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«L’UDC n’arrive pas à traduire ses succès électoraux en succès parlementaires»

Nationalratsaal im Bundeshaus mit den Volksvertretern
Plus de procédures d’élimination des divergences, plus de conférences de conciliation: la grande Chambre du Parlement (Conseil national) est de plus en plus souvent en désaccord avec la petite (Conseil des Etats). © KEYSTONE / PETER KLAUNZER


Avec sa ligne dure, l’UDC (droite conservatrice) gagne aux élections. Mais au Parlement, le parti accumule les défaites. A l’inverse, les démocrates-chrétiens (PDC) perdent régulièrement dans les urnes, mais gagnent dans l’hémicycle. Directeur de la première analyse scientifique des Chambres fédérales depuis 25 ans, le politologue Adrian Vatter décortique ces mécanismes, et quelques autres.

De jeunes chercheurs de l’Institut bernois de sciences politiques ont réuni leurs travaux dans un livreLien externe: «Das Parlament in der Schweiz. Macht und Ohnmacht der Volksvertretung» (disponible en allemand uniquement). Directeur de l’Institut, titulaire de la chaire de politique suisse de l’Université de Berne, Adrian Vatter a dirigé cette étude à grande échelle, la première de son genre depuis 25 ans. Interview.

swissinfo.ch: Quels changement importants avez-vous pu observer dans le fonctionnement du Parlement?

Adrian Vatter: On a davantage de conflits à l’intérieur de chaque Chambre. On l’observe encore dans la législature en cours. Les conflits entre le Conseil national (Chambre du peuple) et le Conseil des Etats (Chambre des cantons) ont également augmenté, cela se remarque au nombre des procédures d’élimination des divergences et des conférences de conciliation. Les conflits entre Parlement et Gouvernement se sont également intensifiés, ce qui se remarque au nombre de projets gouvernementaux refusés par les Chambres.

Adrian Vatter
Adrian Vatter voit le centre menacé dans son important rôle de charnière. zvg

Sur les conflits à l’intérieur du Parlement, vous constatez d’une part que l’on trouve moins de solutions de consensus, et de l’autre que les lignes de conflit traditionnelles s’estompent. N’est-ce pas contradictoire?

La ligne de conflit dominante reste celle qui sépare le bloc bourgeois de la gauche. Mais son importance diminue. A côté, il y a le conflit entre l’UDC et le reste du Parlement, typiquement sur les thèmes de la migration et de la politique étrangère.

En même temps, les quatre partis qui sont représentés au Gouvernement sont moins soudés. Les conflits à l’intérieur de ce quatuor se sont multipliés.

Depuis des années, l’UDC est le premier parti au Conseil national. Elle a aussi deux représentants au Gouvernement, et pourtant, elle se considère comme un parti d’opposition. Comment se manifeste ce double rôle au Parlement?

Dans une certaine mesure, l’UDC est la contrepartie du PDC. Elle accumule les succès électoraux, parce qu’elle reste très cohérente avec sa ligne. Mais au Parlement, cette rigidité des positions en fait un parti isolé, sans partenaires de coalition. C’est pourquoi elle encaisse beaucoup de défaites au Conseil national. Elle n’arrive pas à traduire ses succès électoraux en succès parlementaires.

Pour le PDC, c’est juste le contraire: c’est un parti très disposé au consensus, qui dilue facilement son profil. Mais cela ne le rend pas très attractif pour l’électorat, et c’est pourquoi il perd régulièrement aux élections. 

«Le PDC est un parti très disposé au consensus, qui dilue facilement son profil. Mais cela ne le rend pas très attractif pour l’électorat»

Dans une certaine mesure, vous avez trouvé la formule du succès pour les propositions au Parlement. A quoi ressemble-t-elle?

Elle est très simple, et se compose de trois éléments: premièrement, le projet doit venir du centre, soit du groupe PDC ou PBD (Parti bourgeois démocratique), car tous deux ont des partenaires potentiels pour former une majorité à droite comme à gauche. Deuxièmement, le projet doit avoir le soutien d’une commission préparatoire, et troisièmement, dans l’idéal, il doit être traité en premier au Conseil des Etats. La petite Chambre, en effet, est particulièrement ouverte aux propositions des commissions.

Les projets qui remplissent ces trois critères ont des chances de succès sensiblement plus élevées que ceux émanant des partis positionnés clairement à droite ou à gauche

Ce rôle de «charnière» que joue le PDC serait-il son élixir de vie?

Oui. Mais justement, cela lui coûte aussi des voix, parce que vis-à-vis de son électorat, le PDC ne peut jamais paraître aussi limpide que l’UDC à droite ou le Parti socialiste (PS) à gauche. Mon grand souci, c’est que le PDC perd à chaque élection un morceau de ce rôle de charnière, apte à réunir des coalitions. Et à la fin, on risque de se retrouver sans parti du centre pour mener cette politique constructive de compromis. 

«A la fin, on risque de se retrouver sans parti du centre pour mener cette politique constructive de compromis»   

Le Parlement est un lien entre le peuple et le Gouvernement. Comment cette relation est-elle vue du côté du peuple?

Le Parlement assume effectivement cette fonction de liaison. Nous constatons qu’avec les résultats des élections, le Parlement s’est effectivement rapproché des citoyens. Il y a davantage de représentants de l’UDC, qui font du pouvoir du peuple une valeur suprême. Les différences entre peuple et Parlement se sont atténuées, au contraire des différences avec le Gouvernement.

La vox populi dit volontiers que «de toute façon, à Berne ils font ce qu’ils veulent». C’est donc faux?

Le Parlement essaie déjà de jouer un rôle indépendant et actif. Le Conseil des Etats en particulier, est influent et puissant. Mais le Parlement sait très bien que c’est le peuple qui a le dernier mot dans les urnes. C’est pourquoi il essaie de sentir l’état d’esprit de la population dès la préparation des projets de loi.

En fin de compte, devons-nous nous inquiéter au sujet de notre Parlement, ou peut-on avoir confiance?

Ce qui m’inquiète, c’est de voir que la politique suisse est devenue plus polarisée et conflictuelle ces derniers temps, avec des affrontements plus vifs. Mais en même temps, le Parlement réussit encore à avoir de l’empathie pour l’humeur des citoyens. Notre constat est que les différences s’estomperont à terme, et cela me rend optimiste.

(Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez)

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