Youssou N’Dour donne de la voix à Montreux
Les massacres au Darfour doivent cesser. C'est le message de la marche de sensibilisation organisée par la star africaine avant son concert vendredi à Montreux. Interview.
En ouverture du 41ème Montreux Jazz Festival, Youssou N’Dour présentait la version scénique de son projet «Retour à Gorée» évoquant tout le suc des musiques noires.
«Retour à Gorée» est un film réalisé par le Suisse Pierre-Yves Borgeaud, qui sortira à la rentrée. Une sorte de road movie entre trois continents, avec l’esclavage en filigrane.
Le film célèbre les musiques noires – Youssou N’Dour y revisite son répertoire avec jazzmen, percussionnistes et autres choristes. Au départ du projet: Moncef Genou, pianiste genevois présent en chef de bande facétieux à Montreux vendredi.
Car «Retour à Gorée», c’est surtout une musique vivante, sur scène aussi consistante que touchante. Et ça, quitte à défriser les admirateurs de la seule version «mainstream» de Youssou N’Dour.
Ces derniers auront assurément préféré vendredi la première partie de soirée assurée par Ismaël Lo, sa voix de miel et ses musiciens efficaces. Emaillé de quelques scènes du film, le concert de Youssou a pourtant convaincu les plus vigilants.
D’abord, le format jazz décliné à ce niveau souligne la beauté complexe des mélodies du Sénégalais. Ensuite, le maître enchanteur libère une expressivité si fervente qu’elle en trouble les pacemakers.
De cœur, il en était également question vendredi en fin d’après-midi, avec la marche de sensibilisation organisée par Youssou N’Dour. Un succès public relatif, quelques personnalités, dont le rapporteur spécial de l’ONU Jean Ziegler. Et ce rappel: à l’ouest du Soudan, le Darfour est en proie à une guerre civile qui a fait jusqu’ici 200’000 morts et plus de deux millions de réfugiés, selon l’ONU.
swissinfo: Quel signal souhaitez-vous faire passer avec la marche de sensibilisation sur le Darfour à Montreux?
Youssou N’Dour: Le signal est qu’il faut faire cesser cette guerre et ces massacres. Les parties doivent se mobiliser et prendre une décision ferme qui fasse cesser tout cela. On ne peut plus accepter de voir ce conflit relégué au second plan.
swissinfo: Et pourquoi donner ce signal à Montreux?
Y.N.: Pour moi, le contraste entre Montreux – avec ses belles voitures et ses gens arborant des airs de fête – et le Darfour montre que ce monde est déséquilibré. Le contraste entre ces deux réalités est choquant, c’est vrai, mais il pousse surtout à réfléchir.
swissinfo: Mais en quoi vous sentez-vous concerné par la crise au Darfour?
Y.N.: D’abord, je suis un humain. Et en tant qu’Africain, en tant que leader d’opinion, dans le cadre de ma démarche visant à améliorer les rapports entre le Nord et le Sud, je me sens particulièrement concerné. En plus de cela, je n’aime pas la guerre. Je n’aime pas voir des enfants et des femmes mourir à travers elle.
Je me dis qu’avec ma musique – qui est une langue – je peux peut-être faire passer le message. Sensibiliser et mettre la pression sur les décideurs.
swissinfo: Est-ce que vous préconisez quelque chose pour sortir de la crise?
Y.N.: Je n’ai pas les solutions. Il y a des gens suffisamment avertis pour ça. Nous travaillons pour notre part à la sensibilisation, avec toutes les associations qui luttent pour que cette crise soit réglée. Une fois que la pression est là, je pense que les gens peuvent régler le problème au niveau des Nations unies, de l’Union africaine et de l’ensemble de la communauté internationale.
swissinfo: Vous vous êtes déclaré prêt à vous porter candidat à la présidence de l’Union africaine. Faut-il établir un lien avec votre engagement en faveur du Darfour?
Y.N.: Il n’y a pas vraiment de lien. Depuis que nous sommes mômes, les états unis d’Afrique nous font rêver. Aujourd’hui que les chefs d’état ont réalisé l’Union africaine, nous pensons être – en dehors des clivages politiques ou nationalistes – une solution pour réaliser au vrai sens du mot les états unis d’Afrique. Ce qui est dommage, c’est que jusqu’ici, les responsables ne se sont pas accordés.
swissinfo: Votre engagement en faveur de causes humanitaires, particulièrement en Afrique, est ancien. Qu’est-ce qui vous motive?
Y.N.: Je me dis que la musique est une langue qui peut être utilisée pour parler avec les gens beaucoup plus rapidement. Le peu de temps qui me reste après ma musique, je ne veux pas le passer chez moi. Si je parviens à convaincre ne serait-ce qu’une seule personne, c’est positif. Je suis sur cette voie depuis longtemps.
swissinfo: A travers le projet «Retour à Gorée», vous revisitez votre répertoire avec des musiciens venant de traditions musicales découlant de l’esclavage. Cela procède-t-il toujours de votre souci de vous engager?
Y.N.: Oui, l’esclavage a été partout commenté comme étant un crime contre l’humanité. L’Afrique a énormément perdu. Nous pensons même que toutes les musiques qui reviennent vers nous et qui nous font vibrer sont une partie de nous. Elles sont parties de l’esclavage.
swissinfo: Faites-vous passer un message à travers ce projet?
Y.N.: On ne cherche pas à donner un message. C’est de l’émotion, de la musique, une histoire, un fait qu’on ne doit pas fuir: la traite négrière a été terrible pour le continent noir.
swissinfo: Où en êtes-vous aujourd’hui de votre cheminement musical?
Y.N.: Je viens de terminer un album qui va sortir à la rentrée. Un album un peu plus traditionnel, qui touche les zones de la musique du nord du Sénégal – un peu peul, un peu blues.
Avec Neneh Cherry, dix ans après «Seven Seconds», nous avons aussi créé une chanson intitulée «Africa calling», qui sera dans l’album.
swissinfo: Vous approchez gentiment la cinquantaine, qu’est-ce qui vous tient fondamentalement à cœur aujourd’hui?
Y.N.: Je reste passionné par la musique. C’est très important. Si j’en avais marre, ça rendrait les choses très difficiles.
Ce qui me tient à cœur aujourd’hui, c’est l’équilibre de ce monde. Si je peux participer à avoir des idées, mettre la pression pour que les choses évoluent positivement, surtout pour l’Afrique, je le ferai. Mais en restant à ma place. En collaborant avec d’autres qui ont les mêmes idées, les mêmes sensibilités, le même combat que moi.
Interview swissinfo: Pierre-François Besson à Montreux
Listé par le magazine américain Time parmi les 100 personnalités les plus influentes de la planète, le musicien sénégalais Youssou N’Dour est né en octobre 1959 à Dakar.
Auteur-compositeur-interprète, aujourd’hui star mondialisée, il a collaboré avec Peter Gabriel, Neneh Cherry, Paul Simon et beaucoup d’autres.
Très présent au Sénégal, Youssou N’Dour y est propriétaire d’un studio et d’un groupe de presse. Il s’engage depuis des années en faveur de causes humanitaires.
La 41ème édition du Montreux Jazz Festival se déroule du 6 au 21 juillet à Montreux, sur la rive orientale du Lac Léman. Au programme cette année, 32 concerts payants et 280 gratuits.
La partie payante du festival se tient sur les scènes de l’Auditorium Stravinski et du Miles Davis Hall. La manifestation investit aussi les quais des bords du lac et plusieurs sites et scènes de la ville.
Ce festival a été créé en 1967 par Claude Nobs, toujours aux commandes actuellement. Durant sa longue histoire, de nombreux disques live y ont été enregistrés. Et les grands noms des musiques actuelles continuent à lui être fidèles.
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