Une ‘cité’ de la littérature dans le Jura vaudois
Editrice à Lausanne, Paris et Varsovie, Vera Michalski est l’héritière de l’entreprise pharmaceutique bâloise Hoffmann La Roche. Cette riche mécène veut accueillir des écrivains dans une «Maison de l’Ecriture» imaginée par l’architecte Vincent Mangeat, au pied du Jura. Interview.
Montricher se trouve dans le Jura vaudois, dans le district de Morges. C’est là que des écrivains de tous pays, de toutes langues, pourront se retrouver, dès 2012.
swissinfo.ch: Vous lancez un concours d’architecture international pour construire des habitations suspendues et un appel aux écrivains de tous pays pour venir y séjourner. Pourquoi?
Vera Michalski: Pour être accueillis à Montricher, les écrivains devront présenter un projet de livre à un jury. Les premières cabanes seront prêtes pour début 2012. Les lauréats pourront rester au maximum un an. Il y aura même une cabane assez vaste pour accueillir un couple. Les écrivains y seront nourris, logés et blanchis pour leur permettre de se consacrer entièrement à leur travail de plume.
Ils seront donc sélectionnés sur projet, et devront envoyer un dossier au conseil de la Fondation Jan Michalski, du nom de mon mari d’origine polonaise, décédé d’un cancer en 2003. Décerné pour la première fois cette année (en novembre prochain), le Prix Jan Michalski est d’un montant de 50’000 francs. Les écrivains nominés sont saoudien, russe, ukrainien, français, hongrois…
Au cœur de ce centre culturel qui devrait être terminé en 2012, il y aura également une bibliothèque abritant quelque 85’000 ouvrages couvrant un large spectre des courants littéraires, sans compter deux niveaux en sous-sol permettant d’archiver jusqu’à 250’000 livres.
swissinfo.ch: Vous cumulez des origines autrichiennes et russes, une enfance dans le sud de la France, vous avez été mariée à un Polonais et vivez en Suisse… Combien de langues parlez-vous?
V.M.: Je parle couramment cinq langues: français, allemand, espagnol, anglais et polonais. Je comprends un peu le russe, la langue de la branche maternelle.
swissinfo.ch: Votre enfance en Camargue était due à la passion de votre père, Luc Hoffmann…
V.M.: Mon père, le petit-fils du fondateur de la multinationale pharmaceutique, était passionné par les oiseaux. Il a fondé une station de recherche ornithologique dans ce lieu de passage des oiseaux migrateurs, qui s’est étendue par la suite à d’autres espèces dans le domaine de la protection des milieux naturels.
Nous étions à 28 kilomètres de la ville d’Arles. Un hameau sans électricité et sans téléphone, dans lequel nous vivions avec un groupe d’enfants, ceux des collaborateurs scientifiques ou des agriculteurs et viticulteurs voisins. Mes parents avaient créé une école agréée par l’Education nationale française. Nous étions quatorze élèves – jusqu’à l’âge d’aller au lycée. Mes deux sœurs et mon frère étions intégrés comme de petits Français.
swissinfo.ch: Votre père Luc Hoffmann est l’un des fondateurs du WWF, votre sœur Maya soutient la photographie et vous, c’est plutôt les livres et l’écriture, même si vous n’écrivez pas vous-même?
V.M.: Ma sœur Maya est en train d’installer à Arles un centre d’études dédié à la photographie. Pour ma part, je siège au conseil de la fondation camarguaise de mon père, à la Tour du Valat, l’un des centres de recherches en zones humides les plus importants au monde.
Avec mon mari Jan Michalski, que j’avais rencontré sur les bancs de l’Université à Genève, nous avions voulu créer une maison d’édition pour traduire en français des textes d’auteurs polonais et russes. C’était en 1986, avant la chute du Mur. Face aux difficultés d’accéder à des textes polonais en France, nous avions implanté un bureau à Varsovie et traduit beaucoup d’auteurs occidentaux en polonais, comme Henri Miller.
swissinfo.ch: En tant qu’héritière d’une des plus grosses fortunes de Suisse, vous n’avez pas de soucis de rentabilité…
V.M.: Ma maison d’édition travaille de façon «normale» avec des comptes d’exploitation provisionnels, mais je peux me permettre de ne pas éditer que des livres à la rentabilité immédiate. Bien sûr, il nous faut aussi des livres qui tirent les autres, comme pour tout éditeur. Cela nous a quand même permis de traduire des auteurs – des Polonais notamment – ou des essais assez pointus que nous n’aurions pu publier, si nous n’avions pas les reins solides.
Littérature. La Maison de l’Ecriture, actuellement en construction à Montricher, sera entièrement dédiée à la littérature.
Cité. Pensée comme une petite cité, ses multiples bâtiments forment un ensemble insolite: résidences pour écrivains, bibliothèque, auditorium, lieu d’exposition, salle à manger, pièce de séjour et bureaux de la fondation seront rassemblés à l’abri d’une canopée.
Fondation Jan Michalski
Edition. Vera Michalski préside aux destinées d’un groupe de sept maisons d’édition entre Lausanne, Paris et Varsovie: Noir sur Blanc, Buchet-Castel, Phébus, Le Temps apprivoisé, Anatolia et deux maisons d’éditions en Pologne.
Luc et la nature. Son père, Luc Hoffmann, alias Lukas Hoffmann, né à Bâle en 1923, est le petit-fils du fondateur de l’empire pharmaceutique. Alors que ses parents souhaitaient le voir embrasser des études de chimie, il se dirige vers la biologie et l’ornithologie. Fin 2004, il cède ses actions au groupe familial qui demeure majoritaire dans la société.
Fortune. Héritier d’une fortune colossale, ce docteur en sciences naturelles a consacré une large part de ses revenus à la conservation de la nature et reçu plusieurs distinctions, dont la Médaille du duc d’Edimbourg et la Légion d’honneur ainsi que deux doctorats honoris causa.
Camargue et Montricher. Grâce au travail réalisé dans la station biologique de la Tour du Valat, créée en Camargue en 1947, on lui doit le sauvetage des flamants roses. A Montricher, où il a sa résidence dans une ferme isolée, Luc Hoffmann a financé un projet de conservation de la faune en 2001.
WWF. Il est l’un des cofondateurs du WWF dont il a été le vice-président jusqu’en 1988. L’une de ses plus importantes réalisations est la création de la Fondation internationale du Banc d’Arguin, parc national mauritanien.
Maya et l’art. Maya Hoffmann, fille de Luc et sœur de Vera, est active dans le domaine artistique. Elle soutient les Kunsthalle de Bâle et de Zurich et fait partie du conseil de fondation du Kunstmuseum de Bâle.
Arles. Sa Fondation Luma finance, à hauteur de 250 millions de francs, un projet à Arles dédié à la photographie et aux images numériques pour offrir une structure permanente au Festival photographique d’Arles. Un bâtiment dessiné par l’architecte américain Frank Gehry doit y être destiné à la conservation, à la création et à l’exposition.
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