Une plate-forme du nouveau cinéma suisse?
Le festival du film fantastique de Neuchâtel a ouvert ses portes mardi soir, avec une comédie fantastico-rigolote danoise. Nicolas Bideau, «Monsieur Cinéma», qui était présent, a de grandes ambitions pour le NIFFF.
Imaginez que derrière le visage relativement avenant de l’institutrice de vos enfants se cache une extra-terrestre.
Et pas du genre jovial-bip-bip, mais plutôt un monstre issu d’une planète qui ignore le mot «amour». Un monstre prêt à tout pour ramener chez lui quelques têtes blondes qui, elles, vivent sur une planète, la nôtre, où les notions d’amour, d’affection, d’empathie, ont un sens.
Mmmh? Que diriez-vous? Rien, parce que vous n’y croiriez pas, comme les parents des enfants concernés, qui rient des sornettes abracadabrantesques que raconte leur descendance. Et pourtant…
«The Substitute» du Danois Ole Bornedal est bien ficelé et on y rit beaucoup. Un choix «grand public» pour une soirée d’ouverture où se mêlaient la direction du festival in corpore, plusieurs notables de la ville et du canton de Neuchâtel et Nicolas Bideau, patron de la section cinéma de l’Office fédéral de la Culture (OFC).
La production en cause
«Pour moi, ce genre de film, c’est une baffe!», constate Nicolas Bideau à la sortie de la projection. «Les Danois ont un cinéma qui tient la route depuis des années, dans différents genres d’ailleurs. Et ce n’est pas un pays très différent du nôtre. Or aujourd’hui, ici, on n’arriverait toujours pas à produire un film comme ça avec cette finesse-là. Il y a encore du boulot!»
Une entrée en matière pour le moins énergique, venant du «Monsieur Cinéma» de la Confédération, autoproclamé, vu le contexte, le «Gremlin de l’OFC». Et pourquoi la Suisse peine-t-elle tant en la matière?
«Un réalisateur qui aurait cette idée-là, un scénariste qui aurait cette histoire-là en tête, chez nous, cela existe. Mais un producteur qui monte un film comme ça – bien tourné, bons effets spéciaux, acteurs connus – il n’y en a pas des tonnes! Porter un film comme cela à l’écran, c’est là qu’est le problème», assène Bideau.
Qui ajoute: «La profession de producteur doit être mise en avant, il faut former des gars. Aujourd’hui, je me concentre d’ailleurs sur les boîtes de production. La production de films de genre est un vrai point faible de la production suisse. Vraiment. Trois films fantastiques vont être réalisés en Suisse cette année… les trois producteurs n’avaient jamais fait ça avant!»
Une reconnaissance
En 2007, l’OFC a décidé de limiter son financement à 8 festivals en Suisse – dont le NIFFF, qu’il soutenait depuis 2005 déjà (40.000, puis 50.000 francs par an).
«En 2005, cela a représenté une vraie reconnaissance du contenu culturel du festival, perçu comme bizarre par pas mal de gens. Cela lui a donné une légitimité formelle», explique Michel Vust, directeur administratif de la manifestation. «Cette reconnaissance était aussi importante auprès des autorités régionales, et a débloqué pas mal de choses. Ensuite la reconduction et l’augmentation, en 2007 ont récompensé le travail développé depuis.»
Parmi les festivals suisses, de Locarno à Soleure en passant par Fribourg, le cinéma dit «de genre» n’a jamais vraiment été mis en avant. L’existence du NIFFF stimule-t-elle la production fantastique en Suisse? «Je crois plutôt que c’est un développement parallèle. Mais il est vrai que le NIFF apporte une sorte de vitrine à certains types de films, une vitrine qui n’existait pas auparavant, parce que les autres festivals suisses sont plus ‘sérieux’!», répond Michel Vust.
Une plate-forme de référence
Nicolas Bideau, lui, va plus loin quand on lui demande si le NIFFF a, en Suisse, un rôle de «ferment» pour ce type de cinéma. «Je constate que le NIFFF, à un moment donné, a réuni les fans de films de genre, les professionnels intéressés et toute la technique qui va avec. Il y avait une volonté éparpillée, et le NIFFF parvient à réunir sur une semaine toutes les forces qui ont envie de se consacrer à ce cinéma, y compris les pouvoirs publics.»
Et pour Nicolas Bideau, une semaine, c’est trop court: «Le NIFFF ne doit pas être réduit à un festival d’une semaine. Nous sommes en train de discuter pour essayer de faire qu’il ait une fonction à l’année. Car on a vraiment besoin d’un moteur, et ce festival peut l’être. Ils sont bons, ceux qui dirigent le NIFFF!»
A tel point qu’en 2007, l’OFC n’a pas hésité à débaucher le fondateur du NIFFF et président d’alors, Olivier Müller. «Ben oui. J’ai vu que c’était des gens qui n’avaient pas froid aux yeux, des gens à la fois allumés et ayant une capacité de bien manager leur affaire… Alors j’ai pris le meilleur, quoi, le président! Il s’occupe aujourd’hui du secteur production à l’OFC».
Pas d’aigreur à Neuchâtel: «Qu’il y ait une carrière comme ça après le NIFFF, c’est plutôt flatteur pour nous», constate la directrice artistique Anaïs Emery. On peut par ailleurs se dire que la présence d’Olivier Müller à la Confédération n’est sans doute pas une mauvaise affaire pour la manifestation neuchâteloise.
Quoiqu’il en soit, chez Nicolas Bideau, l’enthousiasme semble sincère: «Le NIFFF est une bouffée d’air que je sens créatrice aujourd’hui. C’est une belle programmation, mais c’est aussi un symbole, un moteur qui devrait être une plate-forme de référence permanente pour attirer les jeunes talents qui n’ont pas envie de se consacrer au cinéma d’art et d’essai».
swissinfo, Bernard Léchot à Neuchâtel
– Cinq compétitions (internationale, asiatique, courts métrages européens, courts métrages suisses, vidéo-art)
– Trois rétrospectives («Profondo Giallo, the Golden Age of Italian Thriller and Horror», «Nakagawa Bobuo, le pionnier du fantastique japonais», et «Spain, Land of Fright»
– Différentes projections spéciales
– Un programme quotidien en plein air
– Diverses conférences
– Un symposium de deux jours (‘Imaging the future’) consacré aux liaisons entre arts visuelles et nouvelles technologies (2-3 juillet), avec, en collaboration avec la Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains, une exposition intitulée «Swiss Design in Hollywood».
Jury international: les réalisateurs Joe Dante (USA), Xavier Gens (F), Jens Lien (Nor), et l’écrivain Lucius Shepard (USA).
Invités d’honneur: le réalisateur japonais Hideo Nakata et le designer américain Syd Mead.
George Romero sera de retour à Neuchâtel pour présenter son dernier film, ‘Diary of the Dead’.
Aux 3 salles du cinéma Apollo s’ajoute cette année une 4e salle, au Théâtre du Passage.
Pour la 2e année consécutive, le NIFFF propose chaque soir une projection en plein air.
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