Yello, en chair, en notes et en couleur
Dieter Meier était jeudi soir au Centre culturel suisse de Paris pour y présenter quelques uns des films réalisés au cours de son étonnant parcours. Un événement qui sera réitéré cet été au Montreux Jazz Festival. Pour l’occasion, son comparse Boris Blank l’a rejoint. «Oh yeah»!
Yello à l’Hôtel Poussepin? Même un journaliste des très branchés Inrockuptibles a fait le déplacement de la rue des Francs-Bourgeois, c’est dire.
Depuis fin janvier, le Centre culturel suisse de Paris joue à faire vibrer et se collisionner musique et arts divers – littérature, arts plastiques, cinéma.
La soirée Dieter Meier vient donc joliment couronner ce mini-festival thématique, d’autant plus que l’autre moitié de Yello, Boris Blank, le magicien des sons, était aussi de la partie pour épauler – discrètement – la voix ‘infrasonique’ du duo, par ailleurs ancien joueur de poker, artiste conceptuel, ‘performeur’, entrepreneur tous azimuts et, on l’a dit, cinéaste.
Dieter Meier, rencontré peu avant le spectacle, est tout joyeux: «Je suis un grand fan de Paris et je n’y étais pas venu depuis six ans! C’est comme de ne pas avoir été avec votre femme préférée pendant tout ce temps! Paris a toujours signifié ‘la fête’ pour moi!»
Il y a film et film
La soirée va s’ouvrir sur deux ovnis. «My grandparents», un film de 1972, portrait familial en forme de kaléidoscope tressautant, puis «Acrobatics», plan-fixe en noir blanc pourri, millésimé 1977, nous montrant notamment Dieter Meier tentant de faire le poirier sur un fauteuil.
Les explications de l’homme à la moustache et au foulard ne sont donc pas inutiles. «Je peux utiliser le film comme le ferait un peintre, j’appelle ça des fresques en mouvement. C’est le cas pour ce portrait de mes grands-parents. J’ai utilisé des images uniques, des répétitions, des superpositions, et le tout suit une espèce de partition pour images. C’est cette démarche qui a amené aux vidéos de Yello, qui relèvent aussi davantage de la peinture que d’une action filmée», analyse Dieter Meier.
L’autre démarche, c’est par exemple la série «Acrobatics», où je filme une acrobatie que je ne parviens pas à faire, chaque tentative est un échec, le tout est un échec! Là, il s’agit de documenter une idée conceptuelle, et la qualité du film m’est égale: je ne fais qu’enregistrer ce que je fais». Rappelons que l’homme, en matière de happenings, a un long passé: un jour de 1971 par exemple, à New York, il avait remis un dollar et un reçu à chaque passant qui prononçait un «oui» ou un «non»…
Monde réel, monde virtuel
Suivront quatre «musical videos» de Yello, dont les fameux Bostich (1984) et Oh Yeah (1987). Maîtrise technique du réalisateur Meier, formidables espaces sonores et rythmiques de Boris Blank, esthétique et humour débridés des deux complices.
Et puis, «Touch» le «concert virtuel» paru en 2008, signé Kevin Blanc, Dieter Meier et Boris Blank. Car Yello, malgré ses millions de disques vendus, n’a jamais donné un seul concert. Pourquoi? «Une raison très simple, Boris Blank ne le veut pas: il n’aime pas ça, il n’a pas envie d’être sur scène», répond Dieter Meier, qui se saisit à nouveau de la métaphore picturale. «En studio, il est comme un peintre qui travaille dans son atelier, qui vit un long dialogue avec ses toiles et ses couleurs. Pour lui, apporter ce travail sur scène, l’amener en pleine lumière devant des milliers de personnes, ce serait le dénaturer.»
Pourtant, manifestement, l’image est essentielle chez Yello, les clips en témoignent. «Oui, mais cela reste un contexte de studio», souligne Dieter Meier. «On peut répéter les choses quand elles ne sont pas bonnes, on peut prendre des risques. Boris a un rapport de dialogue, un rapport dialectique avec ses sons, et c’est la même chose quand il joue devant une caméra. On peut développer toutes ces petites choses complètement folles, sur le moment – il n’y a jamais rien de chorégraphié. On peut vraiment tout se permettre, ce qui n’est pas possible sur scène».
Stade ultime de la démarche: «Touch – The virtual concert», un film de 42 minutes qui illustre l’album du même nom. Une scène et une salle gigantesques, qui, n’existant que dans l’univers numérique, permet au duo des mises en scène qui s’affranchissent de toutes les lois physiques terrestres… Gageons qu’au Montreux Jazz Festival, «Touch» remportera plus de suffrages que les films conceptuels des seventies.
Pourtant, quelle que soit la beauté de la virtualité de «Touch», la réalité semble démanger Dieter Meier, qui tourne actuellement en Allemagne avec un spectacle intitulé «Out Of Chaos». «Je montre des anciens travaux cinématographiques, je fais une lecture d’extraits de mon livre ‘Hermes Baby’ et à la fin, je prends le risque de chanter six chansons avec juste un violoniste et un guitariste. Je redécouvre à quel point c’est extraordinaire de chanter pour un public, de faire plaisir à quelqu’un juste en chantant une chanson. Chanter sur scène, il y a 35 ans que je n’avais pas fait ça, à l’époque où j’étais avec différents groupes punk!»
Chaotique?
Dieter Meier se dit chaotique. Plein de doutes. Paresseux. Un enfant intéressé à tout, mais immédiatement distrait par quelque chose de nouveau qui l’intéresserait davantage.
Dieter Meier a été punk, dit-il. Comme il est également entrepreneur: concepteur de tables de mixage numériques en Californie, patron d’une ferme biologique en Argentine, propriétaire d’un magasin et d’un restaurant à Zurich… Entre l’artiste dadaïste et le chef d’entreprise, on peine un peu à faire le lien.
«J’ai un certain talent pour formuler des concepts. Mais ensuite je suis totalement incapable de les mettre en pratique. Donc quand j’ai une idée, je fais toujours en sorte de trouver les bonnes personnes pour la concrétiser. Ma ferme en Argentine? Je n’y fais absolument rien! C’est un concept. Je savais que je voulais du biologique, quels produits je voulais développer, je suis engagé dans le marketing, mais pour le reste, ce n’est pas moi qui m’en occupe», répond-il honnêtement.
Avant de préciser: «Je suis un peu comme un producteur de cinéma: il n’est pas réalisateur, ni acteur, mais il produit le film, c’est-à-dire qu’il doit trouver ‘the right people in the right position’. C’est le cas dans toutes mes activités industrielles, où il faut des spécialistes. Les activités artistiques ne sont pas aussi exigeantes du point de vue de l’exécution. Pour chanter une chanson, il suffit d’essayer. C’est ce que je fais avec Yello. Cela peut donner quelque chose de sympa, ou de stupide, ou d’intéressant, ou d’ennuyeux, mais cela n’a pas de conséquence».
The moon… beautiful
The sun… even more beautiful
Oh yeah !
C’est là l’intégralité des paroles de «Oh yeah», chanson devenue tube planétaire. Une chose est sûre: Dieter Meier ose tout.
Zurich. Dieter Meier est né en 1945 à Zurich, dans une famille de riches banquiers.
Théâtre et poker. S’il étudie le droit, il va opter pour l’écriture de théâtre, et le poker pour arrondir ses fins de mois… jusqu’à être joueur de poker professionnel pendant quelques temps.
Happenings. Dès la fin des années 60 et au cours des années 70, il s’illustre à travers des happenings arty et humoristiques.
Yello. En 1979, il rejoint Boris Blank, fondateur de Yello. Alors que celui-ci va s’occuper de la musique du duo, Dieter Meier va devenir l’auteur des textes et la voix principale du duo électro.
Tubes. Entre 1980 et 2008, ils publient une douzaine d’albums (sans compter les remix et autres variantes) qui recéleront de nombreux tubes planétaires: «The Race», «Oh Yeah» etc.
Touch. Dernier album en date, le remarquable «Touch», paru en 2009, inclut des collaborations avec la chanteuse Heidi Happy et le trompettiste Till Brönner. Il a donné lieu au film ‘Touch – The virtual concert’.
Cinéaste. Outre la réalisation de clips vidéo pour Yello et Alphaville («Big in Japan»), Dieter Meier a réalisé plusieurs films, dont Jetzt und Alles (1981), The Lightmaker (2001).
Entrepreneur. A la fin des années 90, il a acheté un domaine de 2200 hectares en Argentine, Ojo de Agua («L’œil de l’eau») où il pratique l’élevage, l’agriculture et le vin biologique. Il vend ses produits dans un magasin du même nom à Zurich, où il a également un restaurant, le Bärengasse.
Tournée. Dieter Meier tourne actuellement avec un spectacle intitulé ‘Out Of Chaos’.
Depuis l’arrivée de sa nouvelle direction, le Centre culturel suisse développe de nouveaux partenariats, en Suisse ou en France.
Yello à Montreux. C’est dans ce contexte que le projet Dieter Meier sera présenté en juillet au Montreux Jazz Festival.
Zumthor à Beaubourg. Le 19 mai, le CCS proposera une conférence de l’architecte grison Peter Zumthor. Elle aura lieu dans la Grande salle du Centre Pompidou.
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