«Theroun» ou le vrai visage de l’Iran
Les riches habitent à Téhéran, les pauvres à «Theroun», surnom de la capitale iranienne en argot. En s’y arrêtant dans son film, qui est en compétition au Festival de films de Fribourg, Nader T. Homayoun montre la face sombre de l’Iran d’aujourd’hui.
Un homme, un bébé dans les bras, se faufile entre les voitures dans les nuages malsains des gaz d’échappement. Une fenêtre s’ouvre et quelques billets lui sont précipitamment jetés. La scène est courante à Téhéran comme dans beaucoup d’autres mégalopoles.
Nader T. Homayoun l’a choisie pour ouvrir son film, parce qu’il l’estime représentative de tout ce qui aujourd’hui «ne tourne pas rond» en Iran. Ayant vécu entre Paris et Téhéran, il porte sur la capitale iranienne un regard d’exilé dont il a nourri son premier long métrage de fiction, entièrement tourné dans la capitale iranienne.
«Tehroun», c’est en effet la manière dont les Iraniens des milieux populaires surnomment cette capitale où nombre d’entre eux sont venus tenter leur chance. «Tehroun, c’est le vieux Téhéran, le Téhéran dangereux, celui des bas-fonds et des prostituées. Quelqu’un qui vit dans le quartier riche, au nord de la ville, dit qu’il habite à Téhéran. Le pauvre lui vit à ‘Theroun’», explique Nader T. Homayoun.
Aux prises avec la nécessité de survivre, ses personnages glissent donc irréversiblement sur la pente de la petite criminalité, à l’image d’Ebrahim, venu en ville pour tenter de rassembler de quoi vivre mieux à la campagne. Mendicité, trafic d’enfants ou de drogue, usurpation d’identité, rançonnage, sans être foncièrement mauvais, tous finiront pourtant mal.
Ruser avec la censure
Et c’est à la manière d’un bon polar, de faux semblants habiles en énigmes qui se dénouent au fil des événements, que «Theroun» maintient le suspense. Mais le film, via son approche de la réalité sociale iranienne, possède une épaisseur documentaire pour laquelle Nader T. Homayoun a dû se battre.
Pas facile en effet de tourner en Iran aujourd’hui, qui plus est lorsque c’est pour montrer la face sombre de la réalité. «Il est irréaliste de montrer une société comme les autorités iraniennes veulent la montrer, c’est-à-dire une société où tout va bien. A Téhéran, la société ne va pas bien. Les gens n’ont plus le moral, il y a beaucoup de chômage et de personnes prêtes à tout pour gagner un peu plus d’argent ou tout simplement pour réussir à nouer les deux bouts», témoigne-t-il.
A «Theroun», s’oppose cependant Téhéran. «Il y a aussi une catégorie de nouveaux riches qui sont arrivés dans la capitale. On se demande même comment ils ont pu devenir si riches. Ajouté à un président qui ne respecte plus les autres pays et qui gère très mal le sien, cela engendre une espèce d’anarchie, de société sans espoir et sans morale. Evidemment que si l’on veut montrer cela, on rencontre très rapidement des problèmes avec la censure.»
Pour les éviter et obtenir les autorisations nécessaires, le réalisateur a dû inventer mille ruses. En prétendant par exemple aux fonctionnaires du ministère de la Culture qu’il tournait un court métrage au lieu d’un long. A la police qui serrait son équipe de relativement près, il a expliqué qu’il avait besoin d’images extérieures pour un documentaire montrant les beautés de la capitale iranienne.
Un vrai faux meurtre
Autant de contraintes qui ont influencé son travail sur le plan technique. Tournant avec une équipe franco-iranienne réduite et des moyens léger, Nader T. Homayoun a dû s’en tenir à la règle de trois scènes par jour durant environ trois heures de tournage. Des scènes qui étaient immédiatement copiées et enregistrées sur plusieurs disques durs conservés à des endroits différents de la ville.
Dans cette course contre la montre, le réalisateur franco-iranien a aussi dû composer avec les habitudes culturelles de l’équipe de tournage – dont certains membres ont refusé de travailler pour des scènes où devait jouer une femme non voilée – et plus largement avec les difficultés impliquées par le cadre. «Tourner à Téhéran en soi est très compliqué. C’est une très grande ville, très bruyante, polluée, où il fait très chaud en été et où il y a partout beaucoup de monde. Dès qu’on sort une caméra, il se forme un attroupement», raconte-t-il.
Ainsi la scène finale du film, qui se clôt sur un meurtre dans un hall d’aéroport, a-t-elle été tournée sans que le directeur du lieu ne soit averti. «Il aurait été impossible qu’il accepte que quelque chose d’aussi grave se passe dans son aéroport. Les acteurs ont donc joué, des femmes ont commencé à crier et il y a eu une petite émeute. A la fin, on s’est retrouvé au commissariat durant 3-4 heures pour expliquer qu’on faisait un film», se souvient Nader T. Homayoun.
Cinéma-vérité
Une expérience de cinéma-vérité que le réalisateur ne regrette pas tant Téhéran lui semble encore riche en potentiel cinématographique inexploré. «Je mentais aux autorités pour faire le film, mais je ne mentais pas sur le propos. J’ai essayé d’être au plus proche de l’idée que j’avais de la société iranienne», souligne-t-il.
Evoquant un climat politique qui s’est encore durci ces derniers temps, Nader T. Homayoun hésite pour l’heure à présenter son film aux autorités iraniennes. Quant à une distribution en salles, il ne se fait aucune illusion. Mais il sait par contre que c’est là le sort de bien des films de ses prédécesseurs qui ont, selon ses propres termes, «redonné ses lettres de noblesse à la civilisation persane.»
«Aujourd’hui, on nous voit comme des fanatiques, des gens barbus et violents, toujours en prière. C’est une image qui ne correspond pas à la réalité. Malgré toutes les difficultés qu’ils ont eues, les cinéastes iraniens ont toujours réussi à parler librement, à imposer leur regard, même à défier le pouvoir et à faire sortir leurs films du pays. C’est un besoin que chacun d’entre eux prend aujourd’hui comme un devoir personnel.»
Carole Wälti, swissinfo.ch
Origine. Nader T. Homayoun est né à Paris en 1968, ses parents ayant fui le régime du Shah. A dix ans, il retourne cependant avec eux en Iran.
Formation. De nationalité franco-iranienne, il a d’abord exercé comme journaliste et critique de cinéma en Iran avant de revenir en France et d’effectuer une formation de réalisateur à l’Ecole nationale supérieure des métiers de l’image et du son (FEMIS) de Paris.
Oeuvre. Diplômé en 1997, Nader T. Homayoun réalise depuis 15 ans des œuvres de fiction et des documentaires.
Documentaire. A son actif, il compte sept courts et moyens métrages, ainsi qu’un long métrage documentaire: «Iran, une révolution cinématographique» (2005), primé dans de nombreux festivals.
Mostra. «Tehroun» est son premier long-métrage de fiction. Il a notamment obtenu le prix de la Semaine de la Critique à la Mostra de Venise 2009.
La 24e édition du Festival international de Fribourg (FIFF) se tient du 13 au 20 mars.
La compétition comprend cette année 13 films, dont un en première internationale et douze en première suisse.
La Colombie et le Mexique sont représentés par deux longs-métrages en lice. Des films d’Argentine, d’Iran, du Vietnam ou d’Egypte ont également été sélectionnés.
Au total, ce sont plus de 80 films qui seront projetés dans les salles fribourgeoises.
Le prix du FIFF est le «Regard d’Or». Il est doté de 30’000 francs qui vont pour deux tiers au réalisateur et pour un tiers au producteur.
L’an dernier, le «Regard d’Or» a été remporté par Eric Khoo (Singapour) pour «My Magic».
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