Un village part et personne ne s’offusque
Depuis plus de 200 ans, le petit village de Clavaleyres est une enclave bernoise entourée des cantons de Fribourg et de Vaud. Il veut désormais rejoindre le canton de Fribourg. Ce sera un divorce à l’amiable.
«Mairie de Clavaleyres», peut-on lire en grand sur la façade. Au-dessus, on distingue les armoiries du village et celles du canton de Berne. L’administration communale n’a toutefois plus besoin de beaucoup d’espace: elle n’occupe qu’une pièce sous le toit. Si tout se passe bien, elle libérera aussi bientôt celle-ci. Mais Jürg Truog, probablement le dernier maire de Clavaleyres, reçoit encore les visiteurs dans ce lieu. «J’ai fait face à l’assemblée pour demander si je pouvais prendre la fusion en main.» C’est le souvenir qu’il garde du début de son plus grand projet politique, il y a huit ans.
Pas de magasin, pas d’école, pas de poste
À partir de début 2022 probablement, Clavaleyres ne sera plus une commune indépendante et ne fera plus partie du canton de Berne, mais sera intégrée dans la commune fribourgeoise de Morat. La présence d’un village et de cinq kilomètres de route sinueuse entre Clavaleyres et la petite ville au bord du lac ne semble pas poser problème.
50 personnes vivent à Clavaleyres. Ici, la plupart des fermes sont encore des fermes; une seule d’entre elles a été transformée en immeuble d’habitation. Si l’autoroute est à proximité, il n’y a pas d’accès direct à celle-ci. Clavaleyres n’a ni magasin, ni école, ni bureau de poste. Ceux qui veulent se marier à l’état civil doivent se rendre à Berne. En voiture, il faut compter environ une demi-heure pour atteindre la capitale. Et il n’y a pas d’alternative, puisqu’il n’y a pas de transports publics à Clavaleyres. «Les enfants se déplacent à vélo. Sinon, tout le monde a une voiture. Ça a toujours été comme cela», explique le maire du village Jürg Truog. Clavaleyres veut grandir, mais seulement très lentement et prudemment, ajoute-t-il. Pour lui, une ligne de bus ne manque à personne.
«Ils n’aiment pas parler français»
En se promenant dans le centre du village, Jürg Truog rencontre le facteur. «Bonjour, comment allez-vous?», lui crie le maire en français. Le facteur vient du canton de Vaud. Les pompiers sont basés à Morat, dans le canton de Fribourg, alors les enfants de l’école primaire vont à l’école dans le village bernois le plus proche. La commune est une enclave bernoise de 101 hectares, située à la frontière cantonale entre Fribourg et Vaud. La langue de Clavaleyres est pourtant le dialecte alémanique du canton de Berne. «Les paysans d’ici ont de bons contacts avec la Suisse romande, mais ils n’aiment pas parler français», sourit Jürg Truog.
Jürg Truog a 76 ans, il a vécu dans toute la Suisse et a sillonné le pays dans le cadre de son travail dans les télécommunications. Il a parcouru jusqu’à 600 kilomètres en une journée de travail. Après sa retraite, il a déménagé à Clavaleyres.
Le changement était inévitable
Il n’a vécu que six mois dans le village avant d’être élu au Conseil communal (exécutif). Auparavant, la politique n’était pas sa tasse de thé. Il s’est toutefois dit: «Lorsque on cherche à nouer des contacts quelque part, on a trois possibilités: les pompiers, les clubs de sport ou la politique.» À Clavaleyres, il n’y a pas de clubs et pas de corps de pompiers. Jürg Truog a donc misé sur la politique. Il a rapidement réalisé à quel point cet engagement lui convenait. Développer des stratégies, évaluer, convaincre, résoudre des problèmes. «Dans mon entreprise, j’étais déjà connu pour résoudre les problèmes.»
Le problème de Clavaleyres était évident. Après avoir été élu maire, Jürg Truog a donc décidé de s’en occuper. Il n’a pas été le premier à essayer. Les fusions de communes sont souvent controversées, et Clavaleyres en avait déjà fait l’expérience: il y a 125 ans, le village avait refusé une fusion avec la commune bernoise de Münchenwiler (Villars-les-Moines). Plus récemment, ce fut au tour des habitants de ce village bernois de refuser d’unir leur destin avec Clavaleyres. D’autres possibilités ont été examinées, mais on a fini par constater qu’un changement de canton était inévitable.
En 2012, Jürg Truog a reçu l’approbation de l’Assemblée communale (législatif) à l’unanimité pour le projet de fusion. Les citoyens de Morat et de Clavaleyres ont dû donner leur bénédiction à cette union, tout comme les parlements de Berne et de Fribourg. En février, la fusion devra encore être acceptée en votation populaire dans les des deux cantons, puis ce sera au tour du Parlement fédéral de donner son aval.
Perspective de réduction des coûts
Un long processus. Il y a presque dix fois plus de politiciens impliqués dans le changement de canton de la petite commune que d’habitants au village.
En écoutant Jürg Truog pendant un moment, on peut sentir l’enthousiasme avec lequel il a mené à bien les séances avec l’administration, les politiciens et les experts juridiques. Négocier, analyser, convaincre: il semble habité par une véritable passion pour la chose publique. Il reste souvent éveillé la nuit. Il a ainsi été soulagé après le vote (à bulletins secrets) de Clavaleyres: taux de participation élevé, 26 voix pour la fusion, seulement huit contre.
Les armoiries sur la façade de l’hôtel de ville, l’emblème bernois à la fenêtre: Jürg Truog craignait-il que l’identité bernoise soit trop forte pour permettre un changement de canton? Il hausse les épaules. Il n’y a guère eu de discussion sur l’identité, dit-il. Il raconte que la question la plus controversée était de savoir si Clavaleyres, en tant que village de la commune de Morat, pourrait continuer à exercer son autonomie dans des domaines pratiques, comme l’affermage de terres communales à des agriculteurs. Il se réjouit qu’une solution ait pu être trouvée.
Aux yeux du maire, le changement de canton présente des avantages concrets pour les habitants de Clavaleyres: les impôts et les primes d’assurance maladie devraient diminuer. Mais ce sont là des questions secondaires. La fusion est devenue inévitable pour une autre raison: «Nous n’avons tout simplement plus trouvé personne pour siéger au Conseil communal.»
La langue plus importante que la confession
Comme Jürg Truog, la première réaction de Paul Herren, lorsque swissinfo.ch lui demande son avis sur la fusion et la question de l’identité, est de hausser les épaules. «Dans le canton de Berne, j’ai toujours été satisfait. Je crois que je serai aussi satisfait à Fribourg.» Paul Herren parle le dialecte alémanique du canton de Berne, mais il ne semble pas craindre de perdre son identité en changeant de canton. Il souligne toutefois qu’il gardera son numéro de plaque d’immatriculation bernois.
Fribourg est un canton catholique. Cependant, la question de rejoindre plutôt le canton de Vaud, protestant comme celui de Berne, ne s’est pas posée. Aujourd’hui, la langue semble plus importante que la confession. Néanmoins, les changements de cantons sont très rares en Suisse. Dans la plupart des cas, les cantons menacés de perdre une partie de leur territoire tentent d’empêcher l’opération. Dans le cas de Clavaleyres, beaucoup regrettent le départ de la commune, mais presque tous manifestent de la compréhension pour cette décision.
(Traduction de l’allemand: Katy Romy)
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