«Superdogan» – sur la trace du fantasme de la propagande
Le photographe genevois Nicolas Righetti explique la démarche à l'origine de son dernier livre, «Superdogan», qui vient de paraître. Il s'y intéresse à la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.
Certains collectionnent les timbres, les boules de bowling ou les opercules de crème à café. Mais ce qui intéresse le photographe suisse Nicolas Righetti, ce sont plutôt les présidents mégalomanes. Dans sa carrière, il s’est plongé dans l’atmosphère de pays tenus d’une main fer par ces personnages particuliers. A son tableau de chasse, on trouve notamment la Corée du Nord de Kim Jong-Il, le Turkménistan de Saparmurat Niazov, la Syrie de Bachar al-Assad, la Biélorussie d’Alexandre Loukachenko, et plus récemment la Turquie de Recep Tayyip Erdogan.
Pour sa dernière œuvre intitulée «SuperdoganLien externe», il s’est en effet intéressé au président de la République turque. Une publication qui résonne avec l’actualité, puisque la Turquie est en pleine campagne électorale et élit son prochain président le 14 mai.
Ce qui fascine Nicolas Righetti dans ces pays méconnus, souvent considérés comme des régions tristes et lointaines, ce ne sont pas vraiment les figures autoritaires qui les gouvernent, mais plutôt l’image qu’elles renvoient. «Je ne cherche pas le personnage, le dictateur lui-même. Ce que je cherche, c’est l’image du dictateur, qui lui va s’inscrire dans la rue, sur des bâches, des statues. Assis ou debout, il peut être multiplié à l’infini et dans toutes les postures. Ce qui m’intéresse, c’est le fantasme de la propagande, ce qu’elle dit.»
Expo et livre
Exposition, Galerie Focale, Nyon du 20 avril au 4 juin 2023. Finissage et discussion en présence du photographe, le 4 juin dès 14h.
Le livreLien externe a été publié aux éditions Noir sur Blanc, 112 pages, 50 photographies, avec des textes de Joerg Bader, Kenan Görgün et Nicolas Righetti. Il est disponible en librairie.
Son travail sur la Turquie l’a mené dans un pays loin du totalitarisme qu’il a pu observer lors de ses voyages en Corée du Nord ou au Turkménistan. Mais l’omniprésence de son dirigeant Recep Tayyip Erdogan y est tout aussi frappante, à une différence près. «Erdogan se présente de manière assez simple, banal, à l’occidentale avec un costard et une cravate. Il est toujours très clean. Il n’est pas du tout dans le même délire que Kim Jong-Il ou Niazov. Il se présente toujours de manière intelligente.»
Une intelligence de la représentation qui s’est confirmée lors de son dernier voyage en Turquie, il y a seulement quelques semaines, alors que la campagne électorale bat son plein dans le pays. «Erdogan a demandé d’arrêter d’utiliser des images énormes de lui. Une campagne électorale est généralement quelque chose de plutôt gai, mais comme il y a eu cet horrible tremblement de terre début février, il a demandé quelque chose de plus serein, de plus retenu.
«Dans mon livre, il y a une photo qui montre qu’un Turc est venu avec un cutter et qu’il a coupé l’œil du pouvoir. Symboliquement, ça veut dire beaucoup de chose.»
Je trouve cela très intelligent. Erdogan est une bête politique, c’est une sorte de caméléon. Quand il commence à perdre des points, il peut lui-même changer. Se présenter sur une bâche de 10 mètres sur 10 serait sûrement quelque chose de contre-productif, et il l’a compris.»
Cependant, pour le photographe, Erdogan reste une figure autoritaire. «Notamment au niveau de la presse et de la justice qu’il contrôle, il n’est pas loin de la dictature.»
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