Le peuple suisse vole au secours de ses banques
Les citoyens helvétiques ne sont pas prêts à changer radicalement de système monétaire. Ils ont balayé dimanche en votation populaire une initiative qui voulait empêcher les banques commerciales de créer de la monnaie.
Peu enclins à faire la révolution dans les urnes et à se lancer dans des expérimentations économiques hasardeuses, les Helvètes ont rejeté à plus de trois-quarts des voix l’initiative «Pour une monnaie à l’abri des crises: émission monétaire uniquement par la Banque nationale! (Monnaie pleineLien externe)».
Tous les cantons, sans exception, ont enterré le projet de modification constitutionnelle. C’est en Suisse centrale que le rejet de l’initiative est le plus marqué: Obwald, Nidwald et Uri ont dit «non» à plus de 80%. A l’inverse, Genève est le canton où les initiants ont rencontré l’écho le plus favorable (40% de «oui»).
Reste qu’aucun écart significatif n’est perceptible entre les différentes régions linguistiques du pays ainsi qu’entre les grands centres urbains et les cantons plus ruraux, comme c’est parfois le cas lors de votations fédérales. Avec un taux de participation de 34%, le scrutin de dimanche – on votait également sur la révision de la Loi sur les jeux d’argent – n’a pas mobilisé les foules.
Un système inédit
Lancé par un groupe d’économistes, de spécialistes de la finance et d’entrepreneurs, le texte était fermement combattu par le gouvernement, le parlement et tous les partis politiques représentés aux Chambres fédérales.
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Monnaie pleine: le bon remède contre les crises financières?
Les promoteurs de l’initiative voulaient créer un système monétaire plus sûr, à l’abri de la spéculation et des crises financières. Selon leur vision, les banques commerciales ne devraient prêter que de l’argent réellement mis en circulation par la Banque nationale suisse (BNS) et cesser d’accorder des crédits non couverts par leurs fonds propres.
En soulignant que le système proposé n’existe dans aucun autre pays au monde, les opposants ont quant à eux martelé que pour la Suisse, cette réforme radicale et sans précédent aurait constitué une expérience à haut risque, qui pourrait coûter très cher. Selon le gouvernement et le parlement, cela aurait eu pour effet de concentrer un pouvoir excessif entre les mains de la BNS, l’exposant à de plus fortes pressions politiques.
Il y aurait en outre eu un risque de perte de crédibilité de la politique monétaire suisse et d’une limitation des activités des banques, qui aurait affaibli l’économie du pays. Des arguments qui semblent avoir largement fait mouche auprès de l’électorat.
Succès malgré tout
Malgré le net échec de l’initiative, le coordinateur de la campagne en Suisse romande Lien externeJean-Marc Heim, interrogé par l’ats, n’a pas hésité à parler d’un succès, car le texte a «réveillé une conscience au sein de la population». Selon lui, une part importante des citoyens se rend compte que la création de monnaie par les banques privées pose un problème.
La rejet de l’initiative n’est pas «une acceptation de la privatisation du franc suisse ni de la situation actuelle», a estimé Jean-Marc Heim. «Les problèmes ne sont pas résolus, la prochaine crise financière va arriver», a-t-il martelé. Les initiants exigent donc des mesures concrètes de la part du monde politique pour garantir la sécurité du système financier.
Le résultat clair a montré que la population ne voulait pas prendre de risque, a de son côté indiqué le député vaudois Olivier Feller, co-président du comité contre l’initiativeLien externe. «Le peuple n’a pas voulu d’un laboratoire d’expérimentation en matière de politique monétaire et de cette solution hasardeuse». Pour le libéral-radical, il n’y a pas d’urgence à agir. De son point de vue, les mesures prises après la crise de 2008 pour accroître la surveillance du système bancaire sont suffisantes.
Intérêt à l’étranger
Comme ce fut déjà le cas il y a deux ans lors de la campagne sur l’introduction d’un revenu de base inconditionnel, cette votation a fait – dans une moindre mesure toutefois – l’objet d’une attention particulière dans les médias étrangers. Samedi, le site Express BusinessLien externe titrait ainsi: «La Suisse ne sera peut-être plus le paradis des banques dimanche soir».
«Et si on interdisait aux banques de créer de la monnaie?», lui faisait écho le quotidien belge Le SoirLien externe. Quant au journal Le Monde, il a donné peu avant le vote la parole à l’économiste Jean-Michel Servet, qui a défendu dans une tribuneLien externe l’objectif d’une suppression de la création monétaire par les banques afin de «réduire l’hyperdéveloppement d’une sphère financière qui finance de moins en moins l’économie dite ‘réelle’».
«Cette initiative se situe dans la lignée des propositions de type ‘100% monnaie’ dont les origines remontent au moins aux années 30 et auxquelles sont associés des économistes célèbres tels que Irving Fisher, Milton Friedman ou encore Maurice Allais», a quant à lui souligné Bruno Amable, professeur à l’Université de Genève, dans une chroniqueLien externe publiée dans le quotidien Libération.
«La Suisse ne veut pas d’expérimentation monétaire», commente la Neue Zürcher ZeitungLien externe après le refus par le peuple suisse de l’initiative dite «Monnaie pleine». La raison de ce rejet est simple, selon le quotidien zurichois: «Les initiants n’ont pas été capables d’expliquer quel problème ils voulaient résoudre avec leur demande radicale».
Aux yeux du TempsLien externe également, les Suisses ont refusé dimanche de jouer aux «apprentis sorciers». Cette votation met en exergue les limites de la démocratie directe, estime le quotidien francophone, en évoquant une initiative qui est «sans doute la plus absconse de l’histoire». «’Monnaie pleine’ apporte la preuve qu’un sujet trop complexe n’est pas en mesure de déclencher un véritable débat populaire. Et c’est encore plus difficile si l’on ne dispose pas d’un soutien politique minimal.»
De son côté, le Tages AnzeigerLien externe relève que les promoteurs de l’initiative n’ont pas réussi à convaincre les citoyens sur l’objectif central du texte, à savoir une meilleure stabilité du système financier. «En fin de compte, il n’était pas clair comment la mise en œuvre de l’initiative aurait pu protéger le système financier de développements qui ont par exemple conduit à la crise financière de 2008». Une acceptation de l’initiative aurait signifié un changement de système important et aurait entraîné de nombreux nouveaux risques, avance le quotidien zurichois.
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