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Suisse, ton héritage audiovisuel fout le camp

"La barque est pleine", un film suisse nominé aux Oscars, qui a failli disparaître. markus-imhoof.ch

Depuis exactement dix ans, Memoriav s'emploie à promouvoir la sauvegarde la mémoire audiovisuelle suisse. Et les progrès sont lents.

Fondée le 1er décembre 1995, l’association regroupe aujourd’hui 162 membres, parmi lesquels SRG SSR idée suisse, la Cinémathèque, la Phonothèque et les Archives nationales.

«Nos institutions membres sont devenues des partenaires et elles ont commencé à se parler», explique à swissinfo le directeur de Memoriav. Kurt Deggeller souligne ainsi le principal résultat que son association a pu atteindre en dix ans.

La coopération au sein de Memoriav a en effet permis de prendre conscience de la nécessité de sauvegarder l’héritage audiovisuel de la Suisse. Aujourd’hui, radio et télévision sont devenues les principales sources d’information.

D’énormes lacunes

Mais Kurt Deggeller est forcé de constater que, dans le domaine de la sauvegarde des archives, la Suisse est encore à la traîne.

La France, par exemple, s’est dotée de lois sur l’archivage des documents audiovisuels dès les années 30, alors que la Suisse n’a inauguré sa Cinémathèque (à Lausanne) qu’en 1943 et sa Phonothèque (à Lugano) qu’en… 1986.

«Nous avons d’énormes lacunes dans nos archives d’avant 1985, explique à swissinfo Pio Pellizari, directeur de la Phonothèque. Et il est impossible de dire ce qui a été perdu, puisque nous ne savons pas ce qui a été produit».

L’institution luganaise dispose de 230’000 enregistrements, dont 130’000 seulement ont pu être catalogués à ce jour.

Le fédéralisme complique les choses

Kurt Deggeller rappelle que l’un des plus gros défis aura été de mettre en œuvre une politique nationale dans un pays où 26 cantons disposent de pouvoirs étendus.

Cette structure fédéraliste a entravé les efforts d’archivage, car elle complique aussi bien la création d’une base légale commune que la recherche de financement.

Selon le directeur de Memoriav, les lois régissant l’archivage sont encore «ambiguës» car elles ne permettent pas de conserver tous les documents sonores et visuels importants.

Un chef-d’œuvre miraculé

Exemple: la dernière copie du film de Markus Imhoof «Das Boot ist voll» («La barque est pleine»), Ours d’argent à Berlin, nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger en 1982 et gros succès en salles, a été retrouvé à la fin des années 90 dans la cave d’une chapelle romaine.

N’ayant bénéficié d’aucun soutien financier de l’Etat, ce film qui traite des difficultés d’obtenir l’asile en Suisse durant la 2e Guerre mondiale, ne remplissait pas les conditions pour être stocké par la Cinémathèque.

Ainsi, au lieu des quelques milliers de francs qu’aurait coûté son archivage, on a dû en dépenser plusieurs centaines de milliers pour le restaurer quand la Suisse s’est vue contrainte dans les années 90 à se pencher sur son passé.

Dix ans de retard

Les institutions d’archivage audiovisuel manquent cruellement de fonds, clament Kurt Deggeller et Pio Pellizari d’une seule voix. Qui a été entendue puisque, cette semaine, la Chambre du peuple a suivi le Conseil des Etats (sénat), en approuvant un crédit de 12 millions de francs sur quatre ans en faveur de Memoriav.

«Si nous ne conservons pas les traces du passé, nous ne pouvons pas comprendre le présent», déclare Chiara Simoneschi-Cortesi, députée démocrate-chrétienne. Et pourtant, Kurt Deggeller estime que ce crédit ne représente que le quart de la somme nécessaire.

«Nous avons 100’000 documents audio à cataloguer, et notre budget actuel ne nous permet d’en traiter que 10’000 par an, explique-t-il à swissinfo. Ce qui veut dire que nous en aurons pour huit à dix ans, sans tenir compte de tout ce qui va venir pendant cette période.»

Les pièges de la technique

Et puis l’évolution des techniques audiovisuelles pose de gros problèmes aux archivistes. «De nouveaux supports apparaissent, explique Kurt Deggeller. Ils changent tous les deux à trois ans. Les anciens sont alors dépassés et nous devons suivre cette évolution».

«Par exemple, avec le MiniDisc, vous avez une grosse perte de données, poursuit le directeur de Memoriav. On perd près de la moitié du signal audio, et c’est le cas pour certains des supports vidéo les plus couramment utilisés».

D’autre part, Kurt Deggeler combat l’idée qu’Internet est un système global d’archivage, car «le web est instable et la qualité très mauvaise».

swissinfo, Dale Bechtel
(traduction de l’anglais, Marc-André Miserez)

Memoriav est une association qui regroupe à ce jour 162 organismes produisant ou conservant des documents audio et vidéo.
Elle a été fondée le 1er décembre 1995.
Ses membres fondateurs sont SRG SSR idée suisse (Société suisse de radiodiffusion et télévision, la maison-mère de swissinfo), la Cinémathèque et la Phonothèque nationales, l’Institut suisse pour la conservation de la photographie, la Bibliothèque nationale, les Archives fédérales et l’Office fédéral de la communication.

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