La Landsgemeinde, folklore ou démocratie de base?
En Appenzell Rhodes-Intérieures, on célèbre la plus ancienne forme de démocratie directe. Et même le froid et la neige n’arrêtent pas les citoyennes et les citoyens tenaces. Mais à quel point ce système, qui remonterait à la fin du 14e siècle, est-il démocratique?
Une fois par an à Appenzell, on polit les casques dorés, on sort les grandes bannières aux armoiries des familles et les robes noires, en vue du «jour le plus important de l’année»: celui de la Landsgemeinde. Même la neige, qui ce printemps tombe inhabituellement tard sur les pommiers en fleurs et sur les toits à pignons, n’arrive pas à ternir l’ambiance festive.
Entre les flocons flotte l’odeur des saucisses grillées et des «Landsgmendchrempfli», pâtisserie traditionnelle fourrée à la noisette, que l’on prépare spécialement ce jour-là. Les gens se pressent dans les rues, ou plutôt les ruelles de ce chef-lieu de demi-canton de 6000 habitants.
Tous les chemins mènent à la Landsgemeindeplatz, au centre du bourg. C’est ici que depuis des siècles, les Appenzellois votent par un lever de main sur les grandes questions de politique cantonale, élisent les membres de leur gouvernement et leurs juges. Est-ce à dire que la démocratie fleurit en Appenzell dans sa forme la plus directe? Ou est-ce qu’on se contente d’y maintenir en vie, avec pas mal de folklore, un authentique fossile politique?
Apparue au Moyen Age
Comment sont nées les premières Landsgemeinden? Plusieurs théories s’affrontent sur le sujet. Selon Hans-Peter Schaub, de l’Institut de sciences politiques de Berne, qui dans une thèse récemment publiée compare le système des Landsgemeinden avec celui de la démocratie par les urnes, «on a longtemps pensé qu’elles descendaient des assemblées populaires germaniques, mais la thèse qui domine aujourd’hui, c’est qu’elles se seraient développées au Moyen Age à partir des communautés corporatives». Soit de groupes qui géraient ensemble des terres ou des alpages communautaires.
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«Le point culminant de l’année civique»
Aujourd’hui en Suisse, la Landsgemeinde n’existe plus qu’à Appenzell Rhodes-Intérieures et à Glaris. Autrefois, ce système politique régnait dans huit cantons. Mais ils sont finalement passés les uns après les autres au système des urnes: Schwytz et Zoug avant même la fondation de l’Etat fédéral, en 1847, Uri en 1928, puis Nidwald, Appenzell Rhodes-Extérieures et Obwald dans les années 1990.
La fanfare se met à jouer pour saluer l’entrée des ministres. Les six hommes et l’unique femme qui forment le gouvernement traversent solennellement la place. Il a commencé à neiger, les blancs flocons constellent leurs robes noires. Ils montent sur la «chaire», comme on nomme ici la tribune qui domine la place. Mais celle-ci ne leur est pas exclusivement réservée et sera accessible à tous les citoyens voulant s’exprimer sur un point de l’ordre du jour.
Mêmes informations pour tous
«Le droit à la parole pour tous est la plus grande force démocratique de la Landsgemeinde, estime Hans-Peter Schaub. Ainsi, on peut délibérer sur les sujets et tous les citoyens sont au même niveau quant à l’information. Alors que dans le système des urnes le débat se tient avant tout dans les médias». Un débat plutôt fermé, auquel tout le monde n’a pas accès. Une autre force de la Landsgemeinde, c’est que contrairement au système des urnes, les décisions peuvent aller dans plusieurs directions. Les citoyens ne sont pas simplement priés de dire oui ou non, mais ils peuvent aussi faire des propositions ou demander des modifications.
Mais cela n’arrivera pas à la Landsgemeinde de cette année. L’assemblée est plutôt courte – peut-être à cause de la neige, dont la couche se fait de plus en plus épaisse sur les toits. La réélection du gouvernement et des juges cantonaux est expédiée rapidement, puis les citoyens adoptent quatre révisions de lois et rejettent une initiative individuelle sur une réforme du système scolaire. Pour voter, les gens doivent à chaque fois fermer brièvement leurs parapluies lourds de neige, afin que l’on puisse voir leurs bras levés. La majorité se mesure à l’œil, on ne compte les voix qu’en cas de doute sérieux.
Pas de secret du vote
Contrairement au système des urnes, chacun ici peut voir ce que votent les gens autour de lui. Et ce qu’il y a de particulier, c’est que pratiquement tout le monde se connaît. Pour Hans-Peter Schaub, c’est une des grandes faiblesses de la Landsgemeinde: «le secret du vote n’est pas respecté, alors que c’est un des principes fondamentaux de la démocratie».
Cette manière de faire est d’ailleurs contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui a obligé la Suisse, lors de sa ratification, à introduire une clause d’exception pour les Landsgemeinden. Est-ce que ce vote au vu et au su de tout le monde peut également avoir une influence sur l’orientation politique des décisions? Hans-Peter Schaub rappelle que «les Landsgemeinden ont longtemps eu l’image d’assemblées votant plutôt à droite». Tout le monde a encore en mémoire des cas comme celui de la Landsgemeinde d’Appenzell Rhodes-Intérieures qui en 1990 avait une fois de plus refusé d’accorder le droit de vote aux femmes au plan cantonal.
Pourtant, souligne le politologue, ces assemblées populaires ont aussi pu prendre récemment des décisions progressistes. «Il faut donc partir de l’idée que le système des Landsgemeinden ne favorise aucun camp politique». La participation, par contre est plutôt maigre. «En moyenne, le nombre de gens qui prennent part à la Landsgemeinde est de 10 à 15% inférieur au nombre de ceux qui vont voter aux urnes» relève Hans-Peter Schaub.
Remédier à ses faiblesses
La foule transie qui se rue sur les cafés et restaurant de la place et des environs n’en est pas moins énorme. Ceci est peut-être aussi dû au fait qu’à côté des Appenzellois, des visiteurs de toute la Suisse viennent assister à l’événement. Car le pays entier aime la Landsgemeinde, même si, comme le remarque Hans-Peter Schaub, «historiquement, cette démocratie d’assemblée populaire est plutôt sur le déclin».
Pourtant, les Landsgemeinden jouissent encore d’un grand soutien de la population. «Ce n’est pas uniquement de la nostalgie folklorique, c’est justifié, explique le politologue. Nos recherches attestent que la Landsgemeinde n’est pas moins démocratique que le système des urnes». Mais si ces assemblées populaires veulent survivre, elles doivent surmonter leurs faiblesses. Par exemple en réfléchissant à des solutions techniques pour garantir un vote secret, ou en trouvant des idées pour amener plus de gens à se réunir chaque année sur la place.
(Adaptation de l’allemand: Marc-André Miserez)
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