Un Salon du Livre «acteur culturel»
Le 25ème Salon international du livre et de la presse de Genève s’ouvre vendredi, sous la houlette d’un nouveau président: le journaliste Patrick Ferla, qui a décidé de replacer la création au centre de la manifestation genevoise. Entretien.
Chaque printemps, le Salon de Genève attire 100’000 visiteurs environ. Passionnés, badauds, nuées d’écoliers, tous se retrouvent autour de cet objet vieillot à l’actualité néanmoins toujours brûlante appelé «livre».
Autour du livre, des débats, des podiums multiples, mais jusque là assumés essentiellement par certains partenaires du Salon: Radio Télévision Suisse, Fnac, L’Illustré, l’Hebdo, pour ne citer que les plus visibles. Un élément important de la manifestation, auquel le nouveau président, Patrick Ferla, a décidé que le Salon devait apporter désormais sa propre participation.
swissinfo.ch: Vous reprenez un Salon du Livre âgé de 25 ans. Selon vous, en matière d’édition, le contexte socio-économique a-t-il beaucoup changé entre 1987 et aujourd’hui?
Patrick Ferla: Il y a un nombre croissant d’éditeurs, en Suisse comme en France. Souvent, de petits éditeurs, qui ont besoin de visibilité. Le Salon, qui sur le fond est une manifestation très populaire, leur donne précisément cette visibilité.
swissinfo.ch: Ces dernières années, le Salon avait pourtant été marqué par le retrait de pas mal d’éditeurs français et leur représentation par leurs diffuseurs.
P.F.: Gallimard, Grasset, Le Seuil, Albin Michel sont présents. Gallimard, cette année, vient d’ailleurs présenter une exposition consacrée à ses 100 ans d’existence. Il est vrai qu’un certain nombre d’éditeurs sont représentés plutôt par leur diffuseur, pour des questions de coût. Mais leurs auteurs sont présents. La rencontre entre ceux-ci et le public existe donc.
swissinfo.ch: Qu’en est-il aujourd’hui du lien avec les éditeurs suisses alémaniques?
P.F.: Certains éditeurs alémaniques sont présents. Mon intention – mais je n’ai pas pu tout faire en même temps – est de renouer le contact avec la Suisse alémanique. Je note au passage que la presse alémanique s’est montrée très intéressée cette année: j’ai rencontré des journalistes de la NZZ, de la Basler Zeitung.
Je pense que nous devrions entretenir des liens avec BuchBasel: je verrais bien, sous une forme à définir, une présence du Salon du Livre à Bâle et de BuchBasel à Genève. Réunir les régions plutôt que de vivre une concurrence qui n’a pas lieu d’être.
swissinfo.ch: Votre trajectoire de journaliste vous amène-t-elle à une approche différente du Salon de celle que pouvait avoir un éditeur comme Pierre-Marcel Favre?
P.F.: Mon souci est de faire de cette manifestation un acteur culturel. Jusqu’à maintenant, ce travail était fait par un certain nombre de nos partenaires, des exposants du Salon, qui se chargeaient d’habiter, d’animer la manifestation. Mais je pense qu’un Salon, en tant que tel, doit ‘signer’.
C’est le changement notoire que j’entends apporter. Je pense que notre travail à nous, Salon du Livre, est d’opérer un recentrage sur la création, de donner la parole aux créateurs, et de nous ouvrir à d’autres disciplines en lien direct avec l’écrit.
swissinfo.ch: Parmi les nouveautés que vous apportez, il y a «Le Temps de le dire», une sorte de festival littéraire interne au salon.
P.F.: On a tous besoin de projets et d’engagements. Le Salon, pour la première fois de son existence, s’engage à travers ce festival, où l’on fête le livre et l’écriture. A travers cinq rencontres par jour, et notamment une ouverture au spectacle, au théâtre, au cinéma en particulier.
swissinfo.ch: Une citation de Jean d’Ormesson, à qui vous devez d’ailleurs le titre de l’une de vos émissions: «Un livre qui passe à la télévision est un livre menacé, parce que la télévision transforme le livre en spectacle». Votre réaction?
P.F.: On peut rendre visible sans forcément obéir aux lois du spectacle. On ne parle quasiment jamais du livre sur certaines chaînes de télévision, et lorsqu’on en parle, c’est l’espace de deux ou trois minutes. Or le rapport que nous entretenons à l’image fait qu’il s’agit d’être bon tout de suite, et sur deux ou trois minutes! Or si des écrivains écrivent, ce n’est pas forcément au départ pour devoir s’expliquer ensuite, d’où les difficultés de certains.
Dans notre festival, nous aurons des entretiens de 45 minutes, avec Pierre Assouline, Jean-Marc Roberts, Andreï Makine… Un temps suffisant pour dialoguer, sous le thème générique de «L’écriture et ses complications». Cela pour rappeler que l’écriture, c’est compliqué, comme les fameuses «complications horlogères».
swissinfo.ch: Vous soulignez votre envie de replacer la créativité au centre du Salon. Le fait que ce soit Palexpo S.A. qui organise la manifestation depuis 2008 ne vous fait-il pas vous cogner à des contraintes économiques?
P.F.: Absolument pas. Précisément, cette année, le festival que nous lançons a un coût – Daniel Pennac, ou des comédiens comme Philippe Morand ou Jean-François Balmer vont y participer. Or ce coût est assumé par Palexpo et la Fondation pour l’Ecrit. Non, je n’ai eu aucun problème pour réaliser ce que je mets en chantier. Parce que pour moi, cette première édition est une mise en chantier…
swissinfo.ch: Autre nouveauté: le «Laboratoire des nouvelles lectures», une opération présente au Salon, qui s’est bâtie en amont grâce à une plateforme web, sorte de mini Facebook littéraire. Une plateforme destinée à exister sur le long terme?
P.F.: Il faudra voir comment le projet, initié par Adeline Baux, la directrice du Salon, est accueilli par les professionnels, mais aussi par le public, pour envisager son maintien. Par exemple à travers le site du Salon, ce que, personnellement, je souhaiterais: ce serait une façon d’entretenir un dialogue avec celles et ceux qui nous rendent visite.
Ce qui est en question à travers ce «laboratoire», c’est l’avenir du livre et du numérique. Au Salon, cela se traduira par deux rencontres. Lors de la première, samedi, les visiteurs vont partager leurs questionnements par rapport au livre numérique, aux tablettes, et entendre le témoignage d’un certain nombre d’écrivains présents, par exemple Paolo Coelho, qui va témoigner de ce que le numérique change ou non dans sa manière d’écrire.
Le deuxième rendez-vous de ce projet, ce sera lundi, avec un certain nombre de professionnels – éditeurs, auteurs, bibliothécaires – à propos du travail de la mise en page et de la création en matière de livre numérique.
swissinfo.ch: Pour conclure: le dernier livre que Patrick Ferla a lu?
P.F.: «Tout passe», de Bernard Comment. Un très joli livre paru chez Christian Bourgois, un recueil de nouvelles consacrées à la relation au temps, à la disparition. Il y a une place pour l’espièglerie et l’humour, chez Bernard Comment. C’est un très beau rendez-vous.
Favre. Le Salon international du livre et de la presse de Genève a été fondé en 1987 par l’éditeur lausannois Pierre-Marcel Favre, qui en a assumé la présidence pendant un quart de siècle avant de passer le témoin à Patrick Ferla.
25ème. Du vendredi 29 avril au mardi 3 mai 2011, «le Salon» célèbre sa 25e édition. Deux innovations importantes.
Labo. La première est le Laboratoire des nouvelles lectures, constitué avant la manifestation d’une plateforme web (www.lectureslab.ch), et pendant le salon de la conférence Lift et d’un atelier de formation.
Festival. La seconde est une série d’événements réunis dans le cadre du Salon sous le label «Le Temps de le dire», un ‘festival’ – débats, rencontres, entretiens – mené par Patrick Ferla, nouveau président du Salon.
Hôtes d’honneur: L’Arménie et l’Office fédéral de la Culture (OFC)
Expositions. Comme chaque année, le Salon propose plusieurs expositions, parmi lesquelles:
– L’art de la franc-maçonnerie
– Gallimard fête ses 100 ans
– Etienne Delessert
– L’Hebdo fête ses 30 ans
– Alexandre Voisard – Des histoires d’aquarelles
– Amnesty International: ‘50 ans contre l’injustice’
– Daniel Pennac – L’imagination n’est pas le mensonge
Salons parallèles. A découvrir également, le Salon de l’étudiant, le Salon africain et «Artbygenève», foire internationale d’art de Genève.
1637. C’est le nombre d’animations annoncées par l’édition 2011 du Salon!
RSR. Après avoir notamment créé, produit et animé plusieurs émissions à la Radio Suisse Romande («Week-end Show», «Spectacle-Première», «Subjectif», Les «Petits Déjeuners»), il a été adjoint à la Direction des programmes durant 7 ans.
Presque rien. Depuis une dizaine d’années, il produit et anime «Presque rien sur presque tout», une émission de rencontres et d’entretiens (vendredi 13h00).
Publications. Il a notamment signé Dimitri (Favre 1979), Conversations avec Marcel Maréchal (Favre 1983), La Mémoire du regard. Charles-Henri Favrod (Favre 2000), Chroniques hongkongaises: Une si parfaite irréalité (Zoé 2008), L’Ethnographie en cent images ou l’album de Jacques Hainard (Infolio 2011).
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.