Savoir les langues, ça change la vie
L'Université et la Haute Ecole pédagogique de Fribourg viennent d'inaugurer leur Institut de plurilinguisme. Histoire d'ajouter la théorie à la pratique des langues multiples. Une théorie en prise directe avec la vie réelle, le monde du travail, de l'école ou de la migration.
«On ne s’attendait pas à une telle affluence», confie Alexandre Duchêne, directeur du nouvel Institut. Au point que les organisateurs ont dû déplacer en catastrophe l’inévitable apéritif-buffet post-oratoire dans des locaux mieux à même de recevoir une bonne centaine d’invités.
Au-delà de l’anecdote, cette présence massive de représentants, non seulement du monde académique et des autorités du canton de Fribourg, mais également de la haute administration fédérale témoigne de l’intérêt que suscite l’Institut de plurilinguisme jusque dans la capitale.
Fribourg serait en effet un des favoris dans la course qui s’annonce pour recevoir le futur Centre fédéral de plurilinguisme, institution scientifique prévue dans la Loi sur les langues adoptée en 2007.
Mais rien n’est encore joué et d’autres villes ont aussi leurs atouts à faire valoir. Ce lundi 23 mars, l’heure n’était donc pas aux spéculations sur l’avenir, mais plutôt à la célébration de ce qui existe déjà.
Milch – lait – latte
«Qui ne connaît pas de langues étrangères ne sait rien de la sienne», écrivait Goethe. «Tgi che sa rumantsch sa dapli» («Qui sait le romanche sait plus»), lui répond comme en écho la chancelière de la Confédération Corina Casanova, polyglotte accomplie, puisqu’elle maîtrise l’anglais, l’espagnol et le portugais en plus des quatre langues nationales.
Mais les paquets de biscuits, les boîtes de conserves et les briques de lait étiquetés en trois langues ne font pas de tous les Suisses de parfaits polyglottes.
Comme l’a illustré – exemple vécu à l’appui – le professeur bâlois Georges Lüdi, autre orateur de la cérémonie, le plurilinguisme à un guichet de chemin de fer peut aussi prendre la forme d’une espèce de «sabir» où l’employé suisse mélange ses quelques mots d’italien, d’espagnol et d’anglais pour se faire comprendre d’un client brésilien.
«Le fait de vivre dans un pays qui a plusieurs langues nationales ne fait pas de nous tous des plurilingues, confirme Alexandre Duchêne. Ceux qui le sont le plus sont les immigrés – ils le sont de facto – ainsi que les gens qui habitent les zones à la frontière entre régions linguistiques. Fribourg en est un très bon exemple».
Schiller contre un kébab
«Cela dit, il y a plusieurs modèles de plurilinguisme, poursuit le professeur. Et ceux-ci sont rattachés à des pratiques, et aussi à des échelles de valeurs».
Ainsi, on aura tendance à tenir l’habileté de l’étudiant capable de lire Schiller ou Keynes dans le texte en plus haute considération que celle du vendeur de kébab qui apostrophe ses clients indifféremment en turc, en allemand ou en français.
Le second participe pourtant autant du plurilinguisme que le premier. «Les langues de la migration restent encore sous-valorisées, alors que c’est un ensemble de compétences que les gens amènent dans leur quotidien», note Alexandre Duchêne.
Ces questions du plurilinguisme dans le monde du travail figureront en première ligne des préoccupations de l’Institut. Avec l’internationalisation de l’économie, parler les langues devient un atout dans l’entreprise. Mais quelle est le «prix» économique du plurilinguisme ? Les chercheurs fribourgeois s’y intéresseront de près.
En prise directe avec la réalité
Un exemple qui montre bien ce que ce nouvel Institut ambitionne d’être. Pas question de s’enfermer dans une tour d’ivoire pour examiner doctement des questions purement académiques. Il s’agira bien au contraire de se mettre à l’écoute et au service de la société.
«Nous devons pouvoir lier nos travaux à une pertinence et à une demande sociale, résume Alexandre Duchêne. Ceci afin d’apporter quelques éléments de réponse aux questions du quotidien qui se posent pour les personnes confrontées au plurilinguisme».
Outre le monde du travail, l’Institut s’est donc donné pour champ de recherches l’apprentissage des langues à l’école, la formation des enseignants, l’évaluation des compétences linguistiques, mais également la migration et les liens entre maîtrise des langues et intégration.
swissinfo, Marc-André Miserez
Français-allemand. Située sur la frontière entre Suisse romande et Suisse alémanique, l’Université de Fribourg est bilingue depuis sa fondation en 1889. Cas unique en Suisse, elle est même la seule en Europe à offrir un éventail complet de formations dans les deux langues.
…et toutes les autres. Université favorite des Suisses italiens et des Grisons de langue maternelle romanche, Fribourg parle virtuellement toutes les langues de la terre, puisqu’un tiers de ses professeurs et un cinquième de ses 10’000 étudiants sont étrangers, répartis en une centaine de nationalités.
Savoir-faire. L’Université de Fribourg s’est dotée dès 1999 d’un Centre d’enseignement et de recherches sur les langues étrangères. Depuis 2005, elle a sa Chaire pour la recherche en plurilinguisme et didactique des langues et elle délivre un Master en sciences et didactique du plurilinguisme.
Futurs enseignants. La Haute Ecole pédagogique (HEP) a elle aussi pour mission de promouvoir le plurilinguisme. Elle propose des cours, des ateliers et des stages en français et en allemand et délivre un diplôme d’enseignant bilingue. Elle dispose aussi d’une unité «Société, diversité et Plurilinguisme», vouée à la formation et à la recherche sur les inégalités sociales à l’école, la pédagogie de la diversité et la didactique du plurilinguisme.
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