Schtroumpf razzia sur Lausanne
Dans le cadre du 4e festival BD-Fil, les créatures de Peyo, qui fêtent cette année leurs 50 ans d'existence, ont envahi la ville. En compagnie notamment de la fille du dessinateur belge et de l'artiste genevois Poussin, regard sur ces drôles de petits monstres.
«C’est un mythe, pour moi. Aussi important que Tintin. Une invention extraordinaire, celle d’un peuple, qui est pratiquement une photo du monde actuel, avec des pouvoirs, des dictatures, des séductions, des intrigues.»
Ainsi s’exprime Philippe Duvanel, patron de BD-Fil, qui accueille l’événement Schtroumpf à l’occasion de la 4e édition de la manifestation lausannoise.
Evénement Schtroumpf, car c’est le 23 octobre 1958 – il y a 50 ans – que les petits machins bleus à bonnet blanc apparaissaient dans le magazine belge Spirou. D’abord comme personnages secondaires d’une aventure de «Johan et Pirlouit». Le succès rencontré et l’insistance du public va alors pousser Peyo, Pierre Culliford, de son vrai nom, à leur donner une vie autonome.
Une histoire de famille
Le succès sera planétaire (Schtroumpf se dit aussi Smurf, Schlumpf, Smolf, Strunf, Pitufo, Puffo, Sumafu, Lan-Shin-Ling, Torpikek selon les cultures) grâce à l’univers original de Peyo, mais aussi grâce à des déclinaisons et à un marketing colossal: dessins animés, disques, jeux vidéo, figurines en plastique, vignettes Panini, bonbons, T-shirts et autres sous-vêtements…
Gigantisme de l’entreprise, et pourtant, dimension familiale de la démarche: tandis que le fils de Peyo, Thierry Culliford, donne l’impulsion en matière de nouveaux scénarios au Studio Peyo, Véronique supervise les questions de merchandising au sein de la société IMPS, créée du vivant de son père.
La poursuite de l’œuvre de Peyo, décédé en 1992, s’est-elle toujours imposée comme une évidence? «Chez mon père, la question ne s’est jamais posée. Mon frère et moi avons très vite collaboré avec lui, on a donc pris le relais en sa présence. Pour lui, il était exclu que ses Schtroumpfs s’arrêtent de vivre en même temps que lui», répond Véronique Culliford.
A propos… Un papa créateur des Schtroumpfs, une maman coloriste… De quoi parlait-on à la maison ? «Comme j’ai travaillé avec mon père dès l’âge de 20 ans, on parlait principalement de Schtroumpfs! Mais, souvent lors du dîner dominical, maman nous disait: je vous en prie, parlez d’autre chose que de ces Schtroumpfs!»
Se schtroumpfer dans la peau d’un autre
Il ne faudrait pas que la forêt du merchandising cache l’arbre des albums. Car la saga des Schtroumpfs continue, grâce au Studio Peyo dont Pascal Garray est l’un des dessinateurs, depuis 18 ans! Comment vit-on le fait d’être à la fois un créateur d’albums et pas le créateur de l’œuvre? «C’est une discipline particulière, répond-il. Il faut reprendre l’oeuvre de Peyo, essayer de ne pas la trahir, tout en lui apportant de nouveaux éléments à chaque scénario».
Exercice qui peut paraître particulièrement difficile, vu que l’univers des Schtroumpfs – leur village – paraît pour le moins délimité… Mais Pascal Garray relativise: «En fait, si vous mettez bout à bout tout ce qui se passe dans ce village, il doit être tentaculaire!»
«En fait, Peyo remodelait le village en fonction de ses besoins. S’il fallait que le Schtroumpf à lunettes soit voisin du Schtroumf bricoleur, il le faisait. Si dans une autre histoire il fallait que ce soit la Schtroumpfette, c’était pareil. Personne n’a jamais prêté garde à la cohérence à ce propos. Il arrangeait les choses en fonction de ses histoires. On a donc beaucoup de latitude!»
Lausanne envahi
Vendredi matin, les Lausannois ont eu la surprise de découvrir près de 5000 Schtroumpfs blancs dans les rues de leur ville. A emporter chez soi et à décorer selon l’envie et les goûts de chacun. Une opération qui a lieu dans une vingtaine de villes européennes (Lausanne est la 15e étape), en partenariat avec l’UNICEF. Et à chaque escale, un artiste local est chargé de décorer un Schtroumpf géant – enfin, géant pour un Schtroumpf.
A Lausanne, c’est Poussin qui s’en est chargé. «Au départ, je me suis demandé ce que je pourrais faire. Et en Belgique, ils avaient peur de moi. Parce que mon pedigree, c’est d’avoir été dessinateur de Hara-Kiri, Charlie-Mensuel, L’écho des Savanes, des choses comme ça… C’est deux familles différentes!» Mais les Belges auront pu se rassurer en découvrant le Schtroumpf poussinesque: s’il est indéniablement coloré, il est décent.
De manière générale, quel est le regard de Poussin sur les créatures de Peyo? «Les Schtroumpfs ont une immense importance dans la BD. Et plus le monde va devenir dur, plus les gens vont ressentir cette violence, plus ils vont schtroumpfer, quoi. Je pense que c’est vraiment un truc qui est appelé à durer… Seule question : est-ce que les scénaristes vont réussir à bien saisir l’air du temps?»
A Lausanne, les Schtroumpfs se déclinent également à travers une vaste exposition, et un travail réalisé par l’ECAL, l’Ecole cantonale d’art de Lausanne, qui présente une déclinaison de 40 nouvelles bestioles.
Juillard et la poya
Au-delà des petits hommes bleus, quels sont selon Philippe Duvanel les temps forts de ce 4e BD-Fil? «L’hommage à André Juillard, l’invité d’honneur, qui a dessiné l’affiche et auquel on consacre une très grande exposition, avec 250 originaux. Et également un projet particulier du festival, ‘Poya Express’. On a demandé à 20 dessinateurs suisses – et pas des moindres! – de travailler sur le thème de la poya, les illustrations traditionnelles de la montée à l’alpage en Gruyère», répond-il.
BD-Fil est né assez brusquement, sur les cendres du Festival de bande dessinée de Sierre. Quel place tient-il aujourd’hui selon son patron? «Il est en train de prendre la place que je lui souhaitais: un rendez-vous artistique de promotion de la BD au sens large. Lausanne tient maintenant une place importante, parce que la ville réunit le 2e fonds de BD le plus important en Europe, après Angoulême», explique Philippe Duvanel.
«Il y a donc ici une aventure qui se tisse entre le fonds BD, le festival et d’autres événements qui se réalisent à l’année: à Lausanne, qui n’est quand même pas une très grande ville, il y a 4 librairies BD, sans compter les libraires moins spécialisés qui font aussi de la BD!»
Lausanne, une schtroumpfe de ville.
swissinfo, Bernard Léchot
Peyo (Pierre Culliford) est né à Bruxelles en 1928.
Obligé de gagner sa vie dès l’âge de 15 ans, il est d’abord projectionniste de cinéma, puis fait un passage dans un petit studio de dessins animés.
Il décide ensuite de s’orienter vers la bande dessinée. Il doit attendre d’entrer au magazine Spirou pour connaître le succès avec «Johan et Pirlouit».
L’idée des Schtroumpfs remonte à un dîner avec le dessinateur Franquin. Indiquant la salière, Peyo dit: «Passe-moi la… le… schtroumpf!» Et Franquin répond: «Voilà, je te le schtroumpfe!» Le langage était né… ne restait qu’à inventer les personnages!
Peyo est décédé en 1992. Mais les Schtroumpfs lui ont survécu. Dix nouveaux albums ont paru aux éditions du Lombard depuis la mort de Peyo. Au total, la série est traduite en 25 langues et représente quelque 25 millions d’albums.
Le passage à l’écran a été le détonateur du succès planétaire des Schtroumpfs. Après un long-métrage basé sur «La flûte à six Schtroumpfs» (1975), les Schtroumpfs font leur apparition sur la chaîne américaine NBC en 1981.
L’animation est due cette fois aux légendaires studios Hanna-Barbera. Le succès est foudroyant: NBC atteint 42% d’audience le samedi matin. 272 épisodes sont produits au cours des huit années suivantes, totalisant plus de 100 heures de dessins animés.
Une collaboration a lieu actuellement avec Sony Pictures: un film mêlant images réelles et images de synthèse est prévu pour 2010.
La manifestation lausannoise se tient du 12 au 14 septembre dans le quartier du Flon.
Au-delà des stands, dédicaces et multiples animations, sont présentées plusieurs expositions, notamment :
– André Juillard, destins, dessins: parcours dans l’œuvre du remarquable dessinateur, des ‘7 vies de l’épervier’ au dernier ‘Blake et Mortimer’.
– Thomas Ott: un regard sur la création chez le célèbre dessinateur suisse alémanique.
– Poya-Express: 20 auteurs suisses de BD, dont Derib, Zep, Cosey, Tirabosco, revisitent le principe des ‘poyas’, l’illustration traditionnelle des montées de troupeaux à l’alpage.
– Toy Comix: la création de 25 dessinateurs européens et américains sur le thème du jouet.
– Femmes de bulles: une promenade en compagnie de Bécassine ou Sœur Marie-Thérèse, mais aussi Yoko Tsuno et Natacha !
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