Un photographe entre deux mondes
Le photographe Michael von Graffenried expose 28 images panoramiques en noir et blanc au Musée des Beaux-arts de Berne.
Pour la première fois, ses instantanés d’Algérie et de Suisse se côtoient. Des images fortes, touchantes et parfois dérangeantes.
Intitulée «Entre deux mondes», l’exposition explore les contrastes entre l’Algérie et le pays natal de Michael von Graffenried: la Suisse.
Le photographe bernois, qui s’est rendu trente fois en Algérie depuis 1991, admet être tombé amoureux de ce pays. «La première fois que je suis allé là-bas, j’ai découvert une hospitalité qui n’existe plus nulle part ailleurs», constate le photographe.
Un pays où la guerre entre pouvoir et extrémisme islamique règne pourtant depuis une décade.
Travailler caché
Von Graffenried est pleinement conscient des risques qu’il prend lors de ses séjours algériens. D’un côté, les fondamentalistes. Des dizaines de reporters, photographes, cameramen ont été tués au cours de ces dernières années. De l’autre, un gouvernement qui exerce sur la presse un contrôle serré.
Pour saisir des images de la vie quotidienne, il faut donc travailler en se dissimulant. Selon von Graffenried, son teint mat et ses cheveux foncés lui permettent de se confondre avec la population locale. Et les personnes qu’il prend pour sujets ignorent en général qu’elles sont en train d’être photographiées.
Le Bernois a d’ailleurs troqué son appareil Hasselblad pour un Widelux qui n’émet aucun bruit d’obturateur… «Je cache l’appareil sous mon manteau, avoue-t-il. Et malgré le fait que ce soit une mise au point fixe, je suis très content du résultat.»
Images volées
En principe, Michael von Graffenried préfère demander l’autorisation de prendre des photos. Mais selon lui, il est impossible d’agir ainsi en Algérie. «A ce propos, je me sens coupable, dit-il. Mais j’ai tout de même pu rendre aux Algériens certaines de ces images volées, lors d’une exposition, il y a deux ans à Alger».
Le Bernois fait volontiers part de son respect pour les photographes de presse algériens qui poursuivent leur travail, malgré les pressions gouvernementales et le climat de violence ambiant: «Si je me sens en danger, je peux partir. Pas eux.»
Domicilié à Paris, Von Graffenried constate par ailleurs que plusieurs journalistes français pensent qu’il devrait éviter de travailler en Algérie. Selon eux, être accepté par le gouvernement, c’est être contrôlé par lui… Pourtant, von Graffenried se refuse à «boycotter» l’Algérie, et compte bien y retourner.
Regard personnel
La puissance des photos algériennes de von Graffenried est d’autant plus grande qu’elles côtoient celles qu’il a réalisé en Suisse. Intimes, quoique dénuées de tout sentimentalisme, celles-ci traduisent un regard personnel et affectueux sur la Suisse, un regard très éloigné des clichés fromage et chocolat.
Sur l’une d’elles, des enfants portent des fusils, sur la route du stand de tir. Une autre montre des nonnes dominicaines lors de la prière… Une autre, enfin, immortalise les pompiers bernois observant une minute de silence en hommage à leurs confrères new-yorkais qui périrent le 11 septembre 2001.
swissinfo, Richard Dawson
(traduction: Bernard Léchot)
«Entre deux mondes», à voir au Kunstmuseum de Berne jusqu’au 22 juin.
– Michael von Graffenried est né à Berne en 1957. Autodidacte, il a commencé à travailler comme photographe en 1978.
– Ses images ont été publiées dans de très nombreux magazines, et exposées dans plusieurs villes prestigieuses (New York, Paris, Alger, Hong Kong).
– Parmi les livres qu’il a publiés: «Soudan. La guerre oubliée» (1995), «Algérie. Photographies d’une guerre sans images» (1998).
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