Soleure fête pour la 25e fois la «Literatur»
Lectures, rencontres, expositions, Soleure se veut vitrine de la littérature suisse. Suisse ou suisse alémanique?
Sur les «Journées littéraires de Soleure», qui ont débuté vendredi et dureront jusqu’à dimanche, les regards croisés d’Ivan Farron et d’Anne Cunéo.
Pendant trois jours, la petite ville de Soleure va vivre à l’heure de la littérature. Avec d’innombrables lectures d’auteurs, aussi bien dans la rue que dans les églises, les théâtres ou les galeries.
Avec des rencontres lointaines, aussi. Ainsi, cette année, l’Iran est représenté par plusieurs auteurs, certains en exil, d’autres vivant dans leur pays. Quelques écrivains venus d’Allemagne, d’Italie, de France, de Belgique, du Canada et de Russie sont également invités.
Au programme, des expositions également: «La voie cruelle», au château de Waldegg, s’intéresse aux grands voyageurs-écrivains-photographes, Nicolas Bouvier, Ella Maillart et Annemarie Schwarzenbach, ainsi qu’ à leurs éventuels successeurs.
Et «4×1=1++++», une exposition inaugurée au Salon du Livre de Genève, met en avant le travail de traduction qui sert de passerelle aux différentes littératures helvétiques.
Indifférence réciproque?
«Ouverture», peut-on donc se dire à propos des «Solothurner Literaturtage». Mais une lecture attentive du programme renvoie à une autre réalité: la majorité écrasante des intervenants est germanophone.
Ce qui ne choque pas l’écrivain Ivan Farron, écrivain romand vivant à Zurich, et membre du comité organisateur: «Cela correspond à la réalité de ce pays: il y a plus d’auteurs alémanique, parce qu’il y a plus de Suisses alémaniques. Il n’y a aucune injustice là-dedans, c’est le reflet de la réalité.»
Ce que conteste la romancière et cinéaste Anne Cunéo, une autre francophone pourtant elle aussi bien ancrée en Suisse alémanique.
«Cette vitrine qui se prétend nationale est extrêmement partielle. En dépit de toute la bonne volonté dont ils font preuve, les organisateurs donnent une part prépondérante à la Suisse alémanique, et cette part ne correspond pas au pourcentage d’auteurs romands dans la littérature suisse», dit-elle.
Et d’ajouter: «Si je me mets dans l’esprit de quelqu’un qui ne parle pas allemand, c’est mortel d’aller là-bas! Le programme est très décourageant».
Différence culturelle
A qui la faute? Aux organisateurs, qui ne programment pas assez d’auteurs non-germanophones? Ou au public francophone notamment, qui ne sort pas aisément de sa sphère linguistique et ne participe donc pas à modifier la donne? C’est l’histoire de l’œuf et de la poule…
Quoi qu’il en soit, il y a dans les régions germaniques une vraie tradition de lectures d’auteurs, beaucoup plus discrète dans les pays francophones. «Il est courant pour un écrivain de langue allemande de gagner sa vie pendant un certain temps avec des circuits de lecture», constate Anne Cunéo.
Ce qui débouche, selon elle, sur un autre problème: «La conséquence, c’est que ces lectures sont souvent extrêmement ennuyeuses.» Comme un auteur francophone lit rarement, il fait un effort de «mise en voix», de théâtralisation. Alors que toujours selon Anne Cunéo, la lassitude amène un certain nombre d’auteurs alémaniques à lire de façon extrêmement «monocorde».
Question de lieu
Les Journées littéraires de Soleure ont un quart de siècle. Evénement en Suisse alémanique. Indifférence quasi totale en Suisse romande.
Ivan Farron l’admet: «La réussite de Soleure, c’est de s’être imposé. Il y a une évidence tacite: cela existe. Par contre, il est vrai que cela reste quelque chose de très suisse allemand. Difficile de faire autrement».
Pourquoi alors ne pas envisager des sortes de manifestations-sœurs, l’une à Soleure, et d’autres en Romandie ou au Tessin? L’idée fait bondir Anne Cunéo: «Une chose comme ça, cela me fait tomber le cœur dans les chaussettes!»
Sans doute, mais encore? «Nous sommes un pays avec quatre langues, et nous devrions servir d’exemple à des régions comme l’ex-Yougoslavie et maintenant l’Irak.»
«En étant une fédération qui marche, pas une fédération qui ne marche pas parce qu’une majorité tire toute la couverture à elle. Nous devons avoir des manifestations centrales!»
Comment dit-on «cri du cœur» en allemand?
swissinfo, Bernard Léchot
– C’est la 25e édition des Journées littéraires de Soleure, dirigées par Veronika Jaeggi.
– Au menu francophone cette année: des tables rondes organisées par les «Rencontres d’Ecrivains des Radios Publiques Francophones» (RSR espace 2, Radio France, Radio Canada et Radio Belgique) sur le thème de l’autobiographie et de l’autofiction.
– Des lectures de Lydie Salvayre, Catherine Safonoff, Sylviane Chatelain, Yves Laplace, Noëlle Revaz et Thomas Bouvier.
– Parmi les nombreux auteurs alémaniques présents: Adolf Muschg, Franz Hohler, Ruth Schweikert, Urs Widmer, Hanny Fries.
– Ivan Farron, membre du comité d’organisation, est né à Bâle en 1971. Licencié ès Lettres de l’Université de Lausanne, il vit à Zurich. On lui doit notamment «Un après-midi avec Wackernagel » (1995).
– Anne Cunéo est née à Paris en 1936. Journaliste à la Télévision suisse romande, cinéaste, elle a, en tant qu’écrivain, abordé tous les registres littéraires: récit, théâtre, poésie, et roman, bien sûr: citons «Station Victoria» (1989), «Le trajet d’une rivière» (1993), «Le maître de Garamond» (2002).
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