La démocratie directe a aussi son manuel de l’utilisateur
Dans un pays où l’on vote plusieurs fois par an, le citoyen suisse est parfois confronté à des thèmes complexes. Pour y voir plus clair, le gouvernement lui fait parvenir une brochure présentant les arguments en faveur et contre un objet en votation. Si cette forme de communication n’est pas exempte de critiques, ses défenseurs la jugent indispensable à l’exercice de la démocratie directe.
Les «Explications du Conseil fédéral» sont envoyées au domicile du citoyen trois semaines avant un scrutin. Il s’agit d’une procédure normale prévue par la loi et qui se répète avant chaque votation fédérale.
Cette publication – qui représente l’un des plus gros tirages du pays – est produite par l’administration fédérale, afin de présenter aux citoyens les questions liées à un référendum ou à une initiative dans un langage facile d’accès. «Nous souhaitons que n’importe qui puisse comprendre le thème, même sans connaître le sujet», déclare Thomas Abegglen, qui a été coordinateur de la brochure à la Chancellerie fédérale pendant plus de dix ans.
Document officiel
Cette brochure explicative a la taille d’une feuille A4 pliée en deux. La couverture est rouge et rappelle un passeport suisse avec son texte en caractères blancs et les armoiries de la Confédération dans la partie inférieure. «C’est pour indiquer qu’il s’agit d’un document officiel», explique Thomas Abegglen.
La quantité de pages peut varier en fonction du nombre d’objets soumis au peuple le jour des votations, mais la forme est immuable. Pour chaque objet, on trouve d’abord la question soumise au peuple accompagnée de la recommandation de vote du gouvernement et du parlement, puis l’essentiel en bref, une explication plus détaillée, le texte soumis au vote, les arguments de la partie adverse et les arguments du Conseil fédéral.
Ce formalisme s’explique par des exigences légales. «Le gouvernement a l’obligation constitutionnelle de donner aux électeurs son opinion et ainsi que des explications sur l’objet en question», déclare l’ancien coordinateur, qui fut aussi journaliste politique et correspondant parlementaire avant d’entrer à la Chancellerie fédérale. Il souligne que les règles rigides appliquées lors de l’élaboration de la brochure empêchent une manipulation de l’opinion. «La brochure présente non seulement le point de vue du gouvernement, mais aussi des comités d’initiative ou référendaires qui ont par ailleurs toute liberté pour communiquer leurs positions sous d’autres formes, comme avec des affiches ou dans des campagnes de rue», ajoute-t-il.
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Courte introduction au système politique suisse
Ce travail d’information a lieu depuis des décennies. La première brochure fut produite en 1977. De nos jours, l’électeur ne peut guère s’en passer. Selon des études d’opinion réalisées par l’institut Vox, le taux d’attention est de 90% pour les thèmes complexes et encore de 60% pour des thèmes largement discutés.
Effort de neutralité
Les thèmes soumis au vote sont parfois hautement polémiques, comme l’interdiction de construire des minarets, en 2009. Certes, la plupart des thèmes ne sont pas aussi sensibles, mais l’effort de neutralité est le même, quel que soit le sujet. «De nombreux organismes de l’administration fédérale sont impliqués dans ce processus complexe de réalisation», dit Thomas Abegglen.
Le travail débute six mois avant la date du vote. Lors d’une première étape, des représentants du ministère concerné par le sujet sont invités à rédiger des projets de texte. Ces propositions sont ensuite discutées lors de trois réunions auxquelles participent des représentants du gouvernement, des spécialistes en communication des ministères, de la Chancellerie fédérale et également des services de traduction.
Le défi consiste à répondre de manière claire et succincte à toutes les questions que les citoyens pourraient se poser en relation avec le thème, indépendamment de leur niveau de formation ou de connaissances. «Lors de ces réunions, nous jouons souvent le rôle du citoyen en questionnant les spécialistes et en tentant de trouver un langage qui soit le plus clair possible», explique Thomas Abegglen.
Une grande attention est également portée à l’exactitude des informations qui seront publiées. «Tout, y compris les chiffres et les graphiques, doit être vérifié et confirmé», déclare l’ancien coordinateur. La version finale est apportée directement au ministre responsable, qui peut exiger des modifications dans la formulation du texte. La version définitive est ensuite approuvée par l’ensemble du Conseil fédéral.
Coût peu élevé par unité
Après approbation, les textes sont envoyés à l’impression. Selon les données officielles de la Chancellerie fédérale, le coût de production de 5,4 millions de brochures est de 507’000 francs, ce qui correspond à 9,4 centimes par unité.
Concernant le coût environnemental – papier, transport et recyclage – et la possibilité de renoncer à l’impression de la brochure, l’ancien responsable met en avant les questions légales. «Ce n’est pas en discussion, car la brochure est déjà proposée sous forme électronique. Ceci dit, la loi nous oblige à offrir cet instrument à chaque citoyen, même à celui qui ne possède pas d’ordinateur à la maison ou qui refuse de forger son opinion politique devant un écran», affirme-t-il.
Ceux qui ont une déficience physique ont aussi accès à l’information. La version électronique de la brochure est disponible sous une forme adaptée. En outre, des initiatives privées offrent du matériel d’information additionnel basé sur le contenu de la brochure. «Les brochures sont lues au micro et enregistrées pour être ensuite distribuées aux aveugles. Il existe aussi des textes publiés en grands caractères, ce qui permet une lecture plus facile», indique Thomas Abegglen.
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On vote !
A l’ère d’Internet, les autorités discutent des manières de moderniser le langage des brochures, mais elles buttent sur les barrières légales. «Il existe des discussions dans ce sens, mais la loi ne nous donne pas beaucoup de marge de manœuvre: elle prévoit la publication de ces recommandations sous une forme bien précise», rappelle l’ex-responsable. Mais Thomas Abegglen n’exclut pas le recours à la technologie sur le site de la brochure: «Nous avons déjà commencé à inclure des vidéos, des graphiques simples ou des textes additionnels pour des publics spécifiques comme les jeunes.»
Quand même des erreurs
Le grand effort déployé pour informer les citoyens n’est cependant pas exempt d’erreurs. En 2011, les juges du Tribunal fédéral ont critiqué la brochure consacrée au vote sur la réforme fiscale des entreprises II, la jugeant «incomplète» et «erronée». En 2013, la brochure a attribué aux entreprises pharmaceutiques une position qu’elles n’avaient pas dans le débat sur la révision de la Loi sur les épidémies. En 2014, le texte de l’initiative «Ecopop», visant à limiter l’immigration, a été mal traduit en français.
Dans tous ces cas, la Chancellerie fédérale corrige immédiatement les textes, même s’il n’est pas possible de réimprimer les brochures. «Dans ce cas, nous publions un communiqué public et nous procédons aux corrections dans la version en ligne», dit Thomas Abegglen.
Quant à la critique portant sur une influence extérieure lors de la rédaction des textes, l’ancien coordinateur réfute tout soupçon. «Nous savons que certains comités ont embauché des entreprises de relations publiques, mais j’exclus toute influence extérieure pour tout ce qui est de notre responsabilité», affirme Thomas Abegglen, pour qui la brochure est unique. «Je ne connais aucun exemple dans le monde d’un travail similaire pour informer l’électeur.»
(Traduction du portugais: Olivier Pauchard)
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