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Italie: comment le fléau du quorum empoisonne la démocratie

Rédaction Swissinfo

Ces vingt dernières années, les Italiens ont pu se déterminer directement sur 31 lois nationales. Mais dans 27 cas - y compris celui des forages pétroliers en mer ce week-end - leur vote a été simplement invalidé par la disposition qui tue: participation insuffisante. Il est temps d’en finir avec ce fléau.

Ce dimanche était une journée magnifique pour un résident d’Europe du Nord assoiffé de soleil. Verte et en fleurs, Rome semblait tendre les bras aux passants avec son charme romantique. Les gens se ruaient sur les stands de glace qui viennent d’ouvrir et qui semblent pousser comme champignons après la pluie. Le ciel bleu et les températures à 28° en faisaient juste la journée parfaite… enfin presque parfaite, jusqu’à ce que la nouvelle tombe en soirée.

Car ce n’était pas pour le soleil ni pour les délicieuses «gelati» que j’avais fait le voyage. J’étais ici pour observer le 31e référendum populaire sur une loi nationale approuvée par le parlement italien en 20 ans.

Au cours des deux dernières décennies, l’Italie a fait de nombreux efforts pour devenir un pays plus moderne, stable et efficace. Un pays qui ne se contente pas de contempler sa glorieuse histoire – comme la Grèce -, mais qui a aussi le potentiel d’innover et d’influencer tout un continent avec des grandes idées et des solutions prometteuses. 

Bruno Kaufmann est président de la Democracy Council and Election Commission à Falun (Suède) ainsi que de l’Institut européen sur l’initiative et le référendum. Il est aussi co-président du Global Forum on Modern Direct Democracy et correspondant en Europe du Nord pour la Radio-Télévision Suisse alémanique. Il est rédacteur en chef de people2power, une plateforme sur la démocratie directe créée et hébergée par swissinfo.ch. Zvg

Berlusconi a inauguré le concept…

Dès le départ, ce référendum, portant sur l’avenir des forages pétroliers et gaziers le long des côtes sensibles de la Méditerranée, offrait de grandes opportunités. Dans les questions environnementales et énergétiques, l’Italie a en effet adopté une position progressiste, même au niveau mondial, en refusant le nucléaire pour remplacer les énergies fossiles.

En plus de cela, les Italiens ont voté en 2011 contre un vaste mouvement visant à privatiser les ressources publiques en eau du pays. Ce référendum a non seulement établi l’accès à l’eau comme un droit, mais il a aussi marqué le début de la fin du régime hautement problématique du «show man» milliardaire Silvio Berlusconi.

C’est ce Premier ministre de droite de 80 ans qui a réussi à faire du «quorum de participation» inscrit dans la constitution italienne une arme efficace contre le pouvoir du peuple. Berlusconi a usé de tous ses pouvoirs de leader politique et de propriétaire des principales chaînes de télévision privées pour décourager les Italiens de participer aux votations référendaires. Et dans la foulée, il a convaincu les gens d’invalider l’énorme exercice électoral de plus de 50 millions de citoyens.

…et Renzi a poursuivi le combat contre le peuple

L’article 75Lien externe de la Constitution italienne prévoit qu’une loi approuvée par les deux chambres du parlement peut être soumise au vote si un minimum de 500’000 citoyens ou de 5 conseils de régions en font la demande. Mais, que ce soit le «oui» ou le «non» qui l’emporte, le vote populaire n’est valide que si au moins la moitié des citoyens inscrits sur les listes électorales y ont participé. Ce qui pourrait de prime abord être vu comme une exigence raisonnable pour arriver à une bonne participation est en fait une menace pour la démocratie – et pas seulement en Italie, mais partout où des règles similaires sont en vigueur.

Point de vue

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La dernière expérience en Italie ce 17 avril, quand plus de 50 millions de citoyens, dans le pays (47 millions) et à l’étranger (3 millions) étaient appelés à décider de l’avenir des forages pétroliers, est un nouvel exemple de pourquoi et comment cette règle du quorum est devenue le fléau de la démocratie dans le «Bel Paese».

Dès que le Premier ministre (de centre-gauche) Matteo Renzi a compris qu’on ne pourrait pas éviter un vote populaire sur son plan de poursuivre les forages pétroliers, il a pris une série de mesures pour faire baisser la participation.

Premièrement, le vote a été annoncé le plus tard possible, agendé sur un seul jour (au lieu des deux qui sont la pratique usuelle), et on n’a prévu ni vote anticipé ni vote par correspondance. Deuxièmement, ce référendum a eu lieu hors des dates des autres votes populaires, qui sont prévus en juin et en octobre de cette année. Troisièmement, et c’est le point le plus controversé, le Premier ministre et certains (pas tous) de ses supporters ont ouvertement conseillé aux Italiens de ne pas respecter le processus même du référendum et de simplement s’abstenir de participer. Bien qu’interdite par la loi, cette pratique n’est pas nouvelle: les prédécesseurs de Renzi y avaient également eu recours. Ce mode de faire équivaut en pratique à compter les abstentions comme des «non»

Napoléon l’avait fait en Suisse – en 1802

D’ailleurs, ce genre de méthodes pas très nettes sont courantes dans l’histoire et chez de nombreux régimes pas vraiment démocratiques dans le monde. Par exemple, Napoléon Bonaparte avait essayé, en 1802 d’unifier la Suisse par un vote populaire, dans lequel les abstentionnistes avaient été simplement comptés comme ayant voté «oui» à l’idée d’un Etat unitaire. Mais cela n’avait pas marché. Et cela ne devrait marcher dans aucun pays.

En tant qu’observateur de référendums et d’élections autour du monde, j’ai pu voir comment ces quorums de participation ont transformé la Biélorussie d’un espoir démocratique au début des années 90 en une des dernières dictatures d’Europe. Et j’ai constaté comment une règle similaire à celle de l’Italie a retardé le progrès démocratique à Taiwan au début des années 2010. Il est plutôt triste de voir comment une démocratie mûre comme l’Italie peut tomber dans le même piège, de manière presque masochiste.

Et pour finir, le pays a investi plus de 300 millions d’euros dans un exercice électoral sérieux qui en même temps se voyait ouvertement attaqué et miné par ses principaux chefs de file politiques. Près de 20 millions d’Italiens ont dû se rendre aux urnes en sachant que leur vote avait toutes les chances d’être annulé au final. Il est temps de se réveiller, «Bella Italia», et de simplement abolir ce quorum qui remet en question ta démocratie potentiellement très vivante.

(Traduction de l’anglais: Marc-André Miserez)

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