Un humour abrasif pour décoller la poisse
Dans son dernier roman, «Le sacre de l'inutile», publié chez Campiche, l'écrivain suisse Thierry Luterbacher suit le destin calamiteux de Raoul Latraviole, personnage au burlesque lunaire, né du mauvais côté. Un bonheur néanmoins.
Toute une vie contaminée d’inutile! Pour accepter cette vie-là et en jouir, il faut être sacrément farfelu. C’est le cas de Raoul Latraviole, de son état «peintre naïf», «poseur de cailloux», «gardien de but», «Faiseur dans une compagnie de cinéma», «testeur de futurs médicaments», homme à tout faire et à ne rien faire, perdu qu’il est dans ses rêves et dans une existence qu’il ne cesse de s’inventer pour échapper à son sort.
Car Raoul Latraviole a la poisse collée aux basques. Où qu’il aille et quoi qu’il fasse, il reste prisonnier d’une malchance endémique héritée de sa mère Irène, danseuse de cabaret, morte d’une pleurésie et d’une «maladresse à vivre».
Né pour jouer les anti-héros, Latraviole affirme avoir «la gravité drôle» et «le drame clownesque». Ce qui lui permet d’être un perdant magnifique, un «looser» attachant et infiniment cocasse, placé au centre du dernier roman de Thierry Luterbacher, «Le sacre de l’inutile». Soit un livre d’aventures qui s’apparente à une chronique des années de poisse, contée avec une folie jubilatoire et ô combien libératrice.
Tragi-comique, Latraviole l’est certainement. D’ailleurs il le dit et l’assume, lui qui porte en son être «l’imminence d’une catastrophe» et transmet aux autres «le pressentiment de la tuile à venir».
Rester, partir
Pour conjurer donc le sort, notre homme rêve une autre existence, se réincarne en hippie ou en Lawrence d’Arabie, voyage en Asie, traverse le Pakistan, l’Afghanistan et la Turquie, se heurte à ses illusions, touche terre et rebondit pour mieux rêver. La fureur de vivre, on vous dit, livrée avec un humour abrasif qui dissout la glue et fait de la déveine une gigantesque comédie.
Mais attention, «Le sacre de l’inutile» n’est pas seulement un roman fantaisiste. Il aborde par la bande des questions essentielles: le hasard et la nécessité, la difficulté d’aimer, la solitude mystique. On peut même dire que ce livre éclaire d’une autre lumière le paysage romanesque romand, habituellement dominé par deus types d’auteurs: les écrivains du terroir et les écrivains-voyageurs.
Les premiers (dont Charles-Ferdinand Ramuz) sont attachés à une Suisse éternelle, les seconds (dont Nicolas Bouvier) y étouffent et préfèrent élargir leur horizon. Thierry Luterbacher fait honneur aux tenants des deux bords en même temps qu’il s’en détache.
Car s’il évoque dans son «Sacre de l’inutile» la beauté unique de nos alpages, c’est pour la mettre dans une atmosphère de franche gaudriole. Et s’il raconte avec délice les voyages de Raoul, c’est pour dire que l’exotisme est un mirage. Comme ces mirages du désert traversé par son héros, qui vous renvoient sans cesse le reflet d’un monde frappé d’irréalité.
swissinfo, Ghania Adamo
«Le sacre de l’inutile» de Thierry Luterbacher, Bernard Campiche Editeur, 142 pages.
Né en 1950 à Péry-Reuchenette, dans la partie francophone du canton de Berne.
Artiste-peintre, journaliste, réalisateur, romancier et metteur en scène de théâtre, il a été l’élève d’Antoine Vitez au Conservatoire d’art dramatique de Paris.
Son premier roman, «Un cerisier dans l’escalier», a reçu de nombreux prix attribués en Suisse et en France.
De lui, Campiche a également publié «Quidam» et «Le splendide hasard de pauvres».
Père de trois enfants, il vit aujourd’hui à Romont, près de Bienne.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.