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Sur le sentier des Suisses

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Des locatifs. Un restaurant antillais. Un square. Et un immeuble signé Herzog et de Meuron. Au fin fond du 14e Arrondissement se niche la rue des Suisses...

Un endroit parfait pour conclure notre série consacrée à Paris, version helvétique. Mais s’agit-il vraiment de la conclure?

Rue d’Alésia, tout au sud de Paris. D’un côté de la rue, l’impasse Florimont, et la minuscule maison qui fut celle de Jeanne, la logeuse du jeune Brassens. Sur le toit de ce qui ressemble à une maison de poupée cernée par des locatifs et un garage, quelques chats en céramique…

De l’autre côté de la rue d’Alésia s’ouvre la rue des Suisses. J’y entre. Sur ma droite, un square, tranquille, et des immeubles couleur crème.

Sur ma gauche, cette Suisse-là sent bon la multiculturalité. Un restaurant-dancing antillais, à la façade multicolore, baptisé «Le soleil». Puis un restaurant franco-marocain. Et un peu plus loin, là où finit la rue, un bistrot de quartier, «Au bon coin».

Trois restaurants pour une rue de 241 mètres de longueur, un score plus qu’honorable.

Architecture bâloise

Entre tajine et bavette à l’échalote, au numéro 19, on est saisi par un édifice aussi noir que métallique, qui tranche brutalement avec l’ambiance générale.

C’est un immeuble construit en 1997 par le cabinet bâlois Herzog & De Meuron. Ces stars de l’architecture sont notamment les auteurs du Tate Modern Museum à Londres ou du Young Museum de San Francisco. Parmi leurs chantiers en cours figure le Stade olympique de Beijing, et ils s’attèleront bientôt à une tour de 160 mètres à Bâle, pour le compte de Roche…

Mélange de bois et de métal noir, treillis du même métal en guise de volets, cet élégant et sombre OVNI vaut le détour. Lauréats du prestigieux Prix Pritzker en 2001 pour l’ensemble de leur oeuvre, Jacques Herzog et Pierre de Meuron décrochent la même année le Prix de l’Equerre d’Argent pour l’immeuble de la rue des Suisses… au grand désespoir de certains habitants du 14e, qui voient là une véritable verrue dans leur quartier.

«L’art de l’architecture s’améliorera sans doute le jour où la profession cessera de se décerner des lauriers en méprisant l’avis du public», peut-on lire sur le site web de l’Association «Monts 14», fer de lance des riverains fâchés.

Les Suisses du roi, toujours eux

On s’en doute, ce n’est pas en l’honneur des deux Bâlois que cette rue s’appelle la «Rue des Suisses».

«Cette rue faisait partie du ‘sentier des Suisses’, ainsi appelé parce qu’il conduisait à Bagneux, où des Gardes Suisses étaient cantonnés au 18e siècle», peut-on lire dans la somme que représente le «Dictionnaire historique des rues de Paris» de Jacques Hillairet, augmenté et régulièrement mis à jour par l’historien Pascal Payen-Appenzeller.

Lequel, lors de notre rencontre, ajoute: «C’est le souvenir des Suisses présents dans des casernes, ou en l’occurrence dans des cantonnements, qui entouraient Paris. Et ce mot ‘entouraient’ a beaucoup d’importance, puisqu’à un moment donné, les Parisiens vont penser que ces Suisses font partie de ces corps étrangers chargés de les surveiller.» On connaît la suite.

Des rues et des places

La rue des Suisses, une exception culturelle ? Pas vraiment. A Paris existent aussi une rue de Berne (8e), une autre du Simplon (18e), une rue de la Croix-Rouge (6e), une rue et un passage de Marignan (8e). Marignan, pas de quoi se vanter peut-être, mais quand même, Marignan ne serait pas une victoire française si les Suisses ne s’étaient pas trouvés là pour perdre, non ?

Benjamin Constant, né à Lausanne, a sa rue dans le 19e, et son amie Germaine de Staël dans le 15e, alors que le papa de celle-ci, le financier genevois Necker, est honoré d’une rue dans le 4e.

Il existe également des rues au nom du mathématicien bâlois Jean Bernouilli (8e), de l’ingénieur suisse Jean-Rodolphe Perronet (7e), fondateur de l’école des Ponts et Chaussées, auteur des plans de Neuilly, de Nemours et de la construction du canal de Bourgogne, du pédagogue Jean Pestalozzi (5e), ou du sculpteur et orfèvre Jean Dunand (13e).

Henry Dunant a quant à lui une place à son nom (13e), comme Le Corbusier (6e-7e) ou, depuis 1994, le diplomate et écrivain genevois Albert Cohen (15e).

De Pictet à Marat

Voilà, notre balade à travers ‘Paris suisse’ va s’achever. Il y aurait pourtant encore tant de noms à citer. On pourrait rappeler, comme le fit Daniel Jeannet dans le livre «Le Paris des Suisses», que si l’Arc de Triomphe se dresse à l’emplacement que chacun sait, c’est grâce au physicien genevois Marc-Auguste Pictet, et que le projet de la Tour Eiffel est né de l’imagination de l’ingénieur Maurice Koechlin, ancien élève du Polytechnicum de Zurich…

On pourrait évoquer des artistes, Gilles, dont le cabaret «Chez Gilles» a vu se lancer un jeune Belge du nom de Jacques Brel. Ou encore Giacometti, qui avait son atelier rue Hippolyte-Maindron, au numéro 46.

Et puis se promener un peu rue de l’Ecole de médecine, ancienne rue des Cordeliers, sur les traces du citoyen Marat, l’«Ami du Peuple», ténor tonitruant de la Révolution française et néanmoins enfant de Boudry, en terre neuchâteloise…

On pourrait, on pourrait… Une autre fois, peut-être? Le TGV m’attend.

swissinfo, Bernard Léchot à Paris

Métro: Plaisance.
La rue des Suisses se situe dans le 14e Arrondissement.
Sur une longueur de 241 mètres, elle va de la rue d’Alésia à la rue Pierre Larousse.

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