«Woyzeck», peau noire, peau blanche
Très colorée est cette nouvelle version de la pièce culte de l'Allemand Georg Büchner qu'Andrea Novicov présente en tournée romande. Le nouveau directeur du Théâtre Populaire Romand vise juste: le choc des cultures.
C’est un spectacle qui fait honneur au métissage et s’inscrit allègrement dans l’air du temps. Musique afro-cubaine (très belle), rap, acteurs suisses et africains: Andrea Novicov aura-t-il donc cédé à «l’obamania» en donnant à «Woyzeck», la pièce culte de Georg Büchner écrite en 1837, une coloration multiethnique?
La question fait sourire Novicov. Le nouveau directeur du TPR (Théâtre Populaire Romand), à la Chaux-de-Fonds, n’est pas un racoleur qui exploite les phénomènes de mode. Ce qui a inspiré sa mise en scène de «Woyzeck», c’est, dit-il, un voyage aux Antilles. Le déclic s’est opéré là-bas, où il a vu évoluer des indigènes pauvres et des occidentaux aux poches bien pleines. «Le décalage économique» entre ces deux communautés l’a frappé.
A ce décalage-là, le metteur en scène romand donne les contours d’un drame aux couleurs contrastées. Noir est Woyzeck, soldat désargenté, paumé, joué de manière sensible par un comédien togolais, filiforme, très grand. Tellement grand que sa tête semble toucher les étoiles.
Pourtant, le ciel n’est pas l’allié de cet homme tourmenté qui «court comme un rasoir ouvert à travers le monde» et subit les humiliations de son capitaine et d’un médecin extravagant, avec une soumission révoltante. Jusqu’à ce qu’un outrage ultime lui arrache un meurtre, long cri d’une vie longtemps contenue dans les frustrations.
Noire est également Marie, la compagne de Woyzeck, maudite entre toutes les femmes pour avoir couché avec le Tambour-major, joué quant à lui par un comédien blanc. C’est plus qu’il n’en faut à Woyzeck trahi qui, d’un coup de poignard, met fin à la vie de sa dame de cœur.
Parfum de scandale
Le moins qu’on puisse dire c’est que la pièce de Büchner a un parfum de scandale. Inspirée d’un fait divers, inachevée (l’auteur est mort avant de la terminer), écrite de manière fragmentaire, passionnelle, troublante, elle intrigue. Ce qui explique l’attrait qu’elle exerce sur le lecteur.
Alban Berg en a tiré son célèbre opéra «Wozzeck», et nombreux sont les metteurs en scène qui s’en emparent donnant à ce texte très ouvert les interprétations les plus classiques comme les plus excentriques.
L’excentricité qui court dans le spectacle de Novicov épouse la forme d’une folie larvée. Rien n’est démontré, tout est suggéré par une atmosphère, par un univers joyeux, musical, et pourtant sans cesse au bord de l’explosion.
Pas de caserne ici comme chez Büchner, mais un motel de bord de route. Un lieu de passage et de brassage qui n’a rien à voir avec l’auteur, mais tout à voir avec l’état du monde actuel: un choc permanent de cultures.
Blancs et Noirs évoluent dans un même espace, avec des modes de vie différents qui, de scène en scène, introduisent un malaise, une sorte d’asphyxie aérée par les mélodies rythmées d’un orchestre live.
Ne pas penser pour autant que Novicov propose une confrontation schématique, simpliste, entre Noirs et Blancs, bons et méchants. Exit donc le manichéisme, et place à une fresque humaniste qui embrasse d’un même regard tragique la condition humaine.
Que l’on soit du côté des nantis ou du côté des maudits, c’est toujours la dignité qui est ici mise en cause. Les premiers la bafouent par leur suffisance et leur opportunisme. Les seconds par leur silence presque masochiste.
swissinfo, Ghania Adamo
«Woyzeck» de Georg Büchner.
Mise en scène Andrea Novicov.
Avec Roger Atikpo, Michel Barras, Sonia Floire, Vincent Fontannaz, Andrès García, Renaud Gensane, Jorge Mendelievich, Tania Nerfin, Dominique Parent, Julio D’Santiago.
A voir le 4 février au Théâtre Benno Besson, Yverdon, et du 6 au 15 février au TPR (Théâtre Populaire Romand), La Chaux-de-Fonds.
Son père, d’origine russe, et sa mère, d’origine italienne, se sont connus en Argentine.
Suivant les périples de ses parents, il a grandi entre L’Argentine, le Canada, l’Italie et finalement le Tessin où il suit sa première formation de comédien à l’Ecole du clown Dimitri.
A partir de 1994, il commence à créer ses spectacles en Suisse romande où il fonde sa compagnie Angledange et où il enseigne également dans les écoles de théâtre et de cinéma.
Il se fait surtout remarquer par son spectacle «La Maison de Bernarda Alba» qui tournera beaucoup en Suisse comme en France.
Un autre spectacle brillant le distingue, «Le Grand cahier» qu’il monte avec les élèves-comédiens de la Haute Ecole de Théâtre de Suisse Romande, à Lausanne.
Depuis juillet 2008, il dirige le Théâtre Populaire Romand, à La Chaux-de-Fonds
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