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Une «Rivoluzione» tranquille au Kunsthaus de Zurich

La «Lanterne» de Giacomo Balla fait partie des oeuvres exposées à Zurich. Keystone

Le Musée des beaux-arts de Zurich permet de découvrir ou de redécouvrir les précurseurs du futurisme italien, baptisés «divisionnistes», à l'instar des pointillistes français. Le plus connu d'entre eux, Giovanni Segantini, est présent en force.

Disons-le d’emblée: le titre de l’exposition est quelque peu trompeur. Dans un graphisme digne d’une pancarte de manifestation, collé en grandes lettres à l’entrée de l’exposition, le titre «Rivoluzione!» attire le spectateur sur «les Modernes italiens, de Segantini à Balla».

Mais de Giacomo Balla (1871-1958), un des ténors du futurisme, le Kunsthaus ne présente «que» quatre toiles. Le presque Suisse Giovanni Segantini par exemple (1958-1899), – mort à 41 ans en Engadine et objet d’une exposition dans les mêmes murs en 1990/01 – forme en revanche le cœur de l’exposition avec onze tableaux.

La National Gallery de Londres, qui a co-organisé l’exposition avec Zurich, a été plus précise: elle a intitulé son parcours «Lumière radicale, les peintres divisionnistes italiens de 1891 à 1910».

Les Anglais ont du reste eu plus de chance que les spectateurs qui se rendront à Zurich: la «Fiumana», une des versions du «Quart-Etat» de Giuseppe Pellizza da Volpedo, n’était exposée qu’à Londres. Elle ouvre en revanche, comme de juste, le catalogue.

Place charnière

Mais au-delà de ces considérations formelles, la visite au Kunsthaus est riche de belles surprises. Méconnus, les divisionnistes valent le détour pour la place charnière qu’ils occupent à la fin du 19e siècle, entre nostalgie d’un monde idéal (la nature), prémisses de critique sociale et les coups de balais des formes et des idées qui marqueront l’entrée dans le 20e siècle.

Ce que les divisionnistes divisent, c’est la couleur pure, en petits traits de pinceaux, «pour atteindre la plus grande force de lumière possible», explique la spécialiste Simonetta Fraquelli dans le catalogue. Les niches du Kunsthaus – séparées en bleu mat, gris et brun mats – font d’ailleurs resplendir ces «nouvelles» lumières.

On peine à voir les ferments du futurisme dans les nombreux paysages de l’exposition et dans les œuvres du symbolisme qui y sont exposées. Mais ce sont bien «les tentatives de transformer la lumière en une forme d’énergie, en relief oscillant qui conduiront directement au futurisme italien», selon le catalogue.

Calme trompeur

La révolution de ces pastels ou de ces gris-bleus (magnifiques «Sorcière des voluptés» et «Mères méchantes» de Segantini) n’est pas encore fracassante. Les vues alpines expriment souvent une utopie rurale qui semble détachée des contingences de la plaine.

Mais le calme trompe. Le paysan pauvre («Le paysan», 1903, de Giacomo Balla) n’est pas loin du prolétaire. En plaine, les colères grondent pendant que l’industrialisation prend son envol. Les peintres de la fin du 19e siècle donnent du pinceau, comme on donne de la voix.

Mais point encore, ou peu, de manifestations bruyantes. Les tons sont sombres, les thèmes aussi: enterrements, solitude, foules se rendant au travail dans l’aube encore nocturne.

Geste politique

Selon Giovanna Ginex, spécialiste du mouvement, «lorsque les artistes italiens des années 1880 et 1890 emploient la technique du divisionnisme, c’est pour signaliser expressément qu’ils soutiennent la révolution dans leur peinture», écrit-elle.

La révolution se traduit dans de nouveaux gestes picturaux et dans de nouveaux thèmes. «L’orateur de la grève» d’Emilio Longoni, montre la détermination du militant. Angelo Morbelli s’attache aux destins solitaires et fait tomber des lumières hivernales sur des salles d’hospices parsemées d’âmes en peine.

Morbelli aura vraisemblablement été vu par Giuseppe de Santis près de 50 ans plus tard: le tableau «Dans la risière» évoque étrangement le film «Riz amer» sorti en 1949.

La critique est bien là, mais les couleurs n’éclateront qu’avec les futuristes à venir. En 1905, Giacomo Balla laisse entrevoir la violence des ruptures toutes proches avec «La folle», où la technique pointilliste – ou divisionniste – rend la fébrilité mentale du sujet.

La révolution est en marche: un panneau rappelle le manifeste futuriste de Tommaso Marinetti, publié le 20 février dans le «Figaro», ode à la «culture scientifique, à la technologie, à la jeunesse, la violence, la guerre» et «hostile à toute forme de tradition». Le poète appelait même à la destruction des librairies et des musées.

Heureusement, les musées sont toujours là. Et les toiles anciennes ont parfois un furieux goût d’actualité, telle cette «Faillite» de Balla montrant la porte d’un bâtiment autrefois prestigieux mais couvert de graffitis…

swissinfo, Ariane Gigon, Zurich

Groupe d’artistes davantage que véritable mouvement, le divisionnisme est l’équivalent italien du pointillisme français. Parmi ses représentants, tous très engagés socialement contre les effets de l’industrialisation, on trouve:

. Giacomo Balla, 1871-1958

. Umberto Boccioni, 1882-1916

. Carlo Carrà, 1881-1966

. Angelo Morbelli, 1853-1919

. Giuseppe Pellizza da Volpedo, 1868-1907

. Giovanni Segantini, 1858-1899

Et, parmi les Suisses se réclamant du divisionnisme:

. Edoardo Berta, 1867-1931

. Giovanni Giacometti, 1868-1933

«Rivoluzione! Les modernes italiens de Segantini à Balla», jusqu’au 11 janvier 2009 au Kunsthaus de Zurich.

L’exposition permet de découvrir l’importance du mouvement italien divisionniste sur les futuristes. Une soixantaine de tableaux sont accrochés.

L’exposition est co-organisée par la National Gallery de Londres, où elle a déjà été présentée.

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