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Le fédéralisme suisse, un exemple d’autonomie fiscale pour les autres pays

Uno sbandieratore fa volteggiare la bandiera svizzera davanti al Palazzo federale.
Le fédéralisme est avec la démocratie directe l'un des fondements de la Suisse. Bien qu'il ait perdu un peu de sa splendeur en un siècle et demi d'existence, il représente encore un certain modèle à succès. Keystone / Peter Klaunzer

Le fédéralisme fiscal associé à la péréquation financière intercantonale: c’est là l’élément clé du succès du système suisse, qui pourrait être copié par d’autres, affirme un spécialiste de politique comparée de l’Université de Kent.

L’image du fédéralisme suisse qui émerge des études comparées de Paolo DardanelliLien externe, professeur associé en politique comparée à l’Université de Kent, ne correspond pas vraiment à l’idée traditionnelle d’une division claire entre deux niveaux, avec le pouvoir central limité aux relations étrangères, à la défense et à la monnaie, et les 26 cantons souverains dans tous les autres domaines de compétences. Comme les autres Etats fédérés classiques, la Confédération helvétique a elle aussi profondément évolué depuis sa fondation en 1848 à aujourd’hui.

Paolo Dardanelli
Paolo Dardanelli enseigne la politique comparée à l’université de Kent. Auteur de plusieurs études sur le fédéralisme, l’autonomie et les sécessions, il a entre autres co-écrit le livre «Le fédéralisme suisse», publié aux éditions Armando Dado. © University of Kent

Au cours du temps, le fédéralisme s’est transformé en s’adaptant aux nouveaux défis, de sorte qu’en 2017, la Suisse est une fédération d’Etats avec «une législation beaucoup plus centralisée de ce qu’on suppose généralement», observe le spécialiste. Autrement dit, le processus de centralisation et d’harmonisation législative constitue une «érosion progressive de l’autonomie des cantons».

Une large autonomie cantonale en matière fiscale

Il y a toutefois une sphère de compétence dans laquelle l’autonomie cantonale reste forte: les finances publiques. La Suisse a démontré que, contrairement à ce que soutiennent certains théoriciens du fédéralisme, «il est possible de combiner des pouvoirs fiscaux forts dans les régions, soit les cantons, avec une péréquation financière intercantonaleLien externe permettant malgré tout d’avoir un niveau élevé de redistribution des ressources», relève Paolo Dardanelli. De cette manière, «la Suisse a réussi à conserver une relation très saine avec la responsabilité démocratique: les cantons sont compétents pour certaines décisions et sont aussi responsables de trouver les ressources pour les financer», ajoute l’expert.

Des enseignements utiles pour la question catalane

La combinaison adoptée par la Suisse pourrait servir de modèle à d’autres Fédérations, selon Paolo Dardanelli. A son avis, l’ample autonomie fiscale de type helvétique comporterait toutefois quelques difficultés d’application dans des pays présentant «un fort déséquilibre économique entre les régions», comme en Italie ou en Espagne. Le spécialiste, qui a été consultant auprès de la Commission constitutionnelle du Sénat espagnol, estime malgré tout que «l’Espagne pourrait tirer des enseignements très utiles du système de péréquation suisse et de sa récente réforme». Et il serait opportun, dit-il, que l’Espagne s’en inspire «pour sa réforme du système de financement des régions pour faire face à la question catalane».

La difficile «voie de repli» italienne

En Italie, il y a cinq Régions à statut spécial, tandis que les autres, à statut normal ou ordinaire, peuvent aujourd’hui demander à l’Etat des formes et des conditions particulières d’autonomie avec les ressources correspondantes, cela suite à la réforme constitutionnelle de 2001. La Lombardie et la Vénétie pourraient tout bientôt avancer de telles requêtes si l’électorat accepte les référendums soumis à votation le 22 octobre prochain. De son côté, l’Emilie-Romagne a déjà entamé les négociations avec le gouvernement central afin d’obtenir davantage d’autonomie, sans demander leur opinion aux citoyens.

«Une transformation de l’UE en un Etat fédéral comme la Suisse est actuellement très improbable»

Un système complexe qui soulève la question de savoir s’il ne serait pas opportun de le simplifier. «Bien sûr, un système homogène est en général préférable, car les systèmes asymétriques sont plus compliqués à gérer et risquent de provoquer des frictions internes. Toutefois, dans les pays où il existe d’énormes différences régionales, il est très difficile de trouver un accord qui satisfasse tout le monde. En Italie, on n’en a pas encore trouvé un», précise le chercheur.

La voie dans laquelle s’est engagée l’Italie dans le cadre de sa réforme constitutionnelle pour une transition vers le fédéralisme – «faite dans la précipitation» – est une «voie de repli». Et ainsi, le système italien «va plutôt dans la direction de l’Espagne, où il y a 17 Régions, chacune avec ses propres statuts d’autonomie spécifiques».

L’exemple de la collaboration intercantonale

Un autre élément du système suisse pourrait néanmoins servir d’exemple à l’Italie, selon le spécialiste de politique comparée: la collaboration horizontale entre les cantons, institutionnalisée par les Conférences des directeurs cantonaux des différents départements (éducation publique, santé, social, finances, etc.) et par celle des gouvernements cantonaux.

Cette forme de coopération, qui «n’était pas prévue par la Constitution fédérale, a émergé avec le temps en réponse à certaines exigences», rappelle Paolo Dardanelli. Malgré les critiques soulevées par le fait que certaines décisions prises par ces organes échappent à la démocratie directe et dans de nombreux cas aussi aux Parlements cantonaux, il s’agit là «d’un système de coordination horizontale et d’interaction entre les régions et le centre qui fonctionne». Et il «pourrait être intéressant pour l’Italie qui se dirige vers une majeur autonomie et diversification des régions». Dans ce nouveau contexte, en effet, «la nécessité d’une coordination horizontale et verticale augmente».

Pas de clone pour l’UE

L’idée selon laquelle la Suisse, aujourd’hui, pourrait être un modèle d’intégration pour l’UE est en revanche remise en question par le spécialiste de politique comparée. «Je suis sceptique pour une raison simple, mais fondamentale: quand en 1848, on a passé d’une Confédération à une Fédération d’Etats, il existait déjà un sens de la nation suisse».

La situation est complètement différente pour l’UE, où «les Etats qui désirent s’unir sont des nations. Et dans de nombreux cas, l’identité nationale a été définie en opposition aux autres pays européens. Au sein de l’UE, il y a des identités nationales fortes, enracinées au niveau des Etats, et une quasi-absence d’identification avec l’UE de nature nationale. L’identité européenne relève du cosmopolitisme, de la fraternité entre plusieurs nations», explique Paolo Dardanelli.  

«Ma conclusion est donc qu’une transformation de l’UE en un Etat fédéral comme la Suisse est actuellement très improbable. Cela ne signifie pas qu’il ne puisse pas y avoir une transition vers une fédération européenne dans quelques siècles. Dans tous les cas, l’UE aurait à affronter des obstacles nettement supérieurs à ceux que la Suisse a dû surmonter».

Un regard sur l’avenir

Différentes études, dont celle de Paolo Dardanelli et Sean MüllerLien externe, ont montré que le fédéralisme helvétique a perdu plusieurs morceaux depuis sa naissance en 1848 jusqu’à nos jours. La 5e Conférence nationale sur le fédéralisme, agendée les 26 et 27 octobre à Montreux, pose la question de savoir si la Suisse sera encore fédéraliste dans 50 ans.

Une interrogation à laquelle Paolo Dardanelli répond ainsi: «Je pense que le processus d’érosion et d’autonomie des cantons se poursuivra, et que la Suisse sera moins fédérale qu’aujourd’hui, mais je ne crois pas qu’elle perdra toutes ses caractéristiques fédérales». Tout dépendra de la capacité des cantons à conserver une autonomie fiscale importante et un espace législatif dans des domaines comme l’instruction, afin d’éviter d’en arriver à «un fédéralisme de façade comme c’est le cas en Autriche, où les unités la constituant se limitent pratiquement à exécuter les décisions du pouvoir central».


Traduit de l’italien par Barbara Knopf

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