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«Un Véronèse», tableau moiré d’un amour juvénile

'Un Véronèse', détail de la couverture. Ed. Zoé

Paru aux éditions Zoé, à Genève, le dernier roman d’Etienne Barilier se distingue dans cette rentrée littéraire romande. L’écrivain vaudois y dépeint avec finesse la naissance du sentiment amoureux chez un jeune garçon, dans le cadre somptueux du Lido vénitien.

Si Etienne Barilier était un cinéaste, on l’aurait comparé à Visconti pour sa capacité à créer une atmosphère élégante et feutrée, avec des personnages ambigus qui se complaisent dans le mensonge et la mélancolie. Cela vaut notamment pour son dernier roman «Un Véronèse», qui se passe sur la côte adriatique, sur les plages du Lido précisément, là où Visconti tourna «Mort à Venise», entre hôtels de luxe et amours inavouées.

Et si Etienne Barilier était un peintre, on l’aurait comparé à un maniériste pour son immense palette de couleurs qui se joue des codes et des symboles, multiplie les allusions au monde des arts et des lettres et crée chez le lecteur un trouble et un plaisir à la fois. Maniériste donc comme Véronèse qui donne son nom au roman et fait de Théo, le héros et le narrateur, un personnage à la posture indécise, qui hésite entre deux femmes, deux amours.

L’éveil du printemps

Théo, c’est en quelque sorte le pendant littéraire du «Jeune homme entre le Vice et la Vertu», célèbre tableau dudit Véronèse qui sert de fil rouge au roman de Barilier. Et qui suscite une réflexion fine et vertigineuse sur le choix amoureux, sur le Beau et le Laid, le Bien et le Mal associés à tort aux notions de Vertu et de Vice.

Seize ans. C’est l’âge de Théo. «L’éveil du printemps» aurait dit Frank Wedekind, «l’âge où le ridicule tue», écrit Etienne Barilier, auquel on voudrait réponde que le ridicule tue même à 50 ans lorsque l’amour s’y mêle.

Bref, là n’est pas le propos du romancier. Sa «mort à Venise» est la mort d’une innocence que Théo vit avec l’exaltation, la peur, la souffrance et le bonheur d’un jeune homme qui se sera trompé jusqu’au bout sur les intentions de deux femmes. «Deux astres du jour et de la nuit» rencontrés, en cet été des années 1960, dans le cadre idyllique des hôtels du Lido où il passe des vacances avec son grand-père.

Cœur plein, portefeuille vide

Voici donc Anne et Anna. Double visage de la beauté féminine, révélatrice enchantée mais imparfaite du désir de Théo. Un désir à peine né et déjà à bout de souffle, tant le va et vient entre les deux bien-aimées se fait à un rythme haletant. Anne habite le même hôtel que Théo, Anna à quelques pas de là, un palace.

La première est une jeune fille en fleurs, 15 ans, légèrement proustienne, décidée et incertaine, de celles que l’on imagine pouvoir déshabiller facilement. La deuxième, bien plus âgée, est mariée à un homme très riche. Elégante, imposante, distante juste ce qu’il faut, de celles que l’on croit intouchable, inaccessible. L’une est le contrepoint de l’autre. «Amour d’oblation pour Anna, amour de conquête pour Anne».

Les deux sont l’avenir de Théo, qui n’en a pas, ou pas encore. Un cœur plein, un portefeuille vide. Le jeune garçon qu’il est flotte dans cette zone où la liberté ne touche à rien. Il croit pouvoir choisir entre les deux femmes, comme le jeune homme dans le tableau de Véronèse, «suspendu, tout au mystère de cet instant décisif, de ce choix entre (…) l’une et l’autre beauté (…), de ce choix qu’il avait fait déjà, et qui pourtant restait à faire».

Hésitation qui crucifie l’amour et à laquelle Etienne Barilier donne un sens mystique. La souffrance éprouvée par Théo est jouissive. Elle est aussi le garant d’une renaissance qui, pour advenir, doit passer par le sacrifice de soi, au sens figuré bien sûr.

Romancier et essayiste romand, il est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages.

Plusieurs de ses livres témoignent de son intérêt pour la musique et pour les arts plastiques, notamment italiens.

On retrouve ainsi l’Italie et son art dans ses romans «Laura», «La Créature», «L’Enigme».

Professeur à l’Université de Lausanne, il donne des cours de littérature.

Il est également traducteur (de l’allemand, de l’italien et du latin).

Un long séjour à l’Institut suisse de Rome l’a familiarisé avec les chefs-d’œuvre du baroque romain, et notamment avec l’œuvre de Borromini.

Parmi ses romans, citons «Le Dixième Ciel» où il fait revivre le personnage de Pic de la Mirandole, et parmi ses essais, «Ils liront dans mon âme. Les écrivains face à Dreyfus».

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