«L’activité politique se radicalise, surtout à droite»
Quinze ans après son retrait du gouvernement, Adolf Ogi est plus convaincu que jamais des qualités de la démocratie de consensus. Ecouter, chercher ensemble des solutions qui servent les intérêts de tout le pays: c’est son credo politique. A 72 ans, le très populaire homme d’Etat est assez seul dans son parti, l’Union démocratique du centre (UDC), qui veut, en cette année électorale, poursuivre sur la voie du succès avec des initiatives conservatrices, difficiles à mettre en œuvre. Interview.
swissinfo.ch: Votre père a été longtemps maire de Kandersteg, village de l’Oberland bernois au pied des Alpes. Quelle a été votre première perception de la démocratie directe?
Adolf Ogi: Mon père a été membre de la commission scolaire avant de la présider. Il a aussi été, à titre bénévole, caissier de la commune, ce qui fait que les finances de notre commune se trouvaient dans notre salon! Il a ensuite présidé le législatif puis l’exécutif.
Enfant, je l’ai vu, à la maison, préparer les assemblées communales qui décidaient si elles étaient d’accord d’accepter les décisions de l’exécutif et du maire, ou non. C’était le souverain. Le lendemain, au petit-déjeuner, mon père racontait ce qui s’était passé.
swissinfo.ch: Que devez-vous, dans votre compréhension de la démocratie, à votre origine montagnarde?
A.O.: D’abord une anecdote: lorsque j’ai été, en 2000, président de la Confédération pour la deuxième fois, le Conseil fédéral a décidé de proposer la candidature de la région Jungfrau/Aletsch au patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco. J’ai transmis le dossier à l’Assemblée générale de l’Unesco à New York au directeur général de l’agence onusienne, un Japonais, qui est resté de marbre. J’ai alors décidé de changer de tactique et je l’ai invité à survoler, pendant toute une journée, la région dans un hélicoptère de l’armée suisse. J’étais alors ministre de la Défense. Ce jour-là, j’ai vu ses yeux commencer à briller.
Après le vol, il était si enthousiaste que l’attribution de ce «Prix Nobel des monuments naturels» n’était plus qu’une question de temps. C’est la stratégie du «chumm und lueg», en dialecte, «viens et regarde toi-même» qui a permis ce succès, et elle m’avait été inspirée par mon père, qui m’avait montré les protections qu’il avait fait installer au-dessus de notre village contre les dangers naturels. De telles expériences m’ont marqué.
swissinfo.ch: Votre commune, comme de nombreuses autres, connaît-elle aussi un problème de recrutement de personnel politique?
A.O.: L’évolution est en effet négative. Un membre de l’exécutif a démissionné et aucun successeur ne lui a encore été trouvé. Les partis et les groupes auraient dû se mettre d’accord sur une personne compétente pour pouvoir compléter l’exécutif le plus rapidement possible.
Lorsque j’étais enfant, dans les années 1950, c’était différent. Kandersteg n’avait pas de partis, mais les habitants ressentaient comme un devoir politique de s’engager pour la commune, pour la collectivité et pour l’endroit.
swissinfo.ch: Jusqu’à il y a vingt ans, le consensus et la concordance étaient les principes de base de la politique suisse. Comment est-ce que cela fonctionnait?
A.O.: Gouverner était plus simple à l’époque où j’ai fait de la politique à Berne. C’est aussi le cas de la direction de l’UDC, que j’ai aussi assumée. Nous recherchions le consensus et trouvions des compromis. Au Parlement, les présidents de parti se rencontraient et cherchaient des solutions ensemble, des solutions favorables au pays. Cela n’était possible que parce que nous nous écoutions mutuellement et que nous mettions les intérêts de nos partis au deuxième plan.
swissinfo.ch: Les initiatives populaires servent de plus en plus de locomotives électorales. Faut-il réformer ce droit populaire?
A.O.: En politique, il y a des fenêtres temporelles, qui s’ouvrent et se ferment. A mon avis, le temps n’est pas mûr pour réformer le droit d’initiative. Nous avons d’autres priorités: depuis le 9 février 2014, il faut trouver une solution avec l’UE.
swissinfo.ch: Faut-il revoir les relations entre gouvernement, parlement, partis, milieux économiques, associations et tribunaux pour promouvoir l’équilibre, la proportionnalité, la stabilité et la continuité dans les processus de décision?
A.O.: Je constate que la politique se radicalise, à gauche, mais surtout à droite – je l’admets. Je suis absolument opposé à toute radicalisation. Le bien commun, le vivre ensemble et la recherche de solutions sont en ce moment des éléments un peu oubliés. Nous avons besoin, à la tête des partis et des groupes parlementaires, de personnalités qui changent la donne.
Le 9 février 2014, en acceptant l’initiative «Contre l’immigration de masse», les citoyens ont voulu protester contre la Berne fédérale. Mais j’étais sûr que l’initiative «Ecopop» serait rejetée, le 30 novembre. Le peuple est raisonnable, il ne joue pas avec le feu. Le rejet d’Ecopop est le refus de solutions radicales et le signe d’un retour à la raison et à la sagesse.
Adolf Ogi
Né en 1942 à Kandersteg dans l’Oberland bernois. Formation commerciale. Citoyen d’honneur de la commune depuis 1992.
De 1987 à 2000: Adolf Ogi est membre du Conseil fédéral (gouvernement) qu’il préside en 1993 et en 2000.
Entre 2001 et 2007, le Bernois est conseiller spécial de l’ONU pour le sport au service du développement et de la paix.
Membre de l’Union démocratique du centre (UDC), il avait été élu au Conseil national (Chambre basse du parlement fédéral) en 1979. En 1984, il a été nommé président de son parti.
Professionnellement, Adolf Ogi était directeur général d’Intersport Suisse Holding AG (magasins d’articles de sport).
De 1969 à 1981, il a aussi été directeur technique de l’Association suisse de ski.
En 1972, il a dirigé la délégation olympique suisse aux Jeux de Sapporo, où les Suisses ont remporté dix médailles.
swissinfo.ch: Mais le «oui» du 9 février est aussi une nouvelle approbation de textes polarisants et difficiles à mettre en œuvre. Il exprime la méfiance contre la politique établie. Comment regagner la confiance?
A.O.: Il n’y a pas de réponse à cette question, seulement l’espoir que cela réussisse. Or il faut absolument que cela fonctionne, dans la perspective des négociations avec l’Union européenne. Si aucun accord n’est possible sur une solution, la situation sera difficile.
Les élections fédérales de l’automne 2015 jettent déjà une ombre sur l’activité politique. Mais, ensuite, il ne restera qu’une année au Conseil fédéral pour négocier avec Bruxelles la mise en page de l’initiative du 9 février. C’est très, très court. Mais le rejet d’Ecopop et la situation dans certains pays de l’UE en ce qui concerne la migration ont amélioré la position du Conseil fédéral.
swissinfo.ch: Le Conseil fédéral doit garder la tête froide pour négocier. A quel point cet élément est-il important, après une votation comme celle du 9 février?
A.O.: On pourrait aussi parler de lenteur. Ces éléments nous ont en effet toujours permis de trouver de bonnes solutions. Les conclusions rapides sont néfastes, en démocratie directe.
Dans nos relations avec l’Union européenne, la lenteur pourrait même se révéler un élément positif. Nous ne faisons pas partie de l’UE, mais nous avons bien surmonté les crises de ces dernières années. Nous devons en grande partie notre bien-être et nos progrès, depuis 1848, à la lenteur de la démocratie directe. Nous comptons quatre cultures, quatre langues, 26 cantons, près de 3000 communes, un peuple vivant en paix et libre depuis 1848 – tout cela fait de la Suisse un exemple pour l’Europe.
swissinfo.ch: Comment cela?
A.O.: En 2000, j’ai participé au sommet européen de Nice. Après une remarque de Romano Prodi, le président de la Commission européenne, sur le fait que la Suisse ne recherchait que des avantages pour elle-même et des exceptions, j’ai changé mon discours et j’ai décidé de parler de démocratie directe, non pas dans un français léché, mais en «français fédéral de Kandersteg». A la fin, quelqu’un s’est exclamé «Maintenant nous savons ce que nous devons faire – nous devons adhérer à la Suisse!»
Un contrepoint à Christoph Blocher
L’ancien conseiller fédéral UDC Adolf Ogi, partisan de la démocratie de consensus, est un contrepoint à un important adversaire politique, au sein du même parti: l’ancien conseiller fédéral et mécène de son parti Christoph Blocher.
C’est le Zurichois qui a imprimé la ligne conservatrice et isolationniste à son parti, avec la section cantonale zurichoise.
L’été dernier, Adolf Ogi a appelé les membres «raisonnables» de son parti à stopper Christoph Blocher, lorsque ce dernier a annoncé le lancement d’une initiative intitulée «Le droit national avant le droit international».
Il avait aussi mis en garde son parti contre l’initiative Ecopop, car de nombreuses sections cantonales avaient recommandé de l’accepter, contrairement à la direction du parti national. «Christoph Blocher est comme un cocher qui ne maîtrise plus ses chevaux», dit Adolf Ogi.
Son commentaire lui a valu de recevoir environ 500 lettres, dont «98% étaient positives», dit Adolf Ogi. Christoph Blocher de son côté a répliqué, en public à Coire, en dénigrant son opposant. Il est probable que les deux hommes croiseront encore le fer, verbalement, à l’avenir.
(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)
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