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Talent et destin dans un sourire

Dimitri, mime, clown... et musicien! swissinfo.ch

Mime et clown, Dimitri va fêter ses 70 ans en 2005. Nous l’avons rencontré. Histoire de commencer l’année en souriant.

Rencontre chaleureuse au théâtre de Verscio au-dessus de Locarno. Un endroit plein de monde, spectateurs et amis.

Une écharpe rouge nouée autour du cou, Dimitri arrive, une guitare à la main. Il nous reçoit juste avant la présentation officielle de l’édition italophone de son livre, et avant que le public ne l’appelle.

swissinfo: On parle souvent de vous comme d’un artiste alémanique installé au Tessin. Mais vous-même, comment vous considérez-vous?

Dimitri: J’ai une âme de cosmopolite et je ne me sens pas particulièrement lié à une langue plutôt qu’à une autre. Je suis né à Ascona, j’ai du sang russe, je parle indifféremment l’italien et l’allemand. En fin de compte, je me sens international.

swissinfo: En tant qu’homme et artiste, comment vous situez-vous entre les différentes cultures nationales?

D: Mon art utilise le langage non verbal, le langage du corps, le comique, la mimique. C’est un langage universel qui peut donc être compris n’importe où. Je ne me sens pas lié à une culture en particulier. Je le redis, je me sens vraiment un citoyen du monde. C’est une sensation que j’aime beaucoup.

swissinfo: Le cirque Knie vous a rendu célèbre. En êtes-vous conscient, même si dans votre livre vous expliquez que le public du cirque ne vient pas au théâtre?

D: A ce propos, je ne voudrais pas être mal compris. Le public du cirque est le bienvenu aussi au théâtre. Mais on ne peut pas nier qu’il ne s’agit pas du même public, il est peut-être plus intéressé à un spectacle populaire qu’à une production plus intellectuelle. Mais c’est vrai que mes apparitions sous le chapiteau du Knie m’ont fait connaître du grand public et ont attiré des gens dans mon théâtre.

swissinfo: Votre célèbre sourire est aussi votre carte de visite. Comment est-il né, comment a-t-il pu s’imposer?

D.: Je ne sais pas répondre lorsque l’on me demande comment est né mon sourire. Puis-je dire que c’est un don des dieux, de la nature ou de ma mère? C’est un talent reçu du destin. La talent tout seul ne suffit pas. Il faut savoir le développer, l’alimenter. Il faut savoir en tirer parti, le peaufiner, l’user à bon escient.

swissinfo: Trouvez-vous que les Suisses rient assez?

D.: Je crois que oui. Le public est toujours prêt à rire, parce qu’il aime rire, en fin de compte! Je pense que c’est ainsi un peu partout dans le monde. Les gens aiment rire parce que rire fait du bien.

Mais c’est vrai que si l’on compare la Suisse à n’importe quel pays d’Amérique latine par exemple, on se rend compte que les habitants d’Amérique du Sud sont beaucoup plus joyeux que nous, même s’ils sont souvent pauvres et qu’ils vivent dans des conditions bien plus difficiles que les nôtres. Ils dégagent une joie de vivre que nous autres Suisses n’avons pas, malgré tout notre bien-être.

swissinfo: Quelle place ont l’amour et l’humour dans votre vie?

D.: Je trouve que l’amour et l’humour vont de pair. Dans la comédie, dans les gags, s’il n’y a pas d’amour pour les autres, ça ne peut pas marcher. Ou alors ça marche en développant une autre signification, ça provoque une autre manière de rire, plus méchante, plus sarcastique, je dirais même presque diabolique. J’exagère un peu, c’est vrai, mais je vous assure que ça arrive. Selon moi, il faut savoir rire avec le cœur.

Et c’est ce que je veux. Je veux toucher les personnes au cœur et à l’esprit. Et faire sortir de leurs voix, de leurs sourires, un véritable rire. Comme celui des enfants. Un rire innocent, bienveillant.

swissinfo: Vous êtes aussi un célèbre mime. Quel rapport un mime peut-il avoir avec les mots?

D.: On dit que lorsque les mimes se mettent à parler, ils ne s’arrêtent plus. Un peu comme je suis en train de faire maintenant avec vous…

Mon grand maître en ce domaine est Marcel Marceau. Grâce à lui j’ai compris que la mimique rend certaines scènes et certaines expressions plus efficaces, plus fortes, plus intenses, plus impressionnantes, plus émouvantes.

Marceau m’a toujours dit que les grands sentiments que connaît l’être humain s’expriment parfaitement sans parole. Et ceci vaut aussi bien pour l’amour que pour la haine, la douleur et la joie.

swissinfo: Y a-t-il des sentiments ou des comportements qui vous dérangent?

D.: Mais bien sûr! Je ne supporte pas la haine, l’agressivité, l’hypocrisie, la guerre, le manque de dialogue et de compréhension. Je ne comprends pas le manque de respect et de tolérance vis à vis de qui est différent de nous.

swissinfo: Vous avez toujours été une personne socialement engagée, un compagnon de route du défunt abbé Koch, chantre des réfugiés et des démunis. Comment trouvez-vous, aujourd’hui, la politique humanitaire de la Suisse?

D: Les guerres inutiles, ici et là dans le monde, m’attristent profondément. Elles me touchent de près de par leurs conséquences sur les gens sans défense, femmes, hommes et enfants, sur des populations entières.

Comme artiste, j’essaye de contribuer dans la mesure de mes moyens, en signant des pétitions, des déclarations, en soutenant publiquement une cause ou l’autre, en participant à des manifestations de protestation. C’est vrai que j’ai soutenu comme je l’ai pu, le père Cornelius Koch, le chapelain des réfugiés.

swissinfo: Que pensez-vous du rôle et de l’engagement des intellectuels suisses dans la société?

D.: A mon avis, les artistes et les intellectuels sont assez engagés dans notre pays. C’est vrai que leur voix représente une goutte d’eau dans la mer. Mais la mer est faite de gouttes d’eau.

Ainsi, l’initiative de Genève qui a permis de relancer le processus de paix entre les Israéliens et les Palestiniens a impliqué la société civile, les intellectuels. C’est un projet que la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey suit avec attention. Il est vrai que Mme Calmy-Rey est une politicienne. Heureusement qu’il existe aussi des politiciens qui ont le courage de se lancer dans des batailles.

swissinfo: Vous venez de parler de Micheline Calmy-Rey. Savez-vous que d’aucuns comparent vos deux sourires?

D.: Oui c’est vrai. Il y a un vague air de ressemblance entre nous, pas seulement dans notre façon de sourire ou dans la largeur de notre sourire mais aussi dans notre coiffure… Quand nous nous sommes rencontrés au Festival du film de Locarno, nous avons bien rigolé tous les deux, et nous avons sympathisé!

swissinfo, Françoise Gehring, Verscio
(Traduction et adaptation de l’italien: Gemma d’Urso)

Dimitri naît à Ascona (TI) le 18 septembre 1935.
Dès 1958, il fréquente les cours de Marcel Marceau à Paris
En 1962, il se marie avec Gunda à Zurich.
En 1970, première tournée avec le Cirque Knie.
En 1971, avec Gunda, il crée le «Teatro Dimitri» à Verscio, au Tessin.
En 2004, l’Ecole-Théâtre Dimitri est reconnue comme école universitaire professionnelle.

– «Il clown che è in me», la version italienne de « Der clown in mir », l’autobiographie de Dimitri, a été publiée par les éditions Rezzonico de Locarno.

– Rédigé avec le journaliste Hanspeter Gschwend, le livre a été présenté à Verscio en décembre.

– La vie de Dimitri est révélée en 239 pages truffées d’anecdotes évocatrices et de superbes photos.

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