Trois panoramas pour un gros cube
A Morat, le Monolithe de Jean Nouvel abrite trois panoramas. Un jeu intéressant sur le passé et le présent, le vrai et le faux.
A Morat, le Monolithe d’acier rouillé trône, à un long jet de pierre – 200 mètres – de la rive. Comme posé là depuis toujours. Instant et éternité… De loin, il ne paraît pas immense, ses 34 mètres de côté s’intégrant aisément au paysage.
Toute autre impression lorsqu’on est dans ses entrailles. 1156 mètres carrés, cela vous fait un loft très convenable… Surtout lorsque cette superficie se retrouve sur trois étages, et qu’à chaque étage correspond un univers totalement différent.
Le présent en mouvement
Paradoxalement, c’est un monde de rondeur qui vous accueille au rez-de-chaussée. Sur un écran géant circulaire s’étend le «Panorama suisse version 2.1». Au centre, les spectateurs ne savent plus où donner des yeux, car ce sont d’innombrables images qui défilent en un long clip saccadé. Photos de rues, d’enfants, d’animaux, de fleurs, La Suisse moderne est là avec ses clichés, mais également sous des angles inattendus.
Un escalator vous amène au 2e étage. Des ajournements font alors entrer le paysage réel dans le monstre d’acier. Autour, le lac. Au nord, le Mont-Vully, et au-delà, le Jura. Au sud, Morat et son château. Du bleu et du vert. Ou du gris et du vert, c’est selon.
Le passé suspendu
Ce paysage-là, c’est exactement le même que celui du panorama que l’on découvre au 3e étage. Même château, même Mont-Vully. Moins de bâtiments, toutefois. Mais moult chevaliers en plus.
Rappel des faits: le 22 juin 1476, les troupes confédérées mettent en charpie l’armée de Charles le Téméraire. Un travail entamé le 2 mars à Grandson, et auquel elles mettront un terme le 5 janvier à Nancy, avec la bénédiction du Roi de France Louis XI, quelque peu agacé par les ambitions débordantes du Duc de Bourgogne.
1894… Le peintre Louis Braun livre son œuvre, le «Panorama de la Bataille de Morat»: 90 mètres de long, 10,5 mètres de haut. Choc pour le public, qui n’est pas encore habitué aux écrans géants, à Steven Spielberg ni à George Lucas. Soudain, il se trouve au milieu de la bataille, déferlements de chevaux, fumée des fermes qui brûlent, soldats éventrés.
Mais le succès fut de courte durée. Peut être justement à cause de l’arrivée du cinéma, au début du 20ème siècle. En 1905, l’œuvre géante de Louis Braun est rangée. Offerte en 1924 à la ville de Morat, elle restera dans un dépôt. Où elle s’altérera tranquillement, jusqu’à ce que la perspective d’Expo.02 mette en branle un commando de restaurateurs…
L’Histoire subjective
La Bataille de Morat version Louis Braun n’est sans doute pas plus réaliste que Pearl Harbor version Michael Bay. L’un comme l’autre répondaient aux mêmes intentions: faire vibrer la fibre patriotique d’un peuple en lui offrant du même coup un bon frisson.
Car, comme le désastre américain fut un moment charnière de l’histoire des USA, la victoire confédérée le fut également pour l’histoire de la Suisse: notamment en marquant le début de son expansion vers l’ouest. Par le biais de la peinture, c’était donc l’identité d’un pays qu’il s’agissait de représenter, quitte à se permettre des approximations. Ainsi cette bannière valaisanne qui flotte au vent de la bataille, alors que le Valais n’est entré dans la Confédération qu’en 1814…
Qu’importe l’exactitude, pourvu qu’on ait l’ivresse. Et l’odeur de la poudre et du sang à Morat, un jour de juin, vaut bien celle du «napalm au petit matin», si chère à l’officier cinglé de «Apocalypse Now!».
swissinfo/Bernard Léchot
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.