Le Bade-Wurtemberg veut devenir un bon élève de la participation citoyenne
Des quorums de participation moins élevés, de nouvelles directives sur la planification des grands projets, des cours sur la démocratisation dans les hautes écoles d’administration: ce sont quelques exemples de la manière dont le ministre-président du Bade-Wurtemberg Winfried Kretschmann veut imposer un changement de politique culturelle en matière de droits populaires.
«Nous voulons faire du Bade-WurtembergLien externe un modèle de participation démocratique»: c’est l’objectif déclaré des Verts, actuellement au pouvoir dans le Land allemand. Leur gouvernement de coalition compte aussi le SPD (parti socialiste).
Après près de 60 ans de domination démocrate-chrétienne dans le Land, le camp rose-vert, porté notamment par les protestations citoyennes contre le projet de nouvelle gare à Stuttgart, avait gagné les élections en 2011. Winfried Kretschmann est ainsi devenu le premier ministre-président écologiste d’un Land allemand.
Le nouvel élu s’est rapidement mis au travail pour regagner la confiance que les citoyens avaient perdue dans le monde politique. Il a élaboré un vaste programme de réformes démocratiques, qui est devenu une pièce essentielle du programme de gouvernement. Aujourd’hui, les sondages le créditent d’une très bonne cote de popularité. Sarah Händel, directrice de l’organisation «Mehr Demokratie» («davantage de démocratie»), le reconnaît. Son organisation s’engage pour le développement des droits populaires dans les Länder mais aussi sur le plan fédéral.
La bonne réputation du ministre-président l’avait précédé en Suisse, pays réputé «modèle» en matière de démocratie. Lors du dernier forum européen de Lucerne, le 27 avril dernier, il avait été l’un des orateurs les plus écoutés, aux côtés de la présidente de la Confédération Simonetta Sommaruga.
Le projet «Stuttgart 21» et ses conséquences
Jusqu’en 2011, le Bade-Wurtemberg a connu de très nombreuses manifestations, parfois réprimées par la police, de citoyens protestant contre un projet d’agrandissement de la gare à Stuttgart, le projet «Stuttgart 21», devisé à 2,5 milliards d’euros en 1995, mais à 6,6 milliards en l’état actuel de la planification.
Des dizaines de milliers de personnes demandaient le droit à donner leur avis sur le projet – ou son abandon pur et simple.
En 2011, les démocrates-chrétiens, qui étaient au pouvoir depuis près de 60 ans dans ce Land, ont été «punis» par les urnes. Un gouvernement rose-vert, dirigé par l’écologiste Winfried Kretschmann, a été porté au pouvoir.
Le nouveau gouvernement annonçait immédiatement un programme de réformes contenant de nouveaux droits de participation.
Une première votation populaire, en novembre 2011, a porté sur le financement du projet Stuttgart 21. La majorité des citoyens (58,9%) s’est prononcée pour la poursuite du financement par le Land. Les travaux ont commencé durant l’été 2014. L’ouverture est prévue en 2021.
Nouvelles lois
swissinfo.ch s’est rendu à Stuttgart pour s’enquérir, avec Gisela Erler, des premiers résultats de l’offensive démocratique du Bade-Wurtemberg. Elle dirige le nouvel «office pour la société civile et la participation citoyenne», une nouveauté en Allemagne. La responsable siège au gouvernement, où elle participe aux décisions. Sa fonction est à l’intersection entre plusieurs domaines et donc entre plusieurs ministères. «Grâce à cette fonction de coordination et de mise en commun des forces, il est possible de faire avancer les choses», souligne Gisela Erler.
Dans les faits, deux nouvelles lois devraient entrer en vigueur cette année encore. Elles prévoient de baisser le quorum (une certaine proportion des électeurs inscrits doivent voter pour que le vote soit valide) de 33% à 20% pour le Land et de 25% à 20% sur le plan local. La démocratie directe s’en trouvera considérablement simplifiée. Grâce à ce «grand progrès», il deviendra possible de mener des scrutins populaires de façon réaliste, explique Gisela Erler. Concernant les quorums, le Bade-Wurtemberg se trouve actuellement en queue de liste (quorums les plus élevés). Le changement le ferait avancer dans le premier tiers du classement des Länder.
En outre, l’âge minimal du droit de vote sur le plan communal est passé de 18 à 16 ans. Un nouveau droit a aussi été introduit sur le plan municipal: tout habitant d’une commune, y compris les non-électeurs, peuvent exiger qu’un conseiller municipal traite une question lors d’une séance publique.
Certains thèmes à exclure
La conseillère d’Etat nomme un deuxième volet de réforme, portant celui-là sur les mouvements citoyens. Avec de nouveaux projets d’infrastructures, «il faut réagir tôt, de façon contraignante et avec souplesse», énumère Gisela Erler. Il est selon elle très important d’intégrer les citoyens dès le début, et en continuité, dans les grands projets comme celui de la nouvelle gare de Stuttgart. Des directives ont été adoptées «pour une nouvelle culture de la planification».
«Cela signifie qu’il faut considérer les citoyens comme des partenaires égaux. Même si, ultérieurement, ils ne vont pas voter, les autorités doivent tenir compte de leur position et la considérer comme une sorte d’expertise juridique», explique Gisela Erler. Etant donné le principe de souplesse, la directive ne contient pas de schéma sur la forme que doit avoir la participation citoyenne. Mais tous les intérêts pertinents doivent être intégrés.
L’ouverture démocratique a toutefois des limites. Gisela Erler estime que certains dossiers ne peuvent pas être soumis à l’approbation des citoyens, parce qu’ils pourraient déclencher d’importants conflits de société. «En Allemagne, il faut exclure des votations populaires des thèmes tels que politique migratoire, sauvetage de l’euro, unité territoriale ou innovations dans le système de financement des crèches», affirme-t-elle. «Sinon, c’est la démocratie directe elle-même qui est en danger», ajoute-t-elle, faisant allusion à la Suisse.
L’importance des employés de l’Etat
Les administrations publiques sont un moteur important du développement démocratique, poursuit Gisela Erler. Mais aucun instrument systématique n’existait encore dans ce domaine. C’est pourquoi la nouvelle responsable a créé une obligation pour les hautes écoles en administration de proposer des programmes de formation et de formation continue sur la participation démocratique. «Nous ne sommes pas en train de réinventer la démocratie directe, mais nous créons un outil pour renforcer les compétences du personnel de l’Etat, qui pourra ensuite s’engager de façon décidée pour la participation citoyenne», explique Gisela Erler.
Autre objectif de Gisela Erler: améliorer l’engagement de la société civile dans le travail avec les réfugiés. Elle espère ainsi augmenter l’acceptation des citoyens du Bade-Wurtemberg et stopper les courants xénophobes. «Nous sommes sur la bonne voie, conclut-elle. Nous sommes très heureux que les citoyennes et les citoyens veuillent s’engager dans les affaires publiques!»
«La bonne personne»
La plupart des mouvements citoyens saluent le choix de Gisela Erler à la tête du nouvel office. «Avec son authenticité et sa crédibilité, elle est la bonne personne pour restaurer la confiance dans la politique», note ainsi Sarah Händel, du mouvement «Davantage de démocratie». Selon elle, la méthode choisie – considérer l’ensemble des pistes possibles pour agir à long terme – est tout à fait adéquate. Les directives pour une nouvelle culture de planification représentent aussi une nouveauté absolue en Allemagne.
Sarah Händel salue particulièrement la priorité donnée aux cours d’administration publique. «Cela renforce la prise de conscience pour la nécessité de l’implication citoyenne. Les fonctionnaires connaissent les outils à disposition et savent comment les utiliser. Il en résulte une approche totalement différente.»
L’observatrice soutient également les échanges institués avec les milieux scientifiques, notamment le Centre de démocratie directe d’AarauLien externe, qui est devenu un partenaire important du Bade-Wurtemberg. «Il faut encore et toujours démontrer que la participation des citoyens n’est pas seulement un facteur de coûts et de travail supplémentaire, mais qu’elle permet aussi de prendre des décisions plus proches des citoyens, mieux pensées et plus durables.»
Sarah Händel a toutefois aussi des critiques. «Après quatre années de travail, les nouvelles lois ne sont pas encore en vigueur», constate-t-elle.
Les constitutions – du Land et des communes – sont les bases de la démocratisation. Une démocratie directe aménagée de façon équitable permet aux citoyens de devenir des acteurs pris au sérieux par les autorités. C’est la condition pour une ouverture ultérieure à d’autres formes de participation citoyenne et pour des compromis. Si elle est consciente que les retards sont aussi imputables à l’opposition menée par les démocrates-chrétiens, Sarah Händel n’en estime pas moins qu’«il est quand même décevant de voir à quelle vitesse le dossier de la participation citoyenne a perdu de son caractère prioritaire…»
(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)
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