Le ténor élu à la mairie commence à dépoussiérer Saint-Moritz
Un vent nouveau souffle sur Saint-Moritz, la station de luxe nichée à plus de 1800 mètres d’altitude dans les montages grisonnes. À la fin de l’an dernier, la population a élu à la mairie une figure dynamique et riche en couleur, Christian Jott Jenny. Ce ténor, humoriste et producteur culturel a promis de dépoussiérer les structures du village. Il entend tout d’abord accorder le droit de vote aux étrangers.
Le changement à Saint-Moritz a des allures décontractées. Ce soir, Christian Jott JennyLien externe arrive en scène avec un veston de velours bleu à pochette rouge et des chaussures de sport blanches. Le nouveau maire, en fonction depuis le début l’année, présente la révision totale du règlement communalLien externe dans le cadre pompeux de la salle de théâtre de l’hôtel Reine Victoria.
Et il crée immédiatement la surprise: il veut donner le droit de vote et d’éligibilité aux résidents étrangers de Saint-Moritz. Cette destination internationale du tourisme de luxe rejoindrait ainsi les rares endroits de Suisse qui accordent des droits politiques aux étrangers. Le nouveau règlement sera soumis aux citoyens l’an prochain au plus tôt.
Droit de vote des étrangers à Saint Moritz
À Saint-Moritz, 2000 des quelque 5000 habitants n’ont pas de passeport suisse. La proportion d’étrangers y atteint 41%, un pourcentage bien plus élevé que celui de l’ensemble de la Suisse où elle s’élève à 25%.
Sans la main d’œuvre étrangère, rien ne va plus dans cette station de villégiature. Le maire Christian Jott Jenny veut donc accorder aux étrangers le droit de vote et d’éligibilité. Il faut non seulement qu’ils puissent voter dans la commune, mais également se porter candidats à des mandats politiques.
Les Grisons sont l’un des trois cantons de Suisse qui autorisent les communes à donner le droit de vote aux étrangers. Dans cinq cantons romands, ce droit leur est garanti dans toutes les communes, même si à Genève, ils ne peuvent pas être élus. Le Jura et Neuchâtel sont les seuls cantons du pays qui leur accordent également le droit de vote au niveau cantonal, mais là non plus les étrangers ne sont pas éligibles.
Ce maire qui réalise ainsi son premier coup politique avait jusque-là surtout connu les feux du monde du spectacle. Après être passé par les Petits chanteurs de Vienne, il a suivi une formation de ténor avant de faire venir sur scène d’autres stars bien plus célèbres que lui dans le cadre du www.festivaldajazz.chLien externe qu’il organise depuis douze ans dans la commune: de Norah Jones à Chick Corea en passant par Diana Krall.
L’an dernier cependant, il a décidé de «prendre en main» les destinées de la station grisonne et de changer l’image que s’en font aussi bien ses habitants que le monde extérieur. Pour de nombreuses personnes, le nom de ce village de 5000 habitants est toujours associé aux images de Russes en épais manteaux de fourrure sablant le champagne ou dilapidant leur argent dans des boutiques de luxe. En fait, Saint-Moritz a toujours été synonyme de super riches.
«Lorsque les gens pensent à Saint-Moritz, il faut qu’ils se représentent un endroit où le champ des possibles est un peu plus large qu’ailleurs», estime Christian Jenny au cours d’un entretien avec swissinfo.ch.
Le fait qu’il ait remporté l’élection à la mairie en octobre 2018 était déjà en soi extraordinaire. D’une part parce que ce chanteur et artiste n’avait aucune expérience politique et d’autre part parce qu’il est né à Zurich et est vu dans la station comme quelqu’un qui vient «de la plaine», même s’il vit désormais à Saint-Moritz et y paie ses impôts.
«Je ne supporte pas le terme indigène», dit-il à swissinfo.ch dans un restaurant de Zurich, une ville où il séjourne encore fréquemment bien qu’il ait son domicile aux Grisons. «C’est du racisme». «Dans toute l’Engadine, il n’y a que des immigrés!», ajoute-t-il en s’échauffant. Pour lui, venir de l’extérieur représente un avantage parce qu’il n’a là ni lien ni passé politique.
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A Saint-Moritz, les étrangers devraient avoir voix au chapitre
C’est un maire qui a un piano à queue dans son bureau lambrissé de bois arolle et qui entonne des airs d’opéra pour l’apéro du Nouvel An. Et désormais, les assemblées communales ne se déroulent plus sous les lumières froides d’une halle polyvalente, mais dans la salle pompeuse d’un des premiers hôtels du lieu.
«Mon parti, ce sont les hôtes, le tourisme, mais aussi les jeunes habitants du village. J’évite systématiquement les réunions des partis communaux, même celles de l’alliance ‘Next Generation’Lien externe Lien externeà laquelle j’appartiens pourtant.»
La troisième génération d’hôteliers
Next Generation s’est constituée l’été dernier autour de ce ténor dynamique. Le nom se réfère à ses membres, la nouvelle génération des familles d’hôteliers du lieu.
Ils arrivent maintenant à la barre et veulent avoir leur mot à dire sur l’avenir de la destination de luxe. Claudia Aerni de l’hôtel CorvatschLien externe, par exemple. Ou Nicolas Hauser, de l’hôtel HauserLien externe. Tous deux ont été élus à l’automne au Conseil communal de 17 membres qui, avec l’assemblée communale, constitue le législatif de la commune.
La directrice de l’hôtel SteffaniLien externe, Daniela Märky, appartient également à cette génération. Elle dit ouvertement qu’elle a voté pour le ténor, comme l’ont fait de nombreuses et de nombreux jeunes habitants de Saint-Moritz et plus particulièrement ceux qui travaillent dans le tourisme. C’est quelqu’un qui prend les choses en main et il apporte les changements dont Saint-Moritz a besoin, dit-elle.
«Saint-Moritz a perdu le fil»
«Saint-Moritz avait négligé des questions essentielles et avait perdu le fil», affirme-t-elle. Et elle fait immédiatement une proposition: il est urgent de redonner vie au cœur du village – et de le fermer à la circulation.
La mondialisation apporte en outre de nouveaux défis. «Nous ne sommes plus seulement en concurrence avec Zermatt ou Gstaad. Nous devons nous mesurer à l’Île Maurice, New-York, la Toscane, dit la propriétaire d’hôtel. Les visiteurs potentiels sont plus mobiles et ils peuvent se décider plus spontanément grâce aux réservations en ligne.
«Nous vivons de nos hôtes»
Christian Jenny voit lui aussi ici un des principaux défis. «99% des citoyens de Saint-Moritz vivent du tourisme», dit-il. Il y a 150 ans, les visiteurs venaient dans la station pour deux ou trois mois. Il y a 50 ans, ils restaient encore deux ou trois semaines. «Aujourd’hui, ils y passent deux ou trois jours.»
Pour répondre à ces changements, il mise sur la collaboration et sur l’effervescence qu’on rencontre dans la station. «Avec 42 galeries, tu as tant de culture dans un si petit espace et tant d’hôtes illustres. Cela m’a toujours fasciné à Saint-Moritz», dit-il.
Cet article fait partie de #DearDemocracy, la plateforme de swissinfo.ch pour la démocratie directe. En plus de celles de la rédaction, elle accueille aussi des contributions d’auteurs extérieurs. Leurs positions ne correspondent pas forcément à celles de swissinfo.ch.
Mais, si la station veut évoluer, il faut aussi que ces hôtes illustres puissent y réaliser ce qu’ils souhaitent. C’est pourquoi Christian Jenny ne craint pas d’intervenir, même pour prendre le parti du plus fort s’il le juge nécessaire. Un habitant voulait par exemple empêcher par des recours le projet de musée d’un des héritiers du producteur de matériaux de construction Sika, ce mécène planifiant un bâtiment réunissant un musé du bob, un cinéma et une discothèque. Lien externe
Christian Jenny a personnellement rencontré l’opposant. «Tu ne peux tout de même pas décourager un passionné qui veut créer un lieu de rencontre pour la population avec des recours contre le permis de construire», dit-il. L’opposant a finalement retiré son veto.
Mais il n’arrive pas toujours à ses fins. Tyler Brûlé,l’entrepreneur canadien très tendance et fondateur du magazine MonocleLien externe, souhaite depuis longtemps déjà ouvrir un café à Saint-Moritz. Mais ce citoyen du monde s’est jusqu’à présent toujours heurté à la résistance des propriétaires immobiliers. Afin de résoudre à l’avenir de tels problèmes, Christian Jenny veut créer un organe qui devra agir comme promoteur et intermédiaire entre les propriétaires, ceux qui mettent à disposition des surfaces commerciales et ceux qui en cherchent.
«Mon avantage vient du fait que je ne cherche pas à faire une carrière politique. Je me considère bien plutôt comme celui qui débloque les freins.»
(Traduction de l’allemand: Olivier Hüther)
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