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Quand les villes suisses défendent leurs sans-papiers

undocumented people meeting
Genève, février 2017. Des centaines de sans-papiers assistent à une séance d'information sur la campagne de régularisation "Opération Papyrus". © Keystone / Salvatore Di Nolfi

Plusieurs villes américaines ont récemment bravé les autorités fédérales sur des questions d’immigration. En Suisse, ce thème suscite également des dissensions, mais d’envergure plus modeste qu’aux États-Unis.

Employé autrefois à propos des criminels cherchant refuge dans les églises, le terme de «sanctuaire» a désormais une connotation plus profane: une «ville sanctuaire» est une cité qui défie les lois nationales en offrant sa protection et des services aux résidents qui n’ont pas de papiers. 

Cette question est particulièrement controversée aux États-Unis, où des villes aussi importantes que Chicago et New York ont refusé d’appliquer la politique d’immigration de l’administration du président Donald Trump qu’elles considèrent trop restrictive. La Californie a fait de même et s’est proclamée «État sanctuaire».

Il est difficile de trouver des cas analogues en Europe ou en Suisse. Pourtant, ici aussi, certaines villes commencent «à intervenir dans des domaines où elles n’avaient auparavant aucune prérogative», relève David Kaufmann, professeur d’aménagement du territoire et de politique urbaine à l’ETH Zurich. 

Dans le cadre d’une série de conférencesLien externe données à Zurich, Berne et Genève sur le thème des villes sanctuaires en Suisse, il a estimé que certaines initiatives commençaient à remettre en question la répartition des pouvoirs entre la Confédération, les cantons et les communes.

Opération Papyrus

L’opération PapyrusLien externe, lancée par le canton de Genève, en constitue l’exemple le plus évident. Ce projet devrait permettre au total de régulariser la situation de quelque 3500 sans-papiers, en particulier de nombreuses femmes venues d’Amérique latine et employées dans le secteur de l’économie domestique.

Contenu externe

Genève a dans ce cas «un peu assoupli le processus de régularisation», dit David Kaufmann. Normalement, la loi fédérale autorise les cantons à régulariser la situation d’individus qui sont des «cas de rigueur», mais l’opération Papyrus est d’une tout autre ampleur. 

Elle a en outre été menée en prenant des précautions particulières et en impliquant ONG, autorités cantonales et fédérales afin d’éviter que les personnes qui ont demandé leur régularisation ne soient expulsées pendant la procédure.

Et bien que les autorités fédérales aient insisté sur le fait que le projet ne représentait pas une «régularisation collective» mais assurait une «évaluation au cas par cas», Papyrus a attiré l’attention d’autres cantons, en particulier de Bâle-Ville – la troisième métropole de Suisse derrière Zurich et Genève.

Cantons et Villes-États

Il n’est pas sûr que ce modèle fonctionne ailleurs. Premièrement, les structures mises en place pour Papyrus ont pris beaucoup de temps et elles étaient plutôt adaptées au contexte genevois, dit David Kaufmann. Deuxièmement, toutes les villes de Suisse ne disposent pas de compétences politiques aussi larges que celles de Genève.

Les cantons de Genève et de Bâle-Ville représentent en effet des cas très particuliers. Ils sont tous deux pour l’essentiel des Villes-États – à la fois des villes et des cantons. Cela signifie en pratique que la ville (où vivent la plupart des sans-papiers) et le canton (qui dispose des compétences politiques) suivent fréquemment la même ligne

À Zurich ou à Lausanne en revanche, la municipalité de gauche se heurte souvent au canton, plus vaste et plus conservateur. Il leur est donc beaucoup plus difficile de mettre en place de telles politiques.

À Zurich, l’antagonisme est clair. Cette ville qui compte 428’000 habitants est gouvernée par une municipalité dominée par la gauche, mais le canton qui l’entoure est de centre-droit. Et en 2018, le gouvernement cantonal a clairement rejeté une proposition de régularisation de type Papyrus, faisant valoir que «la situation du canton de Zurich n’est pas comparable à celle du canton de Genève».

Cartes d’identité locales

Le contexte institutionnel et politique suisse est bien différent de celui des États-Unis et les villes poursuivent ici des projets plus modestes. À Zurich, il y a notamment la «Züri City Card», une pièce d’identité communale qui serait délivrée à tous les résidents de la ville, y compris ceux qui n’ont pas de papiers. Ils pourraient ainsi la produire sans avoir à craindre de subir un interrogatoire ou d’être arrêtés.

Mais même ici, les progrès sont lents, dit David Kaufmann. Bien que plutôt favorable à l’idée, l’exécutif de la Ville s’est montré réticent à l’introduction de cette pièce d’identité en raison d’incertitudes légales. Et il a fallu la pression de la société civile pour que la municipalité se voie dans l’obligation de présenter un projet en ce sens d’ici à l’an prochain.

Un projet analogue a également été lancé dans la ville fédérale, a indiqué Payal Parekh, du réseau «Nous sommes tout.e.s BerneLien externe», qui a aussi participé aux conférences sur les villes sanctuaires. Il s’agit d’une des initiatives centrales de cette association connue dans la ville sous son nom alémanique «Wir alle sind Bern». Elle organise également des cafés interculturelsLien externe et des débats pour ceux que la politique intéresse mais qui n’ont pas le droit de vote.

Payal Parekh reconnaît que ces efforts sont loin d’être suffisants pour élever Berne au rang de ville sanctuaire. Mais elle relève qu’ils contribuent à une vague de fond locale qui pourrait inciter les autorités communales à se préoccuper davantage des sans-papiers. Elle estime d’ailleurs que Berne offre des conditions optimales pour ce genre d’initiatives. 

Premièrement, la ville dispose toujours d’importantes compétences en matière de politique de la citoyenneté et, deuxièmement, comme la plupart des grandes villes suisses, elle est «solidement à gauche».

Quelque 76’000 sans-papiers vivent en Suisse, soit environ 1% de la population. Les cantons qui en comptent le plus sont Zurich (28’000), Genève (13’000), Vaud (12’000), Bâle-Ville (4000) et Berne (3000). Les chiffres exacts ne sont toutefois pas connus. Ceux qui sont cités ici sont des moyennes basées sur les estimations de différents experts.

(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)

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