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Un projet culturel au défi de la démocratie directe

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A Lausanne, un projet de nouveau Musée des Beaux-Arts provoque un vif débat. Les adversaires ont lancé un référendum contre la nouvelle institution qui, elle, mobilise un large front d'artistes et de notables.

Laisser du temps au temps. L’adage mitterrandien colle à merveille au projet vaudois de nouveau musée cantonal des Beaux-Arts. En 1926 déjà, le directeur dudit musée estimait qu’il fallait un nouveau bâtiment entièrement consacré aux beaux-arts. Une nécessité pour mettre en valeur les collections et préserver le patrimoine artistique du canton de Vaud.

Comme à l’époque, l’actuel musée lausannois cohabite avec d’autres institutions dans le Palais de Rumine, un vénérable bâtiment au style bigarré d’inspiration Renaissance. Anne-Catherine Lyon, ministre du canton de Vaud en charge de la culture, le rappelle, ce vieux projet a réapparu dans l’agenda politique en 1991.

Miné principalement par les difficultés financières du canton, le projet a continué de végéter quelques années avant d’aboutir à un premier résultat: la tenue d’un concours d’architecture et, en 2005, la désignation d’un projet à l’unanimité d’un jury international.

Conçu par le bureau zurichois Berrel Wülser Kräutler, il prévoit un nouvel édifice sur le site de Bellerive, au bord du lac Léman, alors que le Palais de Rumine trône au centre historique de la capitale vaudoise.

Les fronts se dressent

Mais voilà. Un nouvel obstacle – habituel en Suisse – se lève aujourd’hui sur la route du nouveau musée.

Un groupe d’opposants dont le fondateur de la Cinémathèque suisse Freddy Buache, l’ancien directeur de la célèbre Collection de l’art brut Michel Thévoz ou l’infatigable défenseur de la nature et du patrimoine Franz Weber, récolte des signatures pour que les citoyens du canton puissent voter pour ou contre cette nouvelle institution. Le scrutin pourrait avoir lieu en novembre, si les 12’000 signatures nécessaires sont récoltées dans les temps.

Sans attendre, un large éventail d’artistes, d’architectes, de responsables d’institutions culturelles, tels Yvette Jaggi, ancienne présidente de Pro Helvetia, le graphiste Werner Jeker ou Patrick Aebischer, directeur de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) se sont mobilisés pour convaincre les Vaudois de la pertinence de ce nouveau musée.

Selon l’opposant Michel Thévoz, le site choisi pour le nouveau musée prive le centre-ville d’une institution majeure, alors que, selon lui, la plupart des villes européennes maintiennent ou construisent leur musée au centre.

La ville est polycentrique

Un argument qui ne tient pas aux yeux d’Anne-Catherine Lyon. La ministre cite l’exemple de la Fondation Beyeler située en périphérie de Bâle, qui connaît un grand succès, ou celui du musée de la Fondation Guggenheim, qui a permis de dynamiser une zone périurbaine de Bilbao, la ville la plus importante du pays basque espagnol.

«En parlant de centre et de périphérie, les opposants ont une vision complètement dépassée des villes qui deviennent polycentriques», assure la magistrate.

Un argument que partage le géographe Yves Bonnard. Saluant la tenue du débat provoqué par le comité référendaire, le chercheur souligne l’effet de levier produit par le nouveau musée pour repenser l’aménagement et le développement des rives lausannoises.

Un axe renforcé par la construction en cours du vaste et ultramoderne campus de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) situé aussi au bord de l’eau dans la commune voisine d’Ecublens.

De son côté, Anne-Catherine Lyon rappelle que les rives lausannoises sont déjà agrémentées d’éminentes institutions culturelles: le Musée de l’Elysée consacré à la photographie, le théâtre de Vidy conçu par l’architecte, peintre et sculpteur Max Bill à l’occasion de l’exposition nationale de 1964, sans oublier le musée olympique du CIO.

«Avec le crédit d’étude que vient de voter le parlement cantonal, nous allons améliorer la mobilité le long du lac et développer une approche globale de cette zone», promet Anne-Catherine Lyon.

L’intervention du privé

Pour autant, Michel Thévoz ne désarme pas. «Ce projet conduit à un changement de statut du musée des Beaux-Arts. Intégralement aux mains de l’Etat aujourd’hui, il deviendrait une fondation de droit public. C’est donc un début de privatisation. Je rappelle que l’UNESCO recommande aux gouvernements de préserver le statut public du musée et d’éviter l’intrusion du marché et de la spéculation.»

Un argument qui a le don de faire bondir la ministre socialiste. «Une fondation de droit public est cadrée par une loi parlementaire. Toutes les pièces acquises par le musée deviennent un patrimoine inaliénable de l’Etat qui continue, avec une telle fondation, de payer l’intégralité du budget de fonctionnement du musée», souligne Anne-Catherine Lyon.

Qui poursuit: «Dans ce projet, le partenariat public-privé concerne la construction du musée. En tant que fondation de droit public, le musée pourra développer des programmes avec un recours facilité à des sponsors.»

Reste que cette procédure typique de la démocratie helvétique peut paraître particulièrement longue et tortueuse. Mais elle a un insigne avantage mentionné il y a quelques années par l’architecte français Jean Nouvel: quand les travaux commencent, aucune opposition ne peut entraver le chantier.

swissinfo, Frédéric Burnand à Genève.

Les collections du Musée cantonal des beaux-arts comptent à ce jour 8400 œuvres, dont plus de la moitié sont des œuvres sur papier. Actuellement, au vu de l’exiguïté des locaux à disposition, moins de 5% de la collection est visible simultanément.

L’initiative privée est à l’origine non seulement de la création du musée, en 1841, mais aussi de l’enrichissement régulier de ses fonds et de son ouverture à l’art international par le biais de legs et de dons importants.

Une partie des collections donne un aperçu de l’histoire générale de l’art dès l’Egypte ancienne et jusqu’à l’art contemporain, mais la période d’excellence s’étend de la seconde moitié du XVIIIe siècle au post-impressionnisme, avec quelques ouvertures sur la première moitié du XXe siècle. L’art figuratif demeure largement dominant.

Ces collections permettent d’illustrer l’histoire de l’art suisse et vaudois dans ses rapports avec l’art européen.

Le musée gère les fonds des artistes vaudois Abraham-Louis-Rodolphe Ducros (1748-1810), Charles Gleyre (1806-1874), Félix Vallotton (1865-1925) et Louis Soutter (1871-1942).

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