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Tintin sans Tintin

Un style reconnaissable... mais sans personnages. Herra - Ed. Plexus

«Les Murmures du temps», c’est un ouvrage signé Herra, alias Richard Æschlimann, grand tintinophile devant l’éternel. A replacer dans le contexte des innombrables albums «parallèles», sinon pirates, qu’on peut découvrir à la Galerie Plexus, à Chexbres. Rolf Kesselring a visité.

Mon enquête démarra Place du Nord, à Chexbres, ce village vaudois perché au-dessus du lac. Je m’étais discrètement garé dans une impasse et, à pied, j’avais cherché l’entrée de la Maison des Arts-Plexus où je devais rencontrer le maître des lieux, Richard Æschlimann, un artiste polymorphe surprenant.

Des rumeurs m’avaient prévenu de la présence de centaines de pirates et de leur inspirateur (peut-être même leur chef!) le fameux Tintin. Ce qui avait confirmé ces bruits vagues était un envoi inattendu contenant un album intitulé «Les Murmures du temps», d’un incertain Herra. Cela m’avait intrigué.

L’éditeur se nommant Plexus, je m’étais dirigé vers ce village, le seul endroit où je savais qu’existait, depuis des lustres, une galerie du même nom. Comble de ma chance, depuis longtemps j’en connaissais le créateur et l’animateur… Il s’agissait d’une vieille histoire datant de l’époque où je débutais dans le métier d’éditeur.

Le repaire des pirates

Ce passionné de dessin et d’écriture (souvenez-vous de ce «Regard géologue» ou de «Un monde unique au monde» parus naguère aux Éditions de l’Âge d’Homme, sans parler de ce plus récent «Capski – Moments partagés» publié par le même éditeur) m’attendait. Il patientait en gravant une plaque de métal, faisant apparaître, magie subtile, un fugace paysage que me révéla un rayon de soleil en biseau passant par le carreau.

Après les salutations ordinaires bien que chaleureuses, après les «Tu n’as pas changé!» et les «Toi t’as grossi», ou encore les «Ta santé, tes amours?», je le questionnai tout de go: «Les pirates dont j’ai entendu parler, tu ne les cacherais pas ici, dans cette maison?»

Sans dire un mot, le visage fermé, il m’entraîna dans les étages de cette Maison des Arts. J’allais toucher au but. J’avais le cœur rock n’ roll et la tête dans les nuages. Et c’est après avoir gravi les marches de la rampe du premier étage que je découvris le repaire de ces fameux pirates.

Il y en avait des centaines. De l’inoubliable «Tintin au pays des Soviets» jusqu’à des productions étonnantes, ou même hilarantes, intitulées par des jeux de mots inventifs, souvent approximatifs et outranciers. Le mythe du petit reporter belge et de son chien, avait suscité tout un fatras de plagiaires, de plaisantins, d’hommages plus ou moins habiles, plus ou moins bien réalisés.

Certains avaient dessiné de petites merveilles, d’autres semblaient plus grossiers, moins habiles, plus insignifiants. Le galeriste les avait simplement parqués sur le sol d’une pièce du premier étage de cette Maison des Arts-Plexus. Serrés les un contre les autres, il les avait en quelques sorte emprisonnés, comme s’il avait craint un coup de force, une mutinerie.

Herra et les murmures du temps…

Lorsque je débouchai au second étage de cette incroyable maison, précédé par Richard Æschlimann, je pus constater que les pirates avaient aussi sévi dans les affiches, les plaques émaillées, découpages, et j’en passe. Je me demande ce qu’en penserait Hergé…

Une foule de petits personnages en bois sculpté venus d’Afrique m’attendaient alignés tout au long d’une des parois. Œuvres de pirates, eux aussi, ils me parurent très sages avec juste cette touche de naïveté et de grotesque propre aux artistes de là-bas.

Tout le petit monde d’Hergé était représenté: Tintin et son inévitable Milou, mais aussi le capitaine Haddock, le professeur Tournesol, sans oublier les Dupont-Dupond. Dans un coin trônait aussi la statuette Arumbaya, ce fétiche devenu légendaire à cause de son oreille cassée. Pas très loin, se dressait encore la Castafiore en train de s’époumoner sur son sempiternel air d’opéra. 

Étranges absences…

J’avais fait ce voyage du Jura aux surplombs du Léman pour comprendre le pourquoi de la publication de cet album insolite, superbement intitulé «Les Murmures du temps» et qui m’avait intrigué au point de me faire quitter ma tanière. Il fallait que je comprenne, que je sache…

Faussement candide, je questionnai:

— J’ai remarqué que dans tout ton album, Tintin, Milou et les habituels personnages de la mythologie d’Hergé sont les grands absents… Comment expliques-tu ces manques?

— C’est voulu. Je voulais produire l’ambiance, l’atmosphère, propres à l’univers de Tintin, mais en partant de l’idée que le temps avait passé.

J’avais effectivement remarqué, outre ces absences flagrantes, que les titres, souvent partiellement cachés, masqués par de la végétation, ou encore corrodés par des intempéries, suggéraient le temps qui avait filé. Soudain, il ajouta:

— Et, j’ai voulu cela par respect pour Hergé…

Et moi, mauvais esprit, qui imaginais déjà que c’était une malignité pour éviter un procès éventuel! Pourtant, connaissant bien l’artiste, je ne pus douter de ses réelles intentions.

Ambiance? Univers décalé cependant retrouvé? J’étais convaincu. Lorsque j’avais reçu ces «Murmures du temps», passé l’étonnement de la découverte, je m’étais précipité sur ma bibliothèque pour y saisir toute la collection des aventures de Tintin et Milou. Durant plusieurs jours, j’avais tout relu… avec passion.

Ce faisant j’avais retrouvé les sensations que je croyais disparues, enfouies au fond du jardin secret de mon enfance, de ma jeunesse. À ma grande surprise, elles étaient toujours présentes, intactes, malgré ce temps qui avait pourtant beaucoup murmuré depuis mes émois de jeune lecteur.

«Les Murmures du temps», par Herra, 66 pages, Editions Plexus 2010

Yverdon. Né en 1944 à Yverdon-les-Bains, Richard Aeschlimann est peintre, dessinateur, écrivain et galeriste.

Chexbres. Depuis 1976, à Chexbres, il anime en collaboration avec son épouse Barbara la Maison des Arts Plexus.

1929. C’est le 10 janvier 1929 qu’a paru le 1er épisode de «Tintin au pays des Soviets».

Chiffres records. A ce jour, les aventures de Tintin ont été vendues à plus de 230 millions d’exemplaires et ont été traduites dans plus de 80 langues.

 

Vies parallèles. Malgré l’étroite surveillance de la société Moulinsart, chargée de l’exploitation commerciale de l’œuvre d’Hergé, les pastiches et autres parodies de Tintin sont innombrables.

Cinéma. Annoncée depuis des années, l’adaptation de l’une des œuvres de Hergé par Steven Spielberg est à bout touchant…  Le film d’animation «Les aventures de Tintin: le secret de la Licorne», réalisé par Steven Spielberg et coproduit par Peter Jackson devrait être sur les écrans dès le 26 octobre 2011.

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