Une bibliothèque européenne
Jean-Frédéric Jauslin, directeur de la Bibliothèque nationale suisse (BN), a été nommé cet automne président de la Conférence des Bibliothèques Nationales d'Europe (CENL).
Qu’est-ce que la CENL? Quels sont ses objectifs et ses moyens? Rencontre.
Pendant un certain nombre d’années, la chose a relevé du «club» ou de l’«amicale»… Une quinzaine de directeurs de bibliothèques nationales se retrouvaient de temps en temps histoire de papoter un peu.
En 2000, la réunion est devenue Fondation. Et les statuts se sont précisés: font partie de la CENL les directeurs des bibliothèques nationales dont les états sont membres du Conseil de l’Europe.
Aujourd’hui, ce sont 39 pays et 41 institutions qui sont représentés (l’Italie compte deux bibliothèques nationales, l’une à Florence et l’autre à Rome, et la Russie a une bibliothèque nationale à Saint-Pétersbourg et une bibliothèque d’Etat à Moscou).
C’est pour évoquer cette mutation et son nouveau statut que Jean-Frédéric Jauslin tenait conférence de presse mercredi à Berne. Nous l’avons rencontré la veille.
Le casse-tête des publications électroniques
Une rencontre annuelle a lieu chaque année chez un autre membre. Budapest en 2002, Vilnius en 2003. Et on y évoque les problématiques communes. «Actuellement, le problème majeur est la préservation des documents électroniques», constate Jean-Frédéric Jauslin.
Toutes les bibliothèques nationales ont en effet dans leur mandat la nécessité de récolter et de préserver les publications électroniques qui concernent leurs pays respectifs.
Mais la chose n’est pas aisée: «Actuellement, nous ne savons pas bien comment faire ça. Cela va des questions juridiques, le dépôt légal par exemple, aux aspects purement techniques: comment stocker les documents publiés sur Internet? Le but de nos rencontres est donc de trouver une méthode unique, que tout le monde va appliquer, plutôt que de multiplier les essais et les erreurs».
Cela voudrait-il dire que les articles de swissinfo ne sont pas archivés par la BN? «Selon la loi, ils devraient être récoltés. Mais la Suisse est un pays qui a beaucoup de retard par rapport aux autres pays dans ce domaine-là», répond Jean-Frédéric Jauslin. Tant pis pour notre ego.
Bibliothèque universelle?
La Nouvelle Bibliothèque d’Alexandrie, en Egypte, a été inaugurée cette année. Mais elle n’effacera pas le souvenir de l’autre, historique et légendaire à la fois. Celle dont Ptolémée Philadelphe souhaitait qu’elle contînt toutes les œuvres écrites de l’humanité.
Vieux rêve, vieux fantasme… A l’heure d’Internet, la numérisation des documents pourrait-elle aboutir à la création d’une extraordinaire bibliothèque européenne, voire universelle?
Si, pour Jean-Frédéric Jauslin, la numérisation des documents n’est pas une solution réaliste en matière de conservation, elle en est réellement une pour ce qui est de leur mise à la disposition du public:
«Ce n’est plus un fantasme: ce rêve commence à se concrétiser, répond le directeur de la BN. Mais il part d’un autre point de vue. Certaines grandes bibliothèques nationales – Paris, Londres, Saint-Pétersbourg – avaient pour mandat de collecter à peu près tout ce qui se faisait dans le monde. Et ce mandat devient absolument délirant.»
«Le premier principe qu’on essaie donc de discuter est que le mandat de chacun soit de se concentrer sur son patrimoine national. Et ensuite, si on veut faire une bibliothèque européenne, de se mettre en réseau, un réseau qui donnera à chacun l’accès aux collections des autres».
Pour certaines bibliothèques nationales, il s’agit d’une vraie révolution. Le projet, financé par l’Union européenne, est en cours et s’intitule «T.E.L», pour «The European Library».
La richesse de Gabriel… et de l’Europe
Dans le même esprit, le site Internet de la CENL, baptisé «Gabriel», est assez fascinant. Si son objectif premier est de présenter les différentes bibliothèques nationales, il lève également un coin du voile sur l’extraordinaire richesse de leurs contenus.
On y trouve ainsi une exposition virtuelle, les «Trésors des bibliothèques nationales européennes». Vertige historique et littéraire assuré. Autre étape en cours: «Justement, poser les premières pierres de cette bibliothèque européenne, multiple et décentralisée», relève Jean-Frédéric Jauslin.
On reproche régulièrement à l’Union européenne de n’être qu’un tissu d’accords économiques. La démarche de la CENL tend-elle à prouver que l’Europe peut aussi être autre chose?
«Le dernier congrès que nous avons tenu a notamment consisté à voir comment nous allions faire passer ce message au niveau des autorités politiques et, j’ai envie de dire, financières», répond Jean-Frédéric Jauslin. Car la CENL manque cruellement de moyens.
«Au sein de la CENL, on trouve réuni, grosso modo, tout le patrimoine culturel européen. C’est un acquis fantastique qu’il faut faire valoir auprès des autorités politiques – l’Union européenne, du Conseil de l’Europe, voire de l’UNESCO et de l’ONU», conclut le nouveau président.
swissinfo/Bernard Léchot
Jean-Frédéric Jauslin, né en 1954, vit à Auvernier (NE).
Il dirige la Bibliothèque nationale suisse depuis 1990.
La CENL, fondation indépendante, regroupe les directeurs de 41 bibliothèques nationales (pays membres du Conseil de l’Europe).
Elle vise à coordonner le travail des 41 institutions représentées, et notamment à construire une vaste bibliothèque européenne virtuelle.
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