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Pouvoir du peuple à Glaris: folklore ou vraie démocratie?

A la Landsgemeinde, on vote à main levée. Et c'est le président qui estime le score. Sans jamais se tromper, semble-t-il. Keystone

En Suisse, la démocratie directe connaît de nombreuses variantes régionales. La forme s’approchant le plus de l’idéal de souveraineté du peuple se trouve dans le canton de Glaris.

Les Grecs anciens se réunissaient sur l’agora, la place centrale de la ville, pour prendre leurs décisions politiques. Si en Grèce, de telles pratiques font maintenant partie de l’histoire, elles restent tout à fait actuelles dans certains cantons suisses, comme celui de GlarisLien externe. Une assemblée appelée «LandsgemeindeLien externe» y réunit tous les citoyens pour une votation à main levée. Reportage de la rédaction russe de swissinfo.ch.

Le temps n’était pas clément, il pleuvait depuis le matin. Mais dans le canton de Glaris, certaines choses priment sur la météo, comme les traditions politiques d’auto-gouvernance. La Landsgemeinde, ou «communauté rurale», qui réunit chaque année tous les citoyens sur la place principale du canton en est la manifestation la plus remarquable. La date de l’événement n’a pas changé depuis des décennies voire des siècles. Elle a lieu le premier dimanche de mai, par tous les temps.

Fridolin et Glaris

Parmi les drapeaux des cantons suisses, celui de Glaris est le seul à représenter une personne. Il s’agit en l’occurrence de Saint Fridolin, un moine originaire d’une riche famille de notables irlandais ou écossais. Son année de naissance est inconnue, mais son décès est survenu en 538 dans le territoire actuel de la Suisse.

Prédicateur, Fridolin a d’abord vécu et répandu la foi chrétienne dans la ville de Poitiers, en France. Après un passage à Strasbourg, il s’est mis en route vers la province de Rhétie – l’actuel canton des Grisons – pour rencontrer l’évêque de Coire. De là, il s’est occupé de christianiser la région entre les Grisons et Bâle, au cœur de laquelle se situe l’actuel canton de Glaris. Ses reliques se trouvent dans la cathédrale de Saint-Etienne à Vienne. 

Le canton de Glaris se trouve à une heure de voiture au sud-est de Zurich. Cependant, autant ces cantons sont proches géographiquement, autant ils diffèrent de l’intérieur comme de l’extérieur.

D’un côté, Zurich représente l’immense métropole du pays – du moins d’après les standards helvétiques – la capitale financière et des affaires de la Suisse, voire même d’Europe; de l’autre, Glaris est un petit canton rural, dont la population ne dépasse pas 40’000 habitants, où tout le monde connaît tout le monde et où le respect pour les traditions est particulièrement fort.

Romantisme et politique

Les premiers documents attestant des activités de la Landsgemeinde en Suisse remontent vers 1403. A la fin du 16e siècle, la tradition de réunir les citoyens sur la place centrale pour prendre des décisions existait dans les cantons d’Appenzell Rhodes Intérieures, Appenzell Rhodes Extérieures, Schwyz, Obwald, Nidwald, Zoug et Glaris. 

Au 18e siècle, cette pratique représentait l’incarnation de la liberté civile pour les observateurs étrangers. Elle s’inscrivait parfaitement dans le romantisme politique en vigueur à l’époque et sa recherche du «véritable esprit du peuple», par opposition au pouvoir monarchique. 

Comme elle constituait cependant une forme objectivement archaïque d’auto-gouvernance, la Landsgemeinde a disparu petit à petit des usages politiques suisses. Ces 200 dernières années, elle perdure uniquement dans les cantons de Glaris et d’Appenzell Rhodes-Intérieures.

En d’autres termes, la démocratie directe helvétique n’est pas une institution figée, mais subit elle aussi des processus de transformation et de modernisation. Actuellement le référendum et l’initiative populaire en sont les principales manifestations.

Le fait que Glaris ait conservé jusqu’à présent les anciennes formes de démocratie en y intégrant avec succès certaines nouveautés n’en est que plus précieux. Cela concerne par exemple le décompte des voix. Actuellement, la majorité est déterminée visuellement, les citoyens faisant confiance dans cet exercice au président qui mène la réunion. Celui-ci est capable d’estimer en une seconde le nombre de mains levées pour déterminer la décision des citoyens.

Mais des évolutions sont en cours. Dans le futur, on devrait introduire un système de comptage s’appuyant sur de nouvelles technologies avec le concours de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich.

Une tradition sérieuse

A propos, la Landsgemeinde est-elle à rattacher au folklore ou représente-t-elle un instrument politique important pour la souveraineté du peuple? Après un moment de réflexion, les Glaronnais répondent qu’à vrai dire, dans le canton, personne ne se pose la question. Cette tradition constitue une partie intégrante de la mentalité civile, et un important symbole. En outre, tant par le passé qu’au cours des assemblées plus récentes, ce sont toujours des questions sérieuses qui sont examinées. 

Des politiciens au look inhabituel, sous leurs protections contre la pluie. C’est le gouvernement du canton voisin d’Appenzell, venu rendre visite à la Landsgemeinde de Glaris. Keystone

L’avenir de la Banque cantonale de Glaris, le «portemonnaie» commun de la région, a été par exemple au cœur des discussions de l’assemblée du mois dernier. Il s’agissait de déterminer qui doit prendre les décisions stratégiques de l’établissement. Les débats ont duré plus d’une heure, pendant laquelle les citoyens abrités sous une couverture de parapluies multicolores ont écouté attentivement les différents arguments. Le gouvernement cantonal demandait au peuple de lui octroyer de plus grandes compétences pour l’administration de la banque, dans le but de dépolitiser l’établissement et de le garder à l’abri des disputes partisanes caractéristiques du parlement, jusque-là en charge de la question. Les citoyens réunis sur la place ont donné leur accord. 

Les électeurs ont également décidé d’augmenter de 45 à 65% la part maximale des bénéfices à verser comme dividendes. 

Soldats en tenue de combat

L’assemblée s’est déroulée en présence d’une garde d’honneur de six soldats de l’armée suisse en tenue de combat. On peut se demander à quoi servent des militaires lors d’une telle «fête de la démocratie»? La réponse n’est pas simple. La Suisse est en effet le pays des paradoxes. L’un d’entre eux est le suivant: en terres helvétiques, l’arme n’est pas le symbole du militarisme, mais de l’héroïsme civil. Ensuite, on peut citer la fameuse thèse selon laquelle «toute démocratie directe ne vaut quelque chose que lorsqu’elle est en mesure de se défendre». 

(Adaptation du russe, Martine Brocard)

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