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Youssou N’Dour sur la trace musicale des esclaves

Youssou N'Dour dans un film empli d'allégresse, malgré tout.

Avec «Retour à Gorée», présenté en compétition internationale à Visions du réel, Pierre-Yves Borgeaud s'unit au griot pour remonter le fil de la mémoire et des musiques noires.

En «musicien qui filme», le Suisse évoque l’esclavage tout en laissant parler les notes. Interview.

«Searching for his soul», chante Youssou N’Dour, capté en gros plan. La star globale africaine visite ensuite l’Ile de Gorée – premier centre africain de transit des esclaves.

A la fin du film, le griot est de retour à Dakar avec des musiciens venus des quatre vents. Sur l’esplanade de Gorée, ils donnent un concert fait de créations récentes de Youssou N’Dour mariées au jazz.

Juste avant, devant «la porte du voyage sans retour» d’où l’on embarquait les esclaves, le chœur a chanté «où ma mère a pleuré, retour au pays de Gorée».

Venu de la musique pour y revenir sans cesse, Pierre-Yves Borgeaud présente à Nyon son dernier film, ambitieux, généreux, vaste comme les diasporas noires arrachées à l’Afrique entre 1536 et 1848.

«Retour à Gorée» est une sorte de road movie entre trois continents et les musiques noires, du negro-spiritual aux musiques de mardi gras, des percussions assiko au jazz.

Youssou N’Dour y quête ses musiciens et rencontre des «frères». Il y est aussi le passeur joyeux vers les racines, estimant au final que «ma musique a besoin de Dakar». Une musique qui parle d’elle-même.

swissinfo: En quoi cette remémoration des racines africaines et de l’esclavage vous intéressait-elle?

Pierre-Yves Borgeaud: Je suis depuis toujours un fou de musique américaine. Je suis batteur depuis l’âge de sept ans. Batteur de jazz, batteur de funk. La musique noire m’a formé.

Dès qu’il y a eu cette proposition de faire un film qui remonte vraiment à la source de la musique noire, je n’ai pas pu résister. C’est ce que j’ai toujours aimé, et qui mêle en plus l’image et la musique. Un projet tout à fait naturel pour moi.

swissinfo: Y avait-t-il aussi la volonté de transmettre un message?

P.Y.B.: Bien sûr, énorme. C’est un film très symbolique. Déjà par rapport à l’idée de partir de l’Ile de Gorée et d’y revenir. De ramener le jazz sur le lieu d’où il serait parti.

Une précision: ce que j’ai essayé de faire, c’est de montrer que le message est dans la musique. Donner la parole à la musique, comme dans la plupart de mes films. Laisser la musique investir le sens.

Des messages, il y a en plusieurs. Pour moi, il y a la contribution de l’Afrique à l’humanité. Du point de vue artistique déjà, si on considère l’art comme essentiel à l’homme. Au-delà, le film porte aussi sur la force de la musique et la possibilité de vivre ensemble.

swissinfo: D’où vient le projet?

P.Y.B.: Au départ, le pianiste genevois Moncef Genou a contacté Youssou N’Dour pour lui proposer un projet jazz. Il a pu faire deux concerts au Festival de jazz de Cully, où il déclinait les chansons de Youssou N’Dour en jazz.

Là-dessus, Emmanuel Gétaz, fondateur du festival, a proposé à Youssou N’Dour de faire un disque. Ils ont opté finalement pour un film, medium le plus aisé aujourd’hui pour passer des messages.

Emmanuel Gétaz a ensuite cherché un producteur et un réalisateur. Et c’est Youssou N’Dour qui a choisi entre les réalisateurs proposés.

swissinfo: Youssou N’Dour est une star. Une star «facile»?

P.Y.B.: J’ai travaillé avec beaucoup de musiciens. Des gens dont je respecte la musique et l’approche. Dans ce sens, Youssou N’Dour a été extraordinaire.

Youssou N’Dour travaille beaucoup à l’intuition. A partir du moment où j’ai eu la chance d’avoir sa confiance, il m’a laissé travailler en toute liberté. Il m’a même laissé choisir les musiciens – c’est quand même assez énorme.

Là où il est moins facile, c’est dans le fait d’être probablement l’une des personnes les plus occupées au monde. Ne serait-ce que de l’avoir eu entièrement sur un projet comme ce film, plus de trois semaines, c’est en soi déjà extraordinaire. Beaucoup ne croyaient pas la chose possible.

swissinfo: Et que retenez-vous de cette collaboration?

P.Y.B.: Youssou N’Dour, c’est le talent pur. Se trouver près de lui quand il chante est extrêmement émouvant. J’ai rarement vu un artiste se donner autant dans son art. Quand il chante, il transforme les gens et les choses autour de lui. C’est de l’ordre du magique.

Au-delà du plaisir immédiat, c’est deux ans de travail. Le plus bouleversant pour moi a été de plonger au cœur de l’expérience noire – noire américaine mais aussi noire africaine. Un enrichissement énorme. Je ne le mesure pas encore mais je le sens très fort.

swissinfo: Le rendu de la musique est impressionnant. Un vrai défi pour vous?

P.Y.B.: Il y avait énormément d’inconnues. Youssou N’Dour n’avait jamais travaillé avec ces musiciens, à part Moncef Genou. Ce qu’on voit dans le film, ce sont donc les rencontres réelles.

La rencontre musicale est à l’image de la rencontre amoureuse. Ce n’est pas parce qu’on imagine deux personnes ensemble que la relation va prendre. Ça aurait très bien pu ne pas marcher au niveau musical.

Ce film, pour moi, est une succession de petits miracles. Et l’un des principaux miracles, c’est la rencontre à la Nouvelle-Orléans avec la section rythmique. Ça jouait beaucoup sur la fragilité. Et la mayonnaise a pris au-delà de nos espérances.

Interview swissinfo: Pierre-François Besson à Nyon

«Retour à Gorée» sort en salle le 12 septembre en Suisse. Youssou N’Dour et le «Retour à Gorée Jazz Project» seront au Festival de Jazz de Montreux le 6 juillet.

13e édition de Visions du réel à Nyon du 20 au 26 avril.
Palmarès le jeudi 26.
137 films de 23 pays,
20 films en compétition internationale, dont 3 suisses.
Neuf sections, dont «Regards neufs» (jeunes talents) et «Helvétiques» (dernières nouveautés suisses).
Deux ateliers consacrés à la française Claire Simon et au Hollandais/Indonésien Leonard Retel Helmerich.

Né en août 1963 en Valais, Pierre-Yves Borgeaud écrit, réalise et produit des films en super 8 en parallèle à ses études de lettres. Etudes qu’il conclut par un mémoire – Le jazz dans le roman.

Journaliste indépendant et batteur, il décide ensuite de se consacrer pleinement à la production vidéo. Et part se former à New York. Il tourne des vidéos pour le label ECM (Jan Garbarek, Anouar Brahem, Nils Petter Molvaer) tout en explorant les possibilités de rencontre entre vidéo et musique live.

Par la suite, il monte sa maison de production et développe une filmographie d’aujourd’hui une douzaine de films. Le réalisateur a notamment obtenu le Léopard d’or vidéo au Festival de Locarno en 2003 pour «iXième», journal poétique vidéo laissé par un prisonnier à domicile.

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