «Du plaisir».
– Michel Sardou a été élu deuxième personnalité préférée des Français en janvier 2005, juste derrière Zinédine Zidane.
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