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Des friches industrielles au service de la culture

Le restaurant de la Damfzentrale de Berne, un exemple de réhabilitation. dampfzentrale.ch

Halles géantes, baies vitrées grandioses, rails de chemins de fer, les friches industrielles offrent de l'espace à foison, de surcroît chargé d'histoire.

Les milieux culturels en sont friands pour des raisons aussi bien économiques qu’esthétiques.

«Les ruines industrielles possèdent cette aura devenue si précieuse dans les grandes villes où le tertiaire et la production ‘just in time’ sont roi», constate l’historien de l’art Philippe Ursprung.

Si les quartiers industriels ont longtemps été dénigrés, comme leur architecture d’ailleurs, dans les années 80, on a commencé à prendre conscience de la valeur patrimoniale de ces bâtiments.

Cette prise de conscience correspond d’abord à la diminution brutale de l’activité industrielle en ville. Ainsi qu’au boom culturel apparu relativement tôt en Suisse nécessitant des espaces de création.

Le phénomène est particulièrement flagrant à Zurich où se combinent activité industrielle naguère florissante et effervescence culturelle remarquable.

Et dans le Kreis 5, outre la reconversion du Schiffbau par le très officiel Schauspielhaus, on peut aussi citer le Löwenbrau Areal qui abrite le Musée Migros, la Kunsthalle et plusieurs prestigieuses galeries.

A l’opposé, d’autres lieux comme la Rote Fabrik, le Rohstofflager ou la Sihlpapier ont su conserver leur touche alternative.

Patrimoine industriel

Berne, la capitale, si elle préserve jalousement son centre historique (classé au patrimoine universel par l’Unesco) a aussi su utiliser ses vieilles usines.

La Gaskessel fête cette année ses trente ans d’existence. Ses deux globes, anciens réservoirs de gaz, sont dédiés à la culture jeune. La Gaskessel a par ailleurs inauguré l’ère de la reconversion de sites industriels en hauts lieux de la culture alternative.

Et comme beaucoup d’autres usines, elle est située au bord d’une rivière, ici l’Aar. La force hydraulique était effectivement cruciale au 19e siècle.

Toujours le long de l’Aar, la Dampfzentrale, une usine électrique à charbon datant du début du 20e siècle, est à son tour devenue un espace culturel où restaurant, ateliers, salle de concert et de théâtre se côtoient.

Mais là aussi, c’est au prix d’efforts considérables de la part de collectifs d’artistes et de démarches répétées auprès des autorités municipales que le lieu a pu être réhabilité pour la culture.

Occupations illégales

A Genève aussi, il a souvent fallu occuper illégalement des espaces inoccupés depuis belle lurette pour pouvoir les obtenir.

Ce fut le cas de l’Usine en 1989. Depuis, théâtre, rock, musiques actuelles, restauration alternative, cinéma expérimental et ateliers d’artistes cohabitent dans cette ancienne usine de dégrossissage d’or.

A deux pas, les anciens bâtiments des Services industriels, exilés en périphérie, ont été occupés par le collectif Artamis (1997). Ces12 000 mètres carrés étaient inoccupés depuis une dizaine d’années. Une bonne centaine d’artistes, artisans, architectes ou informaticiens y travaillent depuis.

Avec ces nouveaux arrivants, la dynamique du quartier a complètement changé. Il s’est vivifié, attisant les appétits des promoteurs immobiliers.

Le problème est qu’un quartier culturellement vivant, de surcroît dévolu aux cultures émergeantes, est habituellement bruyant et peut attirer une faune que les alternatifs eux-mêmes ont de la peine à gérer.

Et de mettre au pilori toute la culture alternative. Un pas que les autorités lausannoises, genevoises ou bernoises franchissent allégrement. Alors qu’à Zurich on prône au contraire la mixité qui favorise le dynamisme d’un quartier.

La culture officielle s’encanaille

A Genève, un phénomène similaire à la réhabilitation du Schiffbau zurichois s’est d’ailleurs produit.

Les autorités, obligées de trouver un lieu pour abriter une saison du Grand Théâtre hors les murs (pour cause de réfection) décidèrent en 1997 de s’emparer du Bâtiment des Forces motrices (BFM).

Cette magnifique halle datant de la fin du 19e siècle, aux immenses baies vitrées, telle un vaisseau amiral affrontant les flots du Rhône, a été transformée à grands frais en une salle de spectacle grandiose.

Elle continue d’ailleurs d’accueillir des spectacles, danse ou opéra, lorsque l’infrastructure à l’italienne du Grand Théâtre ne convient pas.

Le public des abonnés du Grand Théâtre, tout d’abord réticent à fréquenter les abords parfois mal famés de l’Usine toute proche, a finalement goûté aux charmes de l’architecture industrielle, dont les traces ont été soigneusement conservées et mises en scène.

La Vallée du Flon

Lausanne n’est pas en reste non plus. Il suffit de citer la réhabilitation de la vallée du Flon qui se poursuit d’ailleurs. Là aussi, les artistes en quête d’ateliers bon marché s’y sont installés les premiers.

Puis, ont suivi de près des clubs, un théâtre avant-gardiste (l’Arsenic) et un espace dédié à la danse contemporaine (Sévelin 36).

Et dans une troisième phase, les artistes et les petits commerces «branchés», premiers locataires des lieux, se sont presque tous fait chasser. Au profit de locataires plus rentables.

Un parking et un ensemble comprenant une brasserie et un club huppé ont dernièrement fleuri dans le Flon. En attendant un futur multiplexe de cinémas.

En quête d’espace

On peut toutefois se demander quels autres lieux la culture alternative ou émergeante pourra encore investir, alors que les friches industrielles sont de plus en plus récupérées par la culture officielle?

«Sans être prophète, je pense que les infrastructures, comme les passages souterrains ou les énormes espaces inoccupés situées sous les autoroutes, vont inspirer les artistes», estime l’architecte Stephan Jauslin.

Le mouvement semble d’ailleurs bien initié. On pense notamment à la performance «Cartographie» du danseur et chorégraphe lausannois Philippe Saire qui avait investi l’été dernier trois lieux, – les arches du Grand pont, la Gare du LEB et un mini-golf.

A Zurich, les dessous du Hard Brücke, un viaduc qui traverse de part en part tout le quartier ouest, ont également abrité des performances artistiques.

Mais Philip Ursprung, non sans ironie, penche plutôt pour l’utilisation des surfaces de bureaux, banques et autres assurances, laissés vides par les fusions et la crise économique.

swissinfo, Anne Rubin

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