Un Suisse du nom de 007
Hormis le Royaume d'Angleterre, aucun autre pays que la Suisse ne peut se prévaloir d'une telle proximité avec l'agent secret de sa Gracieuse majesté, de retour sur les écrans. Pourquoi donc? Deux chercheurs alémaniques ont consacré un livre à cette question.
Le réalisateur Marc Forster vient d’écrire un nouveau chapitre de cette relation dans le film entre la Suisse et le célèbre personnage dans «Quantum of Solace», qui est actuellement à l’affiche dans les salles suisses.
Mais cette étonnante relation remonte loin dans le temps…
swissinfo: L’actrice suisse Ursula Andress sortant des eaux en bikini. Telle est l’image qui a marqué les débuts de cette histoire de proximité entre 007 et la Suisse. Une image paradisiaque, non…
Michael Marti: Cette proximité entre James Bond et la Suisse commence beaucoup plus tôt, dans les romans de Ian Flemming qui est le créateur du personnage. Cet aspect occupe une place centrale dans notre recherche. L’écrivain en effet a séjourné en Suisse en 1930 et 1931 où il a fait la connaissance de Monique Panchaud de Bottens, une jeune brune de grande beauté qui avait alors 20 ans et dont il fit sa fiancée. Elle devint également le modèle de la mère suisse de James Bond dans l’univers romanesque de l’écrivain.
Peter Wälti: Nous ne sommes pas très sûrs dans quelle mesure la célèbre scène avec Ursula Andress a été alors associée à la Suisse. Nous ne savons pas non plus dans quelle mesure l’origine suisse d’Ursula Andress a été vraiment perçue comme telle hors de nos frontières mais aussi en Suisse. Elle était de toute façon entièrement synchronisée. Nous avons consulté la presse populaire de l’époque et nous n’avons trouvé nulle mention de la citoyenneté suisse de l’actrice.
swissinfo: Bond est également à moitié suisse. Comment est-ce possible?
M. M. : Ian Fleming le mentionne dans le roman «On ne vit que deux fois», paru en 1964.
P. W. : Dans «On ne vit que deux fois», le dernier film de la trilogie dite de «Blofeld» qui compte «Thunderball» et «Au service secret de sa Majesté», 007 arrive enfin à débarrasser la planète du méchant Blofeld. Mais comme les services secrets croient qu’il est mort en service, ils publient une nécrologie où son origine suisse est dévoilée.
swissinfo: Ian Flemming a mis beaucoup d’éléments autobiographiques dans ses romans. Y a-t-il d’autres exemples où la Suisse apparaît?
M.M. : Parallèlement à sa fiancée suisse, il y a bien sûr les impressions laissées par les paysages suisses et toutes les passions que l’écrivain a pu vivre dans notre pays: le ski et l’alpinisme. Mais Ian Flemming percevait la Suisse comme un banquier anglais pouvait la percevoir à l’époque et a répercuté cette image caricaturale dans ses romans: celle d’un pays qui sert de refuge bancaire aux criminels et aux terroristes.
swissinfo: La Suisse, l’antre du mal. Pourquoi cette image?
M. M. : Cette image négative de la Suisse comme refuge des terroristes, des escrocs et des gens qui planquaient leur argent correspondait à la perception dominante dans les années 50 et 60 en Angleterre. Une image qui revient périodiquement, comme dans le cadre de toute l’affaire des fonds juifs en déshérence dans les années 90.
P.W. On relèvera également que cette image de la Suisse véhiculée par Ian Flemming est étroitement inspirée des Gnomes de Zurich. En 1966, un livre a paru sur ce sujet, mais le terme avait été déjà utilisé en 1956 par le travailliste Harold Wilson, qui était alors chancelier de l’échiquier.
swissinfo: Dans les films, 007 évolue presque toujours dans les régions les plus exotiques de la planète. Pour le public, la Suisse faisait-elle aussi partie des destinations exotiques?
P. W. : Il faut replacer tout cela dans le contexte du déclin de l’Angleterre après-guerre, déclin économique avec la chute de la livre sterling mais aussi politique qui contraint le pays à abandonner son leadership. Dans les années 50, la population britannique ne pouvait pas se permettre des voyages aussi lointains. Les romans de Ian Flemming étaient en quelque sorte des guides de voyage qui faisaient rêver.
M. M. : En extrapolant, la Suisse, pays privé de débouché maritime, la Suisse était un peu considérée comme une île. Dans les films, elle est dépeinte avec les mêmes stéréotypes que la Jamaïque ou d’autres micro-états qui abritent le crime organisé.
Le Schilthorn incarne cette image de l’îlot alpestre, un lieu difficilement accessible, où les criminels peuvent facilement se cacher. Le rôle politique de la Suisse était alors perçu comme celui d’un refuge.
swissinfo: Pour reprendre l’image du Schilthorn. Quel a été l’impact du film «Au service secret de sa Majesté»?
M. M. : Le chantier du Schilthorn était au bord de la faillite. On avait raclé tous les fonds de tiroir pour la dernière étape de la construction. L’accord conclu avec la société productrice prévoyait que cette dernière devait financer les coûts de la station supérieure. En contrepartie, pendant six mois, elle pouvait utiliser le téléphérique pour les besoins du tournage.
P. W. : Ce «deal» a été déterminant pour le Schilthorn et cette histoire est toujours présente aujourd’hui: le numéro de téléphone du téléphérique se termine par 007 et le chiffre symbolique est bien visible sur les cabines. Mais on le voit aussi d’un point de vue architectural: l’héliport construit pour le film est devenu la terrasse d’où l’on admire aujourd’hui le panorama.
M. M. : L’impact économique a été énorme. En deux ans, le nombre des passagers a considérablement augmenté. Et tout le marketing du Schilthorn continue de s’inspirer de James Bond et du « Piz Gloria ». C’est le cas actuellement en marge du lancement du dernier film.
Et le Schilthorn a été quasiment rebaptisé avec le nom repris du roman de Flemming. Il s’agit d’un cas unique d’un impact d’une œuvre romanesque sur la géographie du pays.
Interview swissinfo: Christian Raaflaub, Zurich.
(Traduction de l’allemand: Bertrand Baumann)
Quantum of Solace (titre généralement traduit en français par «Un soupçon de réconfort») sort sur les écrans en Suisse le 4 novembre.
C’est le réalisateur suisse Marc Forster (39 ans) qui a réalisé ce 22e film mettant en scène le très célèbre agent secret 007.
Dans ce film, un deuxième Suisse figure en haut de l’affiche: Anatole Taubmann (37 ans) qui joue le rôle du méchant.
Le budget du film se monte à 230 millions dollars, soit le James Bond le plus coûteux de tous ceux qui ont été réalisés jusqu’ici.
Michael Marti et Peter Wälty ont publié fin octobre dernier le livre «James Bond und die Schweiz» (James Bond et la Suisse, en allemand seulement).
Le livre, qui contient plus de 200 illustrations, dont beaucoup proviennent de collections privées, paraîtra aux Editions Echtzeit Verlag à Bâle.
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