Verbier, 20 ans d’excellence musicale en altitude
Les accords de la 9e symphonie de Beethoven, sous la baguette du Suisse Charles Dutoit, ont marqué l’ouverture de la 20e édition du Festival de Verbier. Avec cet événement, considéré comme «le plus grand festival d’Europe en dehors d’une grande ville», la station valaisanne a acquis une renommée mondiale parmi les amoureux de la musique classique.
Le Festival de Verbier commémore le rêve visionnaire de son fondateur, Martin Engstroem, un Suédois charismatique et polyglotte qui a fait sa carrière en tant que promoteur de concerts avant d’occuper de hautes fonctions dans l’industrie du disque.
«J’étais agent de concert à Paris. Mais au milieu des années 1980, des groupes terroristes ont rendu cette ville impossible à vivre. C’est pour cela qu’avec ma famille, nous avons décidé de quitter la France et de nous installer à Montreux en 1986. Des amis nous ont parlé de Verbier. J’y ai loué un chalet en 1991 et je suis tombé amoureux du lieu», raconte le directeur du festival.
Le Festival de Verbier a vu le jour en 1994. Il est devenu l’un des principaux événements de Suisse en matière de musique classique, avec les festivals de Lucerne et de Gstaad.
Le festival valaisan se distingue par son académie et son orchestre où se forment des musiciens de moins de 30 ans en provenance du monde entier. Le directeur de l’Orchestre du Festival de Verbier est le Suisse Charles Dutoit.
A l’académie, les jeunes sont dirigés par certains des meilleurs chefs d’orchestre du monde. Ils y apprennent à jouer ensemble de la musique symphonique et de chambre. De plus, de grands solistes donnent des cours magistraux. La présence du public est souvent acceptée.
Le festival est financé par les autorités communales et cantonales, ainsi que par des sponsors privés. Cette 20e édition, qui dure du 19 au 4 août, est dotée d’un budget de 9,3 millions de francs.
Développer le tourisme estival
A cette époque, Verbier n’était pas la station en vogue qu’elle aujourd’hui. Les autorités locales ont donc chargé Martin Engstroem de créer un événement susceptible d’attirer les visiteurs durant l’été et de changer son image de station de deuxième zone.
«Ils souhaitaient un concept qui augmente l’attractivité de Verbier pour les propriétaires de chalets, généralement des gens riches. Et je crois que 20 ans plus tard, je puis affirmer que nous sommes parvenus à un succès total», commente-t-il avec satisfaction.
«J’ai eu l’idée du festival parce que je voulais créer un événement dans lequel j’aurais le dernier mot», ajoute-t-il. Pour arriver à ses fins, Martin Engstroem a pu compter sur l’appui providentiel du secrétaire général de l’Orchestre philarmonique d’Israël, Avi Shoshani, l’un des hommes ayant le plus de relations dans le monde fermé de la musique classique.
«Avi est comme mon frère, déclare le directeur du festival. Il est venu à Verbier en 1991 pour passer un été avec sa famille et je lui ai alors fait part de mes projets. Il a décidé de m’apporter son appui. C’est en partie grâce à son amitié que nous avons eu dès le début un très haut niveau artistique.»
Plus
Musique, maestro!
La bonne formule
«Les premiers temps, tous les musiciens venaient parce qu’ils étaient des amis personnels, comme le chef d’orchestre Zubin Mehta ou le violoniste Pinchas Zukerman. Mais ensuite, ils ne sont plus venus par amitié, mais parce que le projet gagnait en importance et que le modèle Verbier devenait une marque reconnue», explique Avi Shoshani.
«Je crois que nous avons trouvé la bonne formule, poursuit-il. Notre grand défi sera désormais de conserver l’actuel niveau de qualité. Nous avons atteint un sommet et il sera difficile de faire mieux.»
Les musiciens qui viennent souvent à Verbier apprécient le fait que ce festival leur permette de passer quelques jours de calme en famille et entre amis. Ils profitent aussi pour se rencontrer en privé et échafauder de futurs projets, chose rare dans une profession ou le stress, les déplacements aériens et les chambres d’hôtel solitaires sont monnaie courante.
Souvenirs inoubliables
Verbier n’accueille pas que des musiciens classiques. Ses salles ont aussi vu passer des personnalités du monde de la littérature, comme Yasmina Reza ou Paulo Coelho, du cinéma comme Vanessa Redgrave ou la Suisse Marthe Keller ou encore de la chanson comme Ute Lemper ou Rufus Wainwright, star de cette 20e édition.
Avi Shoshani rappelle aussi avec un brin de nostalgie des «moments mémorables» tels que la visite de la chanteuse pop islandaise Björk, la lecture de la lettre du compositeur russe Dmitri Chostakovitch par la voix du légendaire acteur britannique Sir Ben Kingsley ou encore un récital du violoniste Maxim Vengerov au cours duquel l’orage était si fort que les spectateurs sont montés sur scène pour pouvoir l’écouter. «Cette proximité et cette intimité ont créé un instant magique», se souvient Avi Shoshani.
Une autre anecdote tourne autour de l’argent, si nécessaire pour réaliser des projets de l’envergure du Festival de Verbier. «Je n’oublierai jamais quand Helmut Maucher, le patron de Nestlé à l’époque, nous a assuré de son appui financier avant même que nous ayons démarré. Il nous a dit ‘Je crois en vous et en votre projet et je le soutiendrai en me basant sur cette confiance’», se souvient Avi Shoshani.
Né à Stockholm en 1953, il étudie l’histoire de la musique et la langue russe avant de commencer sa carrière en organisant des concerts dans sa ville natale.
A partir des années 1970, il s’installe à Londres puis à Paris où il travaille comme agent artistique et promoteur de concerts.
En 1987, il déménage à Montreux et travaille comme consultant pour EMI France. Entre 1999 et 2003, il occupe le poste de vice-président de Deutsche Grammophon.
Il travaille dans l’industrie du disque jusqu’en 2005, recrutant beaucoup des artistes qui sont devenus les stars de la musique classique d’aujourd’hui.
Former les générations futures
«L’argent est toujours au centre de tous les problèmes et de toutes les possibilités», confirme Martin Engstroem, bien qu’avec un budget annuel de presque 10 millions de francs, il n’éprouve pas vraiment de difficultés pour que les projets aillent de l’avant, en particulier dans le domaine de l’éducation musicale, l’une des grandes réussites de Verbier.
«Je crois que l’avenir passera par une plateforme d’apprentissage permanente pour les jeunes musiciens, dit-il. Les camps d’été pour les enfants connaissent aussi un énorme succès. Verbier est comme une île où les jeunes peuvent trouver stimulation et inspiration. Nous voulons également développer des activités autour des domaine de la dance et de la littérature.»
Il y a en Suisse beaucoup de festivals de musique classique. Est-il dès lors possible de les conserver tous en ces temps de crise? «Il y a aussi beaucoup de musiciens et chaque année les conservatoires en forment plus, tout comme il y a abondance d’architectes et d’avocats. Survivront à la fin ceux qui ont davantage de talent, ceux qui sont plus créatifs. Et c’est la même chose qui se passera avec les festivals musicaux», répond Martin Engstroem.
«Nous avons réussi à faire le plus grand festival d’Europe en dehors d’une grande ville, se félicite-t-il. Nous combinons éducation, nature et vacances culturelles et nous y intégrons les enfants et les jeunes. Je crois que ceux qui nous critiquent pour alimenter le star system sont simplement jaloux de notre succès.»
Dimanche dernier, les stars de la musique classique se sont retrouvées devant une salle comble pour fêter les 20 ans du festival. Un concert mémorable en deux parties.
En ouverture, les solistes les plus connus du public ont interprété deux heures de musique de chambre. La pianiste chinoise Yuja Wang a ouvert le soirée, suivie, parmi d’autres, du clarinettiste Martin Frost et des violonistes Leonidas Kavakos et Ilya Gringolts. Côté métissages, la scène a également accueilli le chanteur pop canadien Rufus Wainwright et le pianiste de jazz jamaïcain Monty Alexander.
En seconde partie, Verbier s’est offert les 24 Préludes pour piano de Chopin dans un arrangement de Dimitri Sitkovetsky pour différents instruments. Ainsi, les thèmes de Chopin se sont vus joués par Misha Maitsky au violoncelle, par Renaud Capuçon au violon ou par les Français du Quatuor Ebène.
Animée par la star de la télévision française Laurence Ferrari et le chanteur allemand Thomas Quasthoff, cette soirée-marathon a duré quatre heures, à l’issue desquelles les musiciens ont porté un toast aux pères fondateurs du festival Martin Engstroem et Avi Shoshani, face à un public ravi.
(Traduction de l’espagnol: Olivier Pauchard)
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.